Petite enfance - Vers un droit opposable à la garde des jeunes enfants ?
Par une lettre de mission datée du 24 août, Dominique de Villepin demandait au Centre d'analyse stratégique (CAS, ex-Commissariat général du plan) de réfléchir "au contenu, au périmètre et aux modalités de gestion" d'un service public de la petite enfance, sans préciser a priori le sens qui pourrait être donné à cette notion de "service public". Simple renforcement de l'offre actuelle... ou mise en place d'un nouveau "droit opposable", un concept décidément dans l'air du temps ? S'agirait-il de faire de la garde des enfants de moins de trois ans une compétence obligatoire pour les collectivités locales ? Visiblement, on n'en est pas encore là. Mais l'idée commence à faire son chemin.
Le CAS, qui rendra son rapport final d'ici la mi-février, préconise en effet de rénover et de rationaliser sensiblement, par étapes, le système actuel de la politique d'accueil des moins de trois ans - ce qui pourrait donc à terme déboucher, estime-t-il, sur la création d'un "droit opposable des parents à une solution d'accueil pour leur enfant".
Alors que l'exemple des pays nordiques - où la collectivité publique est contrainte, si elle ne peut proposer de solution de garde, de verser une compensation financière aux parents - est souvent présenté comme un modèle, les experts du CAS tiennent à souligner que "la France, comparée aux pays de l'Union européenne, propose déjà un haut niveau d'offre en matière de modes d'accueil."
Un plan d'aide pour chaque famille
Tout droit opposable à l'obtention d'une solution de garde ne pourrait toutefois "s'envisager que s'il y a suffisamment d'offres", donc pas avant "cinq ou dix ans", précise le CAS dont le pré-rapport, dévoilé lundi par le quotidien Les Echos, est actuellement soumis pour concertation aux partenaires sociaux.
La création d'un service public de la petite enfance doit a minima permettre de mieux informer les familles, de corriger les inégalités territoriales et de rendre équitable l'effort financier des familles. "Il ne semble pas envisageable de confier cette nouvelle responsabilité à l'Etat. (...) Les collectivités locales sont habituellement chefs de file en la matière", soulignait le CAS dans son rapport annuel publié le 8 janvier dernier.
Au-delà du renforcement de l'offre, "quelle que soit sa forme", le CAS insiste sur la nécessité de faciliter l'accès des familles à l'information sur les différents modes d'accueil "grâce à de nouveaux outils de mise en cohérence de l'offre et de la demande, voire au développement d'un guichet unique d'enregistrement des demandes et d'une analyse individualisée des besoins". Chaque famille pourrait bénéficier d'un interlocuteur privilégié qui lui proposerait un "plan d'aide construit en fonction d'un ensemble de paramètres" (ressources, situation professionnelle, contraintes en termes de déplacements et d'horaires...). En sachant que tout cela supposera, insiste le CAS, "une clarification des compétences entre les différents acteurs de terrain de la petite enfance" (communes, intercommunalités, départements, CAF, Etat).
Quelle collectivité responsable ?
Quant à la création d'un droit opposable... de quel droit parlerait-on alors ? D'un droit à un nombre d'heures de garde ou d'un droit à une solution au terme d'un certain délai ? En tout état de cause, le CAS estime qu'un tel droit opposable ne pourrait pas "se limiter à garantir un accueil en établissement collectif, très coûteux". Il s'agirait donc plutôt de miser sur "l'affirmation d'un droit à un mode d'accueil quel qu'il soit, dont le contenu et le coût seraient modulables selon la situation des familles".
Autre question, bien sûr, "quelle serait la collectivité compétente et donc responsable juridiquement devant les parents ?". Le choix de la collectivité responsable devrait rester ouvert, affirme Julien Damon, chef du département Questions sociales au CAS. "On ne sait pas qui est le meilleur, le département qui gère la PMI ou la commune qui gère les établissements collectifs, en passant par les CAF qui distribuent la plus grande partie des fonds", explique-t-il. Le pré-rapport présentait deux "pistes", les communes et les départements, suscitant l'inquiétude de la Cnaf.
Le rapport définitif optera finalement pour la voie de l'expérimentation par des collectivités volontaires... avant toute généralisation. "On propose qu'il puisse être possible pour une collectivité publique d'expérimenter sur deux ans un numéro unique de demande d'enregistrement des parents, et d'organiser un plan individualisé, dès la grossesse et sur trois ans, de l'offre d'accueil", détaille Julien Damon. "On adhère à l'idée d'expérimentations à condition qu'elles soient ouvertes à tous, on y a notre place légitime", a réagi Jean-Louis Deroussen, président de la Cnaf.
Claire Mallet, avec AFP