Archives

Villes de France : "Nous représentons la France des gilets jaunes"

L'association Villes de France a fêté ce 12 décembre, à Paris, son trentième anniversaire, en présence du Premier ministre et du président du Sénat. Une célébration naturellement marquée par un double contexte particulier - l'attentat perpétré à Strasbourg et la crise des gilets jaunes. Mais aussi une occasion saisie par les élus locaux pour proposer leur contribution au "grand débat" qui va s'ouvrir, dont Édouard Philippe a évoqué les principaux axes et enjeux. À ce titre, l'Assemblée des communautés de France (ADCF) a plaidé ce 13 décembre pour des "assises territorialisées" organisées à l'échelle des bassins de vie.

Davantage que beaucoup d'autres communes, les villes de 15.000 à 100.000 habitants que fédère Villes de France ont été le théâtre d'opération des "gilets jaunes". C'est ce qu'ont mis en avant ce 12 décembre à Paris, Caroline Cayeux et Jean-François Debat, respectivement présidente et président délégué de l'association d'élus locaux, qui célébrait ses trente ans. Tandis que le 1er décembre dernier, les manifestants étaient "quatre cents" à Lyon, ils étaient "plus de deux mille" à Bourg-en-Bresse, a ainsi témoigné le maire du chef-lieu de l'Ain. "Aujourd'hui, nous représentons la France des 'gilets jaunes', cette France périphérique où s'expriment toutes les détresses, toutes les conséquences sociales des crises économiques successives, cette France qui souffre", a insisté sa collègue, maire de Beauvais.
Les élus de Villes de France n'entendent pas être des spectateurs de cette crise. "Nous sommes disponibles pour travailler avec le gouvernement et avec l'État pour mettre en œuvre des réponses", a lancé Jean-François Debat au Premier ministre, présent à cette soirée anniversaire avec cinq autres membres du gouvernement (Jacqueline Gourault, Sébastien Lecornu, Julien Denormandie, Olivier Dussopt et Sophie Cluzel). Ils se disent ainsi prêts à participer à l'organisation du "grand débat" qui doit avoir lieu partout en France entre le 15 décembre et le 1er mars. Un débat indispensable, mais pas suffisant, estiment ces mêmes élus des "villes moyennes". Au-delà, ils ont réclamé l'organisation d'un "Grenelle" permettant aux élus locaux notamment d'être associés aux décisions résultant de la phase de recueil des doléances et de dialogue. Des propositions applaudies par le président du Sénat. "La reconnaissance du rôle essentiel des maires est l'une des clés de la solution", a déclaré Gérard Larcher. Qui a versé au débat une recommandation déjà entendue lors du Congrès des maires de France : "Écrire une troisième étape de la décentralisation" visant à accorder "plus de souplesse et de libertés aux territoires pour leur permettre de construire leur projet d'avenir".

"L'évolution des dotations doit être plus prévisible"

Édouard Philippe n'a répondu que partiellement aux vœux formulés par le président délégué de Villes de France. Le débat que les maires organiseront dans leur commune, "s'ils le souhaitent", débouchera sur des "décisions qui devront être prises par le Parlement", a-t-il indiqué (voir notre encadré ci-dessous). Ayant choisi de concentrer ses propos sur la crise des gilets jaunes, l'hôte de Matignon n'a de fait pratiquement pas abordé les dossiers qui aliment depuis des mois le dialogue sinueux entre le gouvernement et les maires et présidents d'intercommunalité, comme la réforme de la fiscalité locale, la maîtrise des dépenses de fonctionnement des plus grandes collectivités...
Il a néanmoins évoqué le chantier des dotations de l'État aux collectivités que le président de la République a ouvert lors du dernier congrès des maires de France. L'occasion pour lui d'ironiser : le dispositif des dotations "est formidable, prévisible, extrêmement simple à expliquer. Tout le monde peut expliquer par exemple comment la DGF [dotation globale de fonctionnement] peut évoluer dans sa commune", a-t-il lancé. Rires de l'auditoire. Le gouvernement est "prêt à discuter" de ce sujet avec les élus locaux. "Commençons rapidement, cela nous permettra d'arriver à bon port", a déclaré Édouard Philippe.

Action cœur de ville : "un exemple à suivre"

Parmi les autres sujets évoqués par le Premier ministre : le toilettage des "irritants de la loi Notr" d'août 2015 ("essayer, dans les micro-détails, d'améliorer ce qui peut l'être") et le programme Action cœur de Ville, qui vise à revitaliser le centre de 222 villes, au premier rangs desquelles de nombreux adhérents de Villes de France. Cette opération par laquelle "l'État accompagne la mise en œuvre d'une stratégie définie par les élus locaux" est "un exemple à suivre", a-t-il dit au lendemain de la journée de Poitiers ayant réuni les maires des sites concernés (lire notre article). "Le résultat obtenu est à la hauteur", a acquiescé Caroline Cayeux, saluant au passage la présence de l'ancien ministre Jacques Mézard.
Fortes de leurs 25 millions d'habitants, les villes dites "moyennes" et leurs intercommunalités sont "un point d'équilibre entre des métropoles qui sont naturellement des pôles d'excellence pour notre pays et les territoires ruraux", a estimé la présidente de Villes de France. Qui a plaidé, à l'heure où les "fractures" territoriales semblent exacerbées, pour le renforcement des "solidarités territoriales".

Le "grand débat" : quel rôle pour les élus… et pour parler de quoi ?

Le matin même de ce mercredi 12 décembre, Édouard Philippe avait présenté en conseil des ministres une communication traçant à grands traits ce que devrait être le "grand débat" voulu par l'exécutif dans le sillage de la crise des gilets jaunes (lire notre article "Le grand débat : qui, quoi, quand, comment ?").
Devant Villes de France, le Premier ministre est largement revenu sur le sujet, en commençant par évoquer ce "mouvement social" d'une ampleur inédite. Il y voit "une colère qui vient de loin, longtemps tue par pudeur, par fierté", qui "éclate aujourd'hui" et "doit s'exprimer", des citoyens qui "se sentent piégés" face à certaines "décisions de l'État" en termes "d'aménagement". Si "le président de la République a annoncé des mesures" en matière de "pouvoir d'achat", il s'agirait d'aller plus loin car "derrière, il y a des questions d'identité, de considération, de perspectives…". Et c'est tout cela qu'il faut désormais "traiter par le dialogue", dans le cadre de ce "grand débat".

Le chef du gouvernement a mis en avant quatre "axes". Le premier, celui de "la transition écologique" : "se loger, se déplacer, accéder au travail…", avec les "mesures d'accompagnement" qui s'imposent. Deuxième axe : "la fiscalité". Édouard Philippe n'oublie pas qu'"à l'origine", c'est bien "une taxe" qui a déclenché le mouvement… derrière laquelle c'est "un système fiscal dans son ensemble" qu'il faut réinterroger : "comment organisons-nous l'irrigation financière de la puissance publique", y compris au niveau local ? Quel niveau de dépense, quel niveau de prélèvement ?
Troisième enjeu : "notre démocratie", ou "comment mieux représenter, associer les citoyens", "faire en sorte que ce qui fonctionne au niveau local puisse exister au niveau national", impliquer non seulement "ceux qui s'intéressent déjà" à la chose publique "mais aussi ceux qui veulent s'exprimer en dehors des corps intermédiaires".
Enfin, l'axe de "l'organisation de l'État" et de "la présence des services publics sur le territoire". Edouard Philippe reconnaît "un réflexe de concentration" de la part de l'Etat, "y compris au niveau régional", et plaide pour "un Etat plus proche, plus simple, plus normatif".
S'agissant de la forme que prendra le débat – dont les modalités seront présentées samedi par Chantal Jouanno, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) -, le Premier ministre ne vise pas "un jardin à la française", assurant qu'il ne se fera pas "dans les préfectures, par les préfets". Ce sont bien les maires qui "savent quel est le meilleur endroit, le meilleur moment". "Nous voulons nous appuyer sur eux, les accompagner en leur donnant un certain nombre d'instruments qui leur permettront de faire remonter ce qui ressortira de ce débat", a-t-il dit. 

Au lendemain de cette intervention du chef du gouvernement devant Villes de France, c'est une autre association d'élus, l'Assemblée des communautés de France (ADCF), qui a souhaité faire part de ses vœux et propositions quant au contenu et au déroulé de ce "grand débat". Selon elle en effet, l'intercommunalité a un rôle naturel à jouer dans ce processus, le débat devant impérativement être "territorialisé".
L'ADCF préconise une organisation en plusieurs temps. Premier temps, comme le prévoit l'exécutif, "l'expression des besoins" par les citoyens, au niveau des mairies. Mais ensuite, il serait nécessaire de structurer le débat à une échelle plus large, celle des "bassins de vie", correspondant peu ou prou à l'échelle intercommunale (environ 800 bassins de vie pour quelque 1.200 intercommunalités). Cette étape rassemblerait tous les maires du territoire, ainsi que d'autres acteurs locaux.
Pour Jean-Luc Rigaud, le président de l'ADCF, il serait vain de vouloir "parler" de tout et le débat doit donc se concentrer en priorité sur trois thématiques : mobilité, logement et énergie. Et parce que tout ce qui émergera n'a pas nécessairement vocation à remonter au niveau national, nombre de problèmes et questionnements pourront être traités à cette échelle du bassin, dans le cadre d'un "contrat de territoire", conçu comme un "contrat global" associant tous les niveaux de collectivités, de la commune à la région.
Parallèlement, l'ADCF souhaite que des "assises de la fiscalité" soient organisées pour "réinterroger l'ensemble du modèle des finances locales", selon les termes de Charles-Éric Lemaignen. En jeu : "par quoi on remplace la taxe d'habitation" au-delà du dégrèvement, la réforme de la dotation globale de fonctionnement et la refonte de la péréquation, la refonte des valeurs locatives… et "comment on finance le service public" entre "le contribuable et l'usager", autrement dit les questions de tarifs, de coûts, de solidarité…

Claire Mallet