Verdissement de la commande publique : le décret publié
Le décret d’application de la loi Climat relatif au verdissement de la commande publique vient d’être publié, actant notamment la fin du critère unique du prix pour sélectionner des offres, la possibilité d’exclure des candidats n’ayant pas dûment établi leur plan de vigilance ou révisant la procédure de collecte des données. Moins attendu, il divise également par deux le seuil à partir duquel les collectivités (parmi d’autres) sont soumises à l’obligation d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser).
Le décret d’application de l’article 35 de la loi Climat et Résilience, relatif au verdissement de la commande publique, vient de paraître, avec deux mois de retard sur le calendrier annoncé. Lors de l’examen du projet de loi, les parlementaires – tant à l’Assemblée (voir notre article du 7 avril 2021) qu’au Sénat (voir notre article du 7 juin 2021) – avaient multiplié les propositions en la matière, foisonnement que le gouvernement avait eu bien du mal à contenir. Si toutes, loin s’en faut, n’ont pas été retenues, les modifications n’en restaient pas moins conséquentes (voir notre article du 21 septembre 2021). Et le décret ajoute – un peu – à ces changements.
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Un Spaser dès 50 millions d’euros d’achats publics
Le texte abaisse en effet, à compter du 1er janvier 2023, de 100 à 50 millions d'euros le montant annuel des achats à partir duquel les collectivités territoriales (parmi d’autres) adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser). Un abaissement attendu de longue date, et qui avait été proposé par amendement lors de l’examen du projet de loi Climat. Il avait alors été toutefois écarté par le gouvernement, au double motif que la mesure relevait du règlementaire et qu’elle était "prématurée".
"L’objectif est de nous donner trois ans pour abaisser le seuil de 100 millions d’euros au-dessus duquel les acheteurs publics doivent se doter d’un Spaser", prévenait même lors des débats la rapporteure thématique, Cendra Motin (LREM, Isère). La secrétaire d’État Olivia Grégoire avait néanmoins indiqué qu’une réflexion interministérielle sur l’abaissement du seuil avait été lancée et qu’elle attendait en outre les recommandations de la mission de la sénatrice Nadège Havet et de la députée Sophie Beaudouin-Hubière sur les achats socialement et écologiquement responsables. Sans surprise – puisque l’amendement visant l’abaissement du seuil était défendu par Sophie Beaudouin-Hubière –, ladite mission avait préconisé un tel seuil de 50 millions (voir notre article du 25 octobre 2021), dont le temps est désormais venu.
Reste à veiller à la mise en œuvre, alors qu’un rapport de janvier 2020 du Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire relevait qu’au 31 décembre 2019, seules 20% des 160 communes assujetties (selon ses calculs) avaient rempli leurs obligations. À l’inverse, on relèvera que certaines collectivités non soumises jusqu’ici à cette obligation ont adopté une telle démarche de façon volontaire, comme la ville de Tours. Le nombre de collectivités concernées devrait, selon le ministère de l’Economie cette fois, passer de 120 à 300. Le coût de la mesure est estimé entre 7.600 et 19.000 euros par collectivité l’année de l’établissement du schéma.
Notons par ailleurs que le décret précise que ce montant est désormais déterminé en prenant en compte "les dépenses effectuées au cours d’une année civile".
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Critères d’attribution/choix de l’offre : fin du "prix unique"
Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur devra désormais se fonder sur un ou plusieurs critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution qui peuvent être :
- soit le critère unique du coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 et qui prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre (nouvelle rédaction) ;
- soit une pluralité de critères parmi lesquels figurent le prix ou le coût. Au moins l'un d'entre eux prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre. Ces critères peuvent également comprendre des aspects qualitatifs ou sociaux. Ces critères pouvant toujours porter sur la qualité, les délais d’exécution, les conditions de livraison, etc. (critères ici non modifiés).
Le prix ne peut donc plus être le seul critère de choix, comme il pouvait l’être jusqu’ici pour l’achat de services ou de fournitures standardisées.
Dans la même veine, pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante devra désormais se fonder sur une pluralité de critères non discriminatoires dont au moins l'un d'entre eux prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre. Au nombre de ces critères peuvent toujours également figurer des critères sociaux ou relatifs à l'innovation.
L’ensemble de ces dispositions entrent en vigueur le 21 août 2026 (date pouvant être modifiée par décret) et s'appliquent aux marchés et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d'appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de cette date.
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Enchères électroniques
Logiquement, une telle enchère ne peut désormais plus porter "uniquement sur le prix lorsque le marché est attribué sur la base de ce seul critère" (disposition supprimée), mais devra porter "sur le prix ou sur d'autres éléments quantifiables indiqués dans les documents de la consultation". Sauf pour les marchés de défense ou de sécurité, pour lesquels les anciennes conditions restent en vigueur. Ces dispositions entrent en vigueur dans les mêmes conditions que celles précédemment évoquées.
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Informations : un portail de données et un rapport enrichi du concessionnaire
L’acheteur doit désormais publier sur le portail national de données ouvertes les données essentielles des marchés répondant à un besoin dont la valeur est égale ou supérieure à 40.000 euros hors taxes dans les deux mois suivant la notification du marché ou sa modification. Ces données portent toujours sur la procédure de passation du marché, le contenu du contrat et l’exécution du marché, et, le cas échéant, sur sa modification.
En conséquence, c’est à partir des données de ce portail que l’observatoire économique de la commande publique devra fonder ses analyses. Disparaît également l’identifiant unique qui devait identifier chacun des contrats recensés.
Là encore, des dispositions particulières sont prévues pour les marchés de défense ou de sécurité, pour lesquels la liste des données communiquées à l’observatoire sont fixées par arrêté.
On relèvera que le projet initial fixait le seuil à 25.000 euros, finalement revu à la hausse face aux "réserves et vives inquiétudes" exprimées par les acheteurs publics, notamment relayées par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). Ce dernier s’est prononcé défavorablement sur le texte, à deux reprises, "notamment afin de ne pas encourager le gouvernement à faire du droit de la commande publique le vecteur de l’ensemble des politiques publiques", appelant en outre à "une réelle simplification du code de la commande publique". Le CNEN déplorait en outre de ne pas avoir eu de présentation dudit portail, et s’interrogeait en conséquence "sur le bénéfice réel de cette simplification apparente s’agissant notamment des modalités pratiques de saisine des données sur le portail".
Comme pour les marchés, les données essentielles des contrats de concession (portant sur la passation, le contenu, l’exécution et, le cas échéant, la modification du contrat) devront désormais être publiées sur le portail national. Le décret précise qu’elles devront être publiées "avant le début d'exécution du contrat ou dans les deux mois suivant sa modification".
En outre, le décret reprend peu ou prou le texte de la loi, en indiquant que le rapport produit chaque année par le concessionnaire doit comprendre "une description des mesures [que ce dernier aura mises en œuvre] pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution du contrat".
Cette dernière disposition (le rapport) entre en vigueur le 21 août 2026 (date pouvant être modifiée par décret) et s’applique aux contrats pour lesquels un avis d'appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de cette date. Les autres dispositions entrent en vigueur à une date fixée par un arrêté du ministre chargé de l'Economie et au plus tard le 1er janvier 2024 et s'appliquent aux marchés et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d'appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de cette date.
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Entrée en vigueur de la possible exclusion d’un candidat faute de plan de vigilance dûment réalisé
Le décret précise enfin que les dispositions prévoyant que l’acheteur/l’autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d’un marché/d’un contrat de concession les personnes qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance entrent en vigueur le 4 mai 2022.
Références : décret n°2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique, J.O du 3 mai 2022, texte n°17. |