Villes et campus à la recherche du bon tempo
Pour les territoires, les rythmes très spécifiques des universités et des étudiants représentent à la fois des contraintes et des opportunités, différentes selon le positionnement du campus – central ou périphérique. Comment faire pour que les temps des campus et ceux des villes s’articulent de façon complémentaire pour les étudiants et les autres habitants ? Le 25 mai 2021, lors d’un webinaire organisé par l’association Tempo territorial, il a été question de mutualisation et de modularité, de culture de la ville étudiante et de gouvernance partagée, ou encore de crise sanitaire et de numérique qui rebattent toutes les cartes.
"Les campus et leurs territoires d’implantation ne vivent pas forcément au même rythme", mais ces "temporalités différentes" peuvent être mises au profit des étudiants et des habitants. L’association Tempo territorial a exploré ces enjeux le 25 mai 2021, lors d’un webinaire organisé dans le cadre d’un cycle sur les "temps et rythmes des étudiants". Ce dernier avait déjà donné lieu à deux séances sur "le temps de l’engagement" dans le parcours étudiant et le salariat étudiant.
Intitulée "Campus et territoires, des espaces à partager", la troisième session a largement porté sur la capacité des villes et des universités à collaborer sur l’aménagement urbain et l’usage partagé d’équipements et de services. Les rythmes propres aux universités, et aux étudiants, imposent en effet une réflexion commune, pour éviter notamment une forme de gaspillage des infrastructures au moment de la saison creuse entre mai et septembre. "Les équipements et les aménagements sont très peu pensés pour être modulables" et sont "prévus pour le public universitaire quasi exclusivement", a observé Hélène Dang Vu, urbaniste et enseignant-chercheur à Marne-la-Vallée.
Crise sanitaire et cours "en distanciel" : quel impact durable pour les campus ?
Avec la crise sanitaire et le basculement des cours vers le distanciel, les campus se sont vidés toute l’année et les résidences universitaires ont également vu leur taux d’occupation diminuer de façon importante. Selon François Rio, délégué général de l’Association des villes universitaires de France (Avuf), après une reprise progressive des cours en présentiel, des établissements organisent à présent une rentrée 2021 avec la moitié des effectifs sur place, selon un schéma d’alternance pour les étudiants entre une semaine en distanciel et une semaine en présentiel. François Rio mentionne par ailleurs un phénomène récent qui, de son point de vue, modifie les relations entre collectivités et campus : la création des campus connectés (voir notre article du 3 mai 2021), qui a conduit certaines collectivités à "s’interroger de manière globale sur la présence des étudiants sur les territoires". Cette réflexion est également portée par des villes moyennes dans le cadre du programme Action cœur de ville, a poursuivi François Rio, qui souligne "une tendance lourde de retour des universités en centre-ville".
Les relations entre villes et universités ont connu des évolutions notables, avec une période où les campus étaient des lieux fermés au reste de la ville (voir notre article du 28 mai 2021). Pour Dominique Royoux, professeur de géographie à l'université de Poitiers et vice-président de l’association Tempo territorial, c’est à partir des années 2000 que "les porosités se sont multipliées" entre les schémas d’aménagement propres aux universités et ceux des villes. À Poitiers, par exemple, les rues des campus ont perdu dans ces années-là leurs noms spécifiques et c’est aujourd’hui la communauté urbaine qui s’occupe de leur entretien. Rapprocher ces "logiques d’aménagement global", c’est "la première pierre qu’il faut poser un peu partout", estime Dominique Royoux. C’est en mettant ensuite tous les acteurs autour de la table qu’il est possible d’opérer des choix communs, comme les décalages d’horaires de cours opérés à Rennes pour désengorger une ligne de métro et, plus récemment, les restaurants universitaires (voir notre article du 24 juin 2020).
Les temps de la ville étudiante : une gouvernance à construire
La culture de la ville joue toutefois un rôle dans ces rapprochements. À Poitiers, ville de 90.000 habitants dont 28.000 étudiants, "tout est fait autour et pour la vie étudiante", a témoigné Ségolène Dubernet, directrice de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et des relations internationales au Grand Poitiers. Un "mois d’accueil des étudiants", qui s’étend en réalité de juillet à début octobre, a été créé pour permettre aux étudiants de s’intégrer de manière festive, de découvrir les associations et leur territoire. Se vivant résolument comme une ville étudiante, Poitiers prépare un "plan éducatif global" qui ira de la maternelle à l’enseignement supérieur.
À Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), malgré la présence de 30.000 étudiants, l’identité de ville étudiante est encore peu revendiquée par les élus. L’association CY Campus a justement été créée pour renforcer les liens entre l’université, le département et la communauté d’agglomération – qui salarient chacun une personne de l’association – et "ouvrir la ville sur le campus et le campus sur la ville", a expliqué Sophie Deraeve, cheffe de projet de CY Campus, campus international de Cergy-Pontoise. Pour que les étudiants, malgré leurs rythmes parfois décalés, soient perçus comme "une opportunité" plutôt que comme "une nuisance", l’association s’attache à augmenter la part d’étudiants logés en résidence, pour diminuer le nombre de colocations – potentiellement mal perçues par les riverains.
Le rôle de CY Campus est plus globalement d’assurer la coordination des différentes maîtrises d’ouvrage sur les projets d’immobilier universitaire – qui vont être repensés dans le contexte de la crise – et les services aux étudiants. Malgré les progrès de cette gouvernance partagée, et son efficacité en particulier pour obtenir des crédits dans le cadre du contrat de plan État-région, la mise en œuvre d’une approche mutualisée des équipements, sportifs notamment, reste complexe. "Tout le monde veut les bons créneaux au même moment et les associations étudiantes sont souvent placées en fin de journée", a constaté Sophie Deraeve. À l’instar de l’Essec, les établissements d’enseignement supérieur sont également invités à ouvrir leurs équipements, en particulier ceux qui ont été financés par les collectivités, aux autres étudiants et associations de la ville, dans une logique de "campus global".
Tiers-lieux, équipements : penser la modularité dès le départ
Outre le partage des créneaux horaires, des obstacles juridiques viendraient souvent contrarier la mutualisation des équipements sportifs. Sur le terrain culturel, la "porosité" est en tout cas encore une fois le mot d’ordre à Poitiers, avec par exemple une salle de spectacles dédiée aux étudiants et à tous leurs projets, y compris ceux qu’ils mènent avec d’autres acteurs de la ville. Pensés pour des usages divers, des tiers-lieux portés par les collectivités et/ou l’université peuvent aussi être des lieux dédiés autant aux étudiants qu’aux autres habitants, des lieux ayant vocation à rester ouverts en dehors du temps universitaire – weekend, vacances –, ce qui n’est cependant pas toujours le cas.
Au-delà, certains équipements et aménagements universitaires sont parfois conçus dès le départ pour favoriser le partage de l’espace et la mutualisation. C’est le cas de l’école d’architecture de Nantes, dotée notamment d’une terrasse "pensée comme une place publique, accessible en dehors des horaires d’ouverture de l’établissement", selon Hélène Dang Vu. L’exemple le plus poussé en la matière étant celui de Louvain-la-Neuve en Belgique, où des amphithéâtres et salles universitaires deviennent des théâtres le soir ou des lieux dédiés à d’autres activités les mois où les étudiants n’y sont pas.