Vidéoprotection algorithmique : après un "bilan contrasté", le gouvernement souhaite prolonger l'expérimentation

Enfin publié, le rapport d’évaluation de l’expérimentation de la "vidéoprotection algorithmique" plaide en creux pour remettre le métier sur l’ouvrage. Le document fait état d’un "bilan contrasté", qui tient notamment aux conditions d’expérimentation du dispositif. En somme, trop tôt, trop court, sur un périmètre trop encadré et trop restreint, au cours d’un événement finalement peu approprié. Les auteurs du rapport font néanmoins état d’un "intérêt réel" de la solution, que le gouvernement entend à nouveau tester.

Le rapport tant attendu du comité d’évaluation de l’expérimentation de traitements algorithmiques d’images de vidéoprotection – conduite par la préfecture de police de Paris, la SNCF, la RATP et la ville de Cannes – a enfin été publié, ce 7 février, par le ministère de l’Intérieur. Ses principales conclusions ont déjà été largement dévoilées (voir notre article du 20 janvier). Elles font état d’un "bilan contrasté" sur le plan opérationnel, que l’on pourrait toutefois qualifier d’encourageant.

Un intérêt limité, mais à relativiser

Certes, le rapport fait à ce stade état d’un "intérêt opérationnel limité" du dispositif, pointant des "performances techniques inégales, très variables en fonction des opérateurs et des cas d’usage" (eux-mêmes limités par les textes). Si les rapporteurs ont observé des "performances globalement satisfaisantes pour l’intrusion, la circulation et la densité des personnes", ils font état de "résultats encore incertains et à améliorer pour les mouvements de foule" et déplorent "des performances inégales pour la détection d’objets abandonnés et d’armes à feu". Des performances qui fluctuent également en fonction "des contextes d’utilisation, des caractéristiques techniques et du positionnement des caméras".

Trop tôt, trop restreint, trop court

Reste que le constat est à relativiser. D’abord parce que l’évaluation a été conduite dans un "calendrier contraint" qui n’a, notamment, "laissé en pratique que quatre mois environ aux opérateurs pour effectuer de premiers tests destinés à calibrer le dispositif". Or "l’intérêt opérationnel dépend de la durée d’entrainement de la caméra", est-il souligné.

Des conditions qui ont, par exemple, conduit la préfecture de police à faire le choix d’un déploiement "assez limité du traitement [pendant les JO], par manque de moyens et d’expérience pour en assurer une mise en œuvre plus étendue". Sans compter un encadrement par le droit très "étroit", "progressivement resserré à chaque stade de l’élaboration du disposition", ou encore des "contraintes techniques encore renforcées", notamment au stade de la procédure d’appels d’offres, qui "ont limité la portée de l’expérimentation". Ainsi n’ont été retenus que deux prestataires, dont l’un n’a "pu être évalué que par la seule commune de Cannes, la seule collectivité qui a choisi de mettre en œuvre l’expérimentation".

Le tout "sur une période relativement brève" – de neuf mois environ. Or, relève le rapport, l’intérêt est "subordonné à la mise en œuvre du traitement pendant une durée suffisamment longue", qui permet notamment aux agents de s’approprier l’outil. Au total, le dispositif n’aura ainsi été testé que sur une trentaine d’événements, dans environ 70 lieux différents. 

Des Jeux olympiques finalement peu propices

En outre, le choix de profiter des Jeux olympiques et paralympiques pour conduire cette expérimentation s’est avéré peu pertinent. "Les utilisateurs qui voulaient justement réduire les risques au maximum ont misé d’abord sur la densité des effectifs sur le territoire plutôt que sur une expérimentation qui, en tant que telle, comprenait une part d’incertitude". Cette "présence humaine exceptionnelle" sur le terrain a ainsi "rendu moins prioritaire la mise en place" du dispositif. Or le comité souligne que l’intérêt du dispositif "dépend de l’aptitude à mobiliser des effectifs suffisants pour traiter et exploiter les alertes déclenchées". Les auteurs du rapport déplorent ainsi que les moyens mis en œuvre n’aient que rarement permis de confronter les détections des algorithmes avec ceux des opérateurs humains. En outre, "cette présence humaine garantissait à elle seule des capacités de détection hors normes". Et de conclure que, "de façon générale, [l’intérêt du dispositif] est plus marqué lorsque la présence policière est insuffisante pour couvrir toute la zone considérée mais néanmoins suffisante pour permettre une intervention utile".

Mais un intérêt "réel", des agents "globalement satisfaits" et des libertés publiques préservées

Pour autant, le rapport met en avant un intérêt "réel" du dispositif, notamment "en ce qu’il a pu permettre à certains opérateurs vidéo de se concentrer sur ce qui pouvait être des situations à risque et de procéder à une meilleure répartition des agents présents sur le terrain". Et d’ajouter : "Et surtout, il comporte des potentialités". En dépit des faiblesses relevées, les agents concernés se font d’ailleurs plutôt positifs, le rapport évoquant "un degré d’attente et de confiance des personnels globalement élevé". Il observe que ceux de la RATP et de la SNCF "se sont, presque tous, déclarés favorables à son déploiement pérenne. Il a en été de même, dans une moindre mesure, des agents de la préfecture de police et de la commune de Cannes". Si ces derniers avaient dans un premier temps pu être rebutés par de premiers tests peu concluants, le rapport note que "leur regard a évolué de façon plus positive au fur et à mesure de l’expérimentation, du fait des progrès réalisés (…)".

Autre point positif, alors que les craintes et les oppositions étaient grandes, le rapport fait état d’un dispositif qui, "en l’état, ne heurte les libertés publiques ni dans sa conception ni dans sa mise en œuvre". Les auteurs s’interrogent toutefois sur les "très faibles remontées du public", ce qui pourrait traduire une information et/ou une compréhension insuffisantes. 

Expérimentation prolongée ?

In fine, le rapport conclut que la présente expérimentation – laquelle, pour mémoire, ne prendra fin que le 31 mars prochain – "ne permet en aucun cas de se prononcer de façon générale sur la pertinence du recours à l’IA en matière de vidéoprotection". Un message semble-t-il entendu par le gouvernement, qui vient de déposer un amendement à la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. "Les services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF relèvent qu’ils n’ont pu bénéficier des systèmes de traitement algorithmique qu’à compter du printemps 2024 et n’ont pas pu faire suffisamment évoluer leur organisation pour optimiser les remontées opérationnelles des alertes", argue le gouvernement. Les partisans d’une généralisation sans délai de la solution devront donc sans doute prendre encore leur mal en patience (voir notre article du 4 octobre).

 

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