Culture / Tourisme - Voies sur berge : le patrimoine justifie-t-il mieux la piétonnisation que l'environnement ?
Suite du feuilleton de la piétonnisation des voies sur berge, sur la rive droite parisienne de la Seine, retoquée par le tribunal administratif le 21 février. Un arrêté de la ville en date du 6 mars tente de maintenir la piétonnisation au nom, cette fois, de la protection du patrimoine. En cas de recours, l'arrêté semble pourtant juridiquement bien fragile...
Un arrêté de la ville de Paris du 6 mars 2018, portant réglementation de la circulation sur les berges de Seine rive droite, rétablit la piétonnisation des voies sur berge après la récente décision du tribunal administratif de Paris. Dans un jugement du 21 février, ce dernier - saisi par la région, cinq départements et une centaine de communes d'Ile-de-France -, annulait en effet la délibération du Conseil de Paris du 26 septembre 2016 déclarant d'intérêt général la piétonnisation des voies sur berge, sur la rive droite de la Seine au cœur de la capitale (voir notre article ci-dessous du 22 février 2018). Le jugement du tribunal administratif pointait notamment les "inexactitudes", les "omissions" et les "insuffisances" de l'étude d'impact justifiant la décision, mais aussi les réserves de l'autorité environnementale dans son avis du 10 mai 2016 et l'avis défavorable de la commission d'enquête publique du 8 août 2016.
Une possibilité ouverte par le CGCT
Dans ces conditions, publier un nouvel arrêté de fermeture des voies sur berge sur des bases environnementales supposait de reprendre toutes les études à zéro, avec des résultats très incertains. La maire de Paris ayant catégoriquement refusé de revenir sur la suppression de la circulation - même en l'aménageant -, il fallait toutefois combler le vide juridique créé par la décision de la justice administrative, afin d'éviter un possible rétablissement de la circulation.
Dans son arrêté du 6 mars 2018, qui rétablit la piétonnisation des voies sur berge dans les Ier et IVe arrondissements (rive droite), la ville abandonne donc toute référence à la santé des Parisiens, à la protection de l'environnement et aux mobilités douces, pour se concentrer sur un argument totalement différent : la protection et la mise en valeur du patrimoine et de l'activité touristique.
Outre que le changement d'argumentation peut sembler un peu brusque, ce nouvel arrêté paraît juridiquement fragile. Certes, l'article L.2213-4 du Code général des collectivités territoriales prévoit que "le maire peut, par arrêté motivé, interdire l'accès de certaines voies ou de certaines portions de voies ou de certains secteurs de la commune aux véhicules dont la circulation sur ces voies ou dans ces secteurs est de nature à compromettre [...] la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques".
L'Unesco appelé à la rescousse
Les considérants de l'arrêté municipal ne manquent donc pas de mettre en avant le fait que la circulation sur les voies sur berge "est de nature à porter atteinte à l'authenticité et à l'intégrité du site classé", qu'elle "compromet la protection du site" et nuit également à sa valorisation "à des fins esthétiques et touristiques". L'argument touristique est aussi mis largement en avant, avec rappel du nouveau record de 49 millions de touristes à Paris en 2017 et affirmation que "le caractère apaisé de la circulation [est] notamment un facteur déterminant dans le choix d'une destination par les touristes".
Mais le principal argument avancé dans les considérants de l'arrêté s'appuie sur le classement de "Paris, rives de la Seine" au patrimoine mondial de l'Unesco en 1991 et sur le fait que l'Unesco "a constaté, lors de la session de juillet 2017, [que] l'interdiction de circulation des véhicules à moteur sur les quais bas des berges de la Seine contribue à préserver l'authenticité et l'intégrité du bien classé".
Les voies sur berge ne sont qu'une partie du classement
Le problème est que l'Unesco n'a nullement lié le maintien du classement à la suppression de la circulation et encore moins menacé d'un éventuel déclassement, comme il a pu le faire dans l'affaire des éoliennes du mont Saint-Michel et dans celle des arbres du canal du Midi, ou comme il l'a réellement fait en retirant la ville de Dresde de sa liste après la construction du pont dénaturant le site. Il faut d'ailleurs rappeler que "Paris, rives de la Seine" a été inscrit au patrimoine mondial alors que les voies sur berge existaient.
En outre, contrairement à ce que laisse entendre la rédaction des considérants, l'inscription sur la liste du patrimoine mondial ne porte pas sur "les voies concernées par le présent arrêté", mais sur une zone beaucoup plus vaste (voir carte ci-dessous), incluant entre autres La Madeleine, le champ de Mars, l'Ecole militaire et les Invalides. Dans ces conditions, faire remonter la circulation des voies sur berge sur les quais hauts - tout autant inscrits - et sur les rues avoisinantes ne serait pas forcément considéré comme changeant fondamentalement la question.
Dans le cas d'un éventuel recours, la motivation de l'arrêté pourrait donc être à nouveau discutée. Mais une décision jurisprudentielle en la matière aurait au moins le mérite de répondre à une question inattendue : le caractère apaisé de la circulation est-il, comme le fait valoir la ville dans les considérants de son arrêté, "un facteur déterminant dans le choix d'une destination par les touristes". Autrement dit, l'identité de New-York serait-elle toujours la même sans sa circulation frénétique ou celle de Venise demeurerait-elle sans le ballet incessant des vaporettos ?
Références : ville de Paris, arrêté n°2018 P 10661 du 6 mars 2018 portant réglementation de la circulation sur les berges de Seine rive droite à Paris, 1er et 4e arrondissements (Bulletin officiel de la ville de Paris du 9 mars 2018).