Vers un "Cross-Border Deal" européen ?

A l'entame de la nouvelle mandature européenne, le "Borders Forum" réuni à l'initiative de la Mission opérationnelle transfrontalière, les 2 et 3 décembre à Paris, a été l'occasion de jeter les bases de ce qui pourrait devenir un "Cross-Border Deal", ou "pacte transfrontalier", à l'image du Green Deal sur les questions environnementales. En attendant, un projet de règlement vieux de six ans, rebaptisé "BridgEU", devrait enfin voir le jour dans les prochains mois dans le but de lever les obstacles aux échanges transfrontaliers qui coûtent plus de 450 milliards d'euros à l'Union européenne.

Les obstacles transfrontaliers représentent une perte de 3% du PIB en Europe, soit un coût de 458 milliards d'euros. C'est ce qu'a indiqué Maria-Varinia Michalun, cheffe d'unité gouvernance et planification à l'OCDE, lors de la 3e édition du Borders Forum qui s'est tenue à la Cité internationale universitaire de Paris, les 2 et 3 décembre. Il est impératif de "libérer le potentiel des régions transfrontalières, 3 millions d'emplois pourraient être créés", a-t-elle plaidé, lors de cet événement qui a rassemblé plus de 300 participants venus de toute l'Europe, à l'initiative de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT). L'occasion pour les organisateurs de lancer un appel à un "Cross-Border Deal" (Pacte transfrontalier), à l'entame de la nouvelle mandature européenne, en écho au "Green Deal" de la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen. "Nous adressons [cet appel] aux décideurs européens, nationaux mais aussi aux élus locaux et régionaux des territoires frontaliers, et espérons être entendus à ces trois niveaux", a déclaré Christian Dupessey, maire d'Annemasse (Haute-Savoie) et président de la MOT, à l'issue de cette rencontre au cours de laquelle 10 groupes de travail ont planché sur différentes thématiques : planification écologique, transports, services publics, santé, solidarité financière, élargissement à l'Est... Le fruit de ces travaux pourrait ainsi servir de base à ce "pacte" européen.

Selon la MOT, 30% de la population européenne vit dans des territoires transfrontaliers et deux millions d'européens franchissent une frontière tous les jours pour aller travailler. Seulement, les tracas administratifs ou les difficultés de transports restent nombreux. Et le souvenir de la fermeture de la frontière allemande pendant le Covid reste vivace (voir notre article du 3 juin 2020). Le comité de coopération transfrontalière (CCT) créé un an plus tôt avec le traité d'Aix-la-Chapelle "a joué un rôle clé pour la réouverture de la frontière", a assuré Philippe Voiry, ambassadeur pour les questions transfrontalières au ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères. Cette expérience a permis de constituer "un mémoire presque juridique qui pourrait être utilisé" si une telle situation se représentait. "On pourrait faire de façon plus légère." 

Des points de coordination nationaux

L'ambassadeur a aussi salué le travail accompli par le député européen Sandro Gozi (Renew Europe) pour "ressusciter" un projet de règlement européen "mal en point il y a trois ans" visant justement à lever les obstacles transfrontaliers.

Déjà rebaptisé "FCBS" (Facilitating Cross-Border Solutions), ce règlement devrait finalement prendre le nom de "BridgEU", a indiqué Sandro Gozi, rapporteur du texte. Avec cette "loi", "les maires ou les associations qui voudront développer un projet transfrontalier (transport, service public commun…)" pourront signaler leurs difficultés à un "point de coordination national" présent de chaque côté de la frontière ; ce point de coordination "sera là pour identifier l'obstacle" et étudier la manière dont il peut être éliminé. Le texte qui était en préparation depuis 2018 pourrait enfin être adopté "en fin d'année prochaine", espère le député. "Les frontières intérieures sont un oxymore", a-t-il souligné, tançant les "barrières de langage administratif". Et de prendre l'exemple de l'hôpital transfrontalier de Cerdagne, dans les Pyrénées qui rencontre encore des "retards inadmissibles", comme le manque de reconnaissance des diplômes entre la France et l'Espagne. Ou encore celui de demandeurs d'emploi du nord qui perdent leurs droits lorsqu'ils partent faire une formation en Belgique. "C'est inacceptable."

Des agoras citoyennes

Pour la Commission européenne, supprimer 20% de ces obstacles suffirait à gagner 2% de PIB et créer un million d'emplois. Le nouvel instrument juridique proposé permettrait, selon elle, de régler un tiers des cas.

Philippe Voiry, estime que les transports sont "la mère de toutes les batailles". L'ambassadeur français a regretté à ce titre la place qu'occupaient deux projets "gigantesques", le Lyon-Turin et le canal Seine-Escaut, au détriment d'autres projets locaux. "Dès que le projet a une dimension régionale, vous avez besoin de fonds nationaux", ce qui suppose "d'excellents relais dans la capitale". "Il faut toujours avoir des élus de bons niveaux dans la capitale pour porter ses projets", a-t-il dit, invitant à solliciter des élus potentiellement appelés un jour à occuper des fonctions ministérielles....

Sandro Gozi a suggéré qu'en amont au débat sur l'état de l'Union programmé chaque année au mois de septembre, des "agoras" soient organisées entre janvier et avril au niveau territorial" pour que les organes consultatifs puissent ensuite relayer les propositions des citoyens. "Si on faisait ça, la dimension frontalière émergerait à la dimension la plus forte", considère-t-il.

Les groupements européens de coopération territoriale (Gect), instaurés il y a 16 ans, permettant à des collectivités de deux pays de conventionner directement entre elles, peuvent être l'instance adéquate pour organiser des transferts financiers, a appuyé Philippe Voiry, sur le thème de la solidarité. Pour leur donner plus de poids, Christian Dupessey a proposé d'élire démocratiquement leurs représentants en fléchant les candidats lors des élections locales. Le président du pôle métropolitain du genevois français préconise aussi un "service public universel à chaque frontière", d'introduire une spécificité des territoires transfrontaliers dans le code de l'urbanisme au même titre que le littoral et la montagne et enfin de reconnaître un "droit à l'expérimentation". "Dans un contexte géopolitique menaçant, les régions transfrontalières ont un rôle de gardien qui doit être reconnu", a-t-il insisté.