Ursula von der Leyen propose officiellement de piocher dans les fonds de la politique de cohésion pour la défense
Les craintes récemment exprimées par le Comité européen des régions ont pris corps : dans sa proposition d’un nouveau plan pour réarmer l’Europe, la présidente de la Commission européenne suggère de profiter de la révision à mi-mandat des programmes de la politique de cohésion pour réorienter une partie des fonds vers la défense. Une piste également préconisée par le président Macron. Le plan d’Ursula von der Leyen se veut toutefois bien plus large, et promet d’âpres discussions au Conseil européen de ce 6 mars.

© European Union, 2025/ Ursula von der Leyen
"L'heure est au réarmement." Si le doute n’était guère de mise, Ursula von der Leyen l’a définitivement balayé ce 4 mars, en adressant aux dirigeants de l’Union, en amont du Conseil européen de ce 6 mars, une lettre présentant les grandes lignes de son plan "ReArmEurope" qui vise à "utiliser tous les leviers financiers" à la disposition de l’Union pour "aider les États membres à augmenter rapidement et significativement leurs dépenses en matière de capacité de défense".
Desserrer la ceinture des déficits
Premier volet de ce plan, attendu, l’activation de la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance, qui "permettra aux États membres d’augmenter sensiblement leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure de déficit excessif" – pour les États membres qui, comme la France, ne seraient pas déjà sous le coup de cette procédure. La mesure entend répondre aux appels à augmenter la part du PIB consacrée à la défense qui ne cessent de se multiplier. "Depuis trois ans, les Russes dépensent 10% de leur PIB dans la défense. On doit donc préparer la suite", expliquait le 2 mars au Figaro le président Emmanuel Macron, en évoquant un objectif autour de "3, 3,5% du PIB", contre 2,1% attendus en France en 2024. D’après les chiffres de la CIA, seules la Pologne (4,1%), l’Estonie (3,4%), la Lettonie (3,2%) et la Grèce (3,1%) auraient, dans l’Union, dépassé la barre des 3% en 2024. Reste à connaître les contours exacts de la proposition. Dans un entretien à La Repubblica du 28 février, le commissaire à l'économie Valdis Dombrovskis aurait ainsi plaidé pour distinguer le cas des États membres qui dépensent déjà 2% du PIB des autres. Entendre, seuls les premiers pourraient bénéficier de cette "clause d’évasion". Ce qui exclurait notamment l’Italie (1,5%) et l’Espagne (1,3%)… et ne favoriserait guère l’objectif de réarmement poursuivi.
Déshabiller Pierre pour habiller Paul
Deuxième volet, redouté (voir notre article du 21 février), la possibilité de – voire l’incitation à – puiser dans les programmes de la politique de cohésion. "La révision à mi-mandat des programmes de la politique de cohésion constitue une opportunité", souligne la présidente de la Commission. Outre les simples transferts de fonds, elle évoque comme pistes la suppression de l’interdiction d’aider les grandes entreprises du secteur de la défense ou encore l’augmentation des taux de pré-financement et de co-financement. Le recours à la politique de cohésion comme succédané est désormais une habitude (de CRII/CRII+ à Step, qui pourrait être à nouveau sollicitée - voir encadré – en passant par Care, Fast-Care, ReactEU, RepowerEU…), contre laquelle le Comité européen des régions a bien tenté une fois encore de s’élever. En vain. "Détourner les fonds de la cohésion serait une erreur catastrophique", a encore alerté ce 4 mars Kata Tüttő, sa toute nouvelle présidente. Emmanuel Macron y est, lui, favorable, arguant, toujours auprès du Figaro, qu’il "y a les fonds de cohésion, structurels et des fonds de programmes existants qui ne sont pas utilisés". Singulièrement en France, d’ailleurs (voir notre article du 13 février). Sur X, l’ancien vice-président polonais du Parlement européen Zdzisław Krasnodębski indique que le commissaire Dombrovskis a également proposé publiquement de "reprogrammer 93 milliards d'euros de prêts inutilisés du programme post-Covid de l'UE pour financer la défense". Mais la piste semble avoir été, depuis, abandonnée.
Nouvel instrument
Troisième volet, un énième "nouvel instrument" – la "fragmentation" des programmes dénoncée par la Commission elle-même (voir notre article du 17 février) a de beaux jours devant elle –, à travers lequel "150 milliards d’euros de prêts pourraient être accordés aux États membres". L’instrument serait établi grâce à la procédure d’urgence prévue par l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’UE, et s’appliquerait aux "domaines capacitaires prioritaires pour lesquels une action est nécessaire au niveau européen, en accord avec l’OTAN : défense aérienne et antimissile, systèmes d'artillerie, missiles et munitions, drones et systèmes anti-drones, protection, y compris spatiale, des infrastructures stratégiques, mobilité militaire, cyber, intelligence artificielle et guerre électronique". Un instrument dont on peine pour l’heure là encore à déterminer l’architecture, puisque la présidente de la Commission évoque également un "système de passation conjointe des marchés" qui permettra non seulement de "mutualiser la demande" mais aussi de "procéder à des achats communs". Un premier pas vers une armée européenne ? Outre la diminution des coûts, Ursula von der Leyen souligne qu’il permettrait ainsi de "réduire la fragmentation, d’accroître l’interopérabilité et de renforcer notre base industrielle de défense". Pour peu que le matériel acheté soit européen… Là encore, l’idée est soutenue par le président français, qui se fait plus précis : "Je veux qu’on puisse donner mandat à la Commission d’utiliser des financements innovants. C’est-à-dire soit des emprunts communs, soit le mécanisme européen de stabilité, pour lever ensemble des montants considérables. Il nous faut sans doute, dans un premier temps, 200 milliards d’euros pour pouvoir investir", précise-t-il toujours au Figaro.
800 milliards ?
De son côté, Ursula von der Leyen estime que "le plan ReArm Europe pourrait permettre de mobiliser près de 800 milliards d’euros pour une Europe sûre et résiliente". Un montant qui a d’emblée aiguisé l’appétit de Renaud Muselier, président de la région Paca, qu’il érige au passage en "première région militaire de France". Sur X, l’élu lance ainsi : "La Commission européenne vient d’annoncer un plan […] doté de 800 milliards ! […]. La région Sud […] s’organise immédiatement pour aider ses entreprises et ses forces à aller chercher ces crédits, en lien avec l’État." Reste que de 800 milliards, pour l’heure, il n’y a pas. D’une part, dans un procédé désormais usuel, la présidente de la Commission européenne comptabilise dans ce montant "les capitaux privés" qui seraient mobilisés (c’est un 4e pilier de son plan, auquel s’ajoute un dernier : solliciter la Banque européenne d’investissement). D’autre part et surtout, l’on ignore encore si le plan ReArm Europe sera bel et bien adopté, et le cas échéant sous quelle forme.
L’Europe, combien de "divisions" ?
D’abord, les Frugaux ne sont guère favorables à l’idée d’une nouvelle dette commune. Ensuite, plusieurs États membres n’entendent guère renoncer à leurs prérogatives en matière de défense, d’autant plus si la "reine Ursula", dont les velléités centralisatrices sont redoutées, est à la manœuvre. Sans compter, à plus court terme, les oppositions de fond sur la poursuite de la guerre en Ukraine. Ce 4 mars, le premier ministre hongrois Viktor Orbán relevait ainsi sur X le "fossé stratégique, [la] "fracture transatlantique entre la majorité de l'Europe et les États-Unis du président Trump. Un côté insiste pour prolonger la guerre en Ukraine, tandis que l'autre cherche à mettre fin au conflit". Et de prévenir : "La Hongrie continue de défendre fermement la paix !" Le 2 mars, il avait été plus explicite encore, toujours sur X, jugeant la décision de poursuivre la guerre "mauvaise, dangereuse et erronée". Dans une lettre qu’il aurait adressée au président du Conseil Antonio Costa le 1er mars, il aurait ainsi proposé que le Conseil du 6 mars n'adopte pas de conclusions écrites sur l’Ukraine, sauf à "projeter l’image d’une Europe divisée".
> En soufflant sa 1re bougie, la Commission européenne veut élargir le périmètre de StepCe 4 mars, la Commission a célébré la première année de Step, la plateforme technologique stratégique pour l’Europe qui vise à réorienter les fonds de 11 programmes de l’Union pour soutenir le développement des technologies critiques dans les domaines de la "deep tech", des "technologies propres" et économes en ressources et des biotechnologies. "Au cours de l’année écoulée, plus de 15 milliards d’euros" ont pu être mobilisés dans ce cadre, se félicite la Commission. 9,1 milliards via 5 programmes gérés directement par la Commission – Horizon Europe, le programme UE pour la santé (EU4Health), le fonds européen de défense, le programme pour une Europe numérique (Digital Europe) et le fonds pour l’innovation – et 6,1 milliards d’euros via la reprogrammation de fonds de la politique de cohésion conduite par 11 États membres. En France, deux programmes régionaux du FSE+ (en Île-de-France, 13 millions d’euros, et dans les Hauts-de-France, 34 millions d’euros) et un programme du Feder (en Île-de-France, 35 millions d’euros) ont ainsi été reprogrammés. Dans sa lettre aux dirigeants de l’UE, Ursula von der Leyen suggère d’exploiter davantage encore le dispositif en élargissant son champ d’application à "toutes les technologies pertinentes pour le secteur de la défense". |