Traité d’Aix-la-Chapelle : 5 ans après, un bilan bien terne

Signé il y a 5 ans, le traité d’Aix-la-Chapelle présente pour l’heure un bilan plutôt terne. Si la fondation Genshagen salue "plusieurs accomplissements", elle relève que, lacunaire dès l’origine, le traité peine en outre à être mis en œuvre. Elle dénonce in fine un "gouffre entre l’ambition et la réalité". Un gouffre qui ne cesse par ailleurs de grandir entre les deux pays.

Signé le 22 janvier 2019 à l’occasion du 56e anniversaire du traité de l’Élysée (voir notre article du 24 janvier 2019), le traité d’Aix-la-Chapelle peine à convaincre. Indéniable, le succès du fonds citoyen franco-allemand (voir notre article du 2 mars 2023) institué par cet accord fait un peu figure d’arbuste qui cache le désert. Sans faire injure à ce fonds, le fait que la fondation Genshagen, qui vient de dresser un bilan d’étape du traité, voit en lui "le résultat le plus tangible et la plus belle réussite" de ce dernier, en dit long sur le succès de cet accord.

"Plusieurs accomplissements"…

Avec un sens plus affirmé de la litote, la fondation Genshagen estime que le potentiel de ce dernier "n’a pas été jusqu’ici entièrement exploité". La fondation relève ainsi "plusieurs accomplissements". Outre le fonds précédemment évoqué, elle y range l’ouverture de quatre (sur six prévus) instituts culturels franco-allemands – contrebalancée toutefois par la récente décision de fermer trois instituts Goethe en France (Bordeaux, Lille et Strasbourg) –, le Forum pour l’avenir franco-allemand (voir encadré ci-dessous), le comité de coopération transfrontalière (qui a récemment vu son avis du 31 mai 2021 sur l’apprentissage transfrontalier prendre forme l’été dernier – voir notre article du 25 juillet 2023) et le conseil franco-allemand d’experts économiques (qui plaidait en septembre pour que l’Europe fasse "de la simplification et de l’accélération les procédures européennes pour l’octroi des aides [économiques] une priorité" face à l’Inflation Reduction Act américain). "C’est […] dans le domaine de la société civile que le traité a eu des effets positifs et a fait naître ainsi un sentiment de renouveau", conclut-elle. Pour autant, ces "accomplissements" n’emportent pas toujours pleinement sa conviction. Ainsi juge-t-elle par exemple que le Forum pour l’avenir franco-allemand, "qui à l’origine devait être un élément phare du traité, doit gagner en portée et en visibilité".

… qui peinent à cacher de nombreuses défaillances, négligences et lacunes

Mais la fondation déplore surtout "de nombreuses défaillances dans la mise en œuvre" du texte. Parmi les nouveautés qu’elle juge ainsi "négligées ou tout juste mises sur les rails", figurent "les clauses d’expérimentation dans la coopération transfrontalière ainsi que les différentes mesures visant à instaurer une zone économique commune, qui attendent toujours d’être appliquées". Tout sauf un détail. S’agissant des premières, la fondation déplore le "manque de courage pour prendre les risques juridiques et politiques nécessaires à la mise en place de dérogations (surtout en France)". Elle recommande notamment de "se référer beaucoup plus au traité pour attirer l’attention politique des capitales sur les collectivités locales et en obtenir des ressources", tout en considérant par ailleurs qu’il "s’agit d’un traité à la portée limitée". D’ailleurs, la fondation met en relief les "lacunes" originelles de l’accord, observant que "certains thèmes ont manifestement suscité de telles dissonances lors de l’élaboration du traité qu’ils n’ont pas du tout été évoqués". "Par exemple, tout ce qui a trait aux questions migratoires, à la politique sociale ou à l’engagement conjoint de la France et de l’Allemagne en dehors de l’Europe." Rien de moins. 

Un gouffre qui se creuse

Las, ces dissonances ne cessent de gagner en volume. La fondation dénonce ainsi "un manque de confiance mutuelle depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie", visant en particulier "les divergences ouvertes sur la question de la coopération européenne, et dont la politique énergétique constitue le dernier exemple en date". Et de conclure : "Il y a un gouffre entre l’ambition du traité et sa réalité." Plus largement, c’est le gouffre entre les deux pays qui semble ne cesser de se creuser. Entre autres, l’annonce début 2022 de l’achat par l’Allemagne d’avions de combat à l’américain Lockheed-Martin avait singulièrement refroidi Paris.
Et si, l’an passé, la célébration du 60e anniversaire du traité de l’Élysée avait pu laisser espérer une réconciliation du duo franco-allemand (voir notre article du 24 janvier 2023), l’on vit rapidement qu’elle n’était que de façade, le chancelier Olaf Scholtz n’hésitant pas à revenir dans la foulée sur des engagements qu’il venait tout juste de prendre, dans le domaine de l’énergie notamment (voir nos articles des 2 et 14 février 2023). Dans une intervention (voir la 23e minute) remarquée au Parlement européen, prononcée le 9 mai 2023 en présence de ce dernier, le député François-Xavier Bellamy (PPE) avait, en moins de 90 secondes, souligné l’ampleur de la cassure à l’œuvre, dénonçant le cavalier seul allemand.

2024, année des retrouvailles ?

L’année qui s’ouvre sera riche d’événements entre les deux pays, sur lesquels l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (Ofaj) entend capitaliser : visite d’État d’Emmanuel Macron fin mai – celle qui n’avait pu se tenir début juillet pour cause d’émeutes en France –, commémorations des 80 ans du débarquement allié en Normandie, du massacre d’Oradour-sur-Glane et de la Libération de Strasbourg ou encore des 35 ans de la chute du Mur, Euro de football en Allemagne et Jeux olympiques et paralympiques en France, sans compter les élections européennes. Démocratie, travail de mémoire et sport seront ainsi les trois axes qui structureront les actions de l’office en 2024 et, est-il espéré, devraient contribuer à resserrer les liens. Il en faudra toutefois bien davantage.

À l’épreuve des crises

Et ce, d’autant que 2024 risque d’être une nouvelle année de mise à l’épreuve pour le duo franco-allemand, alors que la guerre en Ukraine se poursuit et que les difficultés volent en escadrille sur les deux pays. À cinq mois des élections européennes, les sondages en faveur du RN et de l’AFD et la grogne des agriculteurs des deux côtés du Rhin inquiètent. Victime de ses choix énergétiques et d’une tendance mondiale au repli sur soi, l’Allemagne, naguère moteur économique de l’Union, est à la peine, avec une croissance en berne (- 0,4% au troisième trimestre 2023 par rapport à la même période l’année précédente selon Eurostat ; + 0,6% pour la France). Si son ministre des Finances a refusé, à Davos, de la voir comme "un homme malade", il concède qu’elle est un "homme fatigué" qui "a besoin d’un bon café, c’est-à-dire de faire des réformes structurelles", et notamment de "résoudre la question de la dette et du déficit", surtout suite à la récente décision de la Cour de Karlsruhe. Une question tout sauf anodine à l’heure où l’Union, dont l’Allemagne reste le premier "contributeur net", peine déjà à rembourser, pour l’heure, les seuls intérêts d’emprunt du plan de relance (voir notre article du 12 mai 2023). Et d’autant moins anodine que la situation du deuxième contributeur net – la France – est encore bien moins enviable en la matière (d’après Eurostat, au troisième trimestre 2023, le déficit allemand était estimé à 0,9% de son PIB, contre 4,8% en France ; la dette allemande était égale à 64,8% de son PIB, contre 111,9% pour la France ; le taux d’inflation annuel était par ailleurs de 2,3% en Allemagne en novembre, contre 3,9% en France).
 

  • Le Forum pour l’avenir franco-allemand veut réinventer l’espace urbain

Après avoir travaillé à l’accélération de la transition écologique et sociale (voir notre article du 12 mai 2022), le Forum pour l’avenir franco-allemand a planché l’an passé sur l’urbanisme durable, et vient de rendre ses "recommandations politiques" pour "Redistribuer et utiliser l’espace urbain !". Au nombre de sept, elles visent : à renforcer le caractère obligatoire d’une "infrastructure verte" (englobant des espaces naturels comme des marais ou des lacs et des zones semi-naturelles telles que des prairies alluviales, des forêts, des parcs…) de qualité ; à mettre les outils de maîtrise foncière (notamment les établissements publics fonciers) ainsi que les espace publics au service de la transition, à renforcer la culture de participation de l’amont à l’aval des projets (notamment en créant des "fonds de participation" pour financer ces processus ou en introduisant un "droit d’interpellation citoyenne" pour obliger les élus à rendre des comptes sur l’issue de cette participation), à optimiser les usages de la voirie en faveur du développement durable (en faisant notamment du 30km/h en ville la norme ou en ouvrant aux régions françaises agissant en tant qu’autorités organisatrices de la mobilité l’éligibilité au versement mobilité), à renforcer le financement des transports publics (notamment via l’extension du stationnement payant pour alimenter un fonds pour la mobilité durable ou encore en introduisant une éco-redevance poids lourds) et enfin à promouvoir l’expérimentation et les solutions transitoires en matière d’urbanisme.

 

 

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