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Urgence sanitaire : le Sénat vote un aménagement de la responsabilité des élus

Dans le cadre de son examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, le Sénat a donné son feu vert lundi soir, contre l'avis du gouvernement, à un aménagement du régime de responsabilité pénale des élus locaux, fonctionnaires et employeurs qui seront amenés à prendre des mesures pour permettre la sortie du confinement.

Lors de l'examen en première lecture du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire (voir notre article du 4 mai), le Sénat a validé le dispositif proposé par le rapporteur Philippe Bas, président de la commission des Lois, rejetant du même coup l'amendement du gouvernement visant à le supprimer. L'amendement du gouvernement a été rejeté par 327 voix contre et zéro pour. 13 des 23 sénateurs LREM se sont abstenus, et 10 ont voté contre.

L'amendement sénatorial adopté, porté par la commission des Lois, stipule que pendant l'état d'urgence sanitaire "nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée" pour des contaminations par le coronavirus, sauf en cas d'intention délibérée, imprudence ou négligence. "Nous ne pouvons pas déconfiner sans protéger l'exercice des responsabilités qui seront prises par beaucoup de Français et qui les dépassent", a déclaré Philippe Bas, soulignant que "ce n'est pas une exonération totale de responsabilité pénale".

La garde des Sceaux Nicole Belloubet a repris l'argumentaire développé lundi après-midi par le Premier ministre (voir notre article) selon lequel le droit actuel prévoit déjà de limiter la responsabilité pénale des acteurs publics et privés en cas d'infraction non intentionnelle. "Le gouvernement est disposé à ce que la loi puisse être précisée, mais il me semble qu'il faut encore travailler la réponse apportée", a-t-elle ajouté. Edouard Philippe avait déclaré dans l'après-midi souhaiter conserver "l'équilibre" actuel de la loi Fauchon tout en s'en remettant à la "sagesse" des parlementaires pour "trancher" si la question devait être abordée à l'occasion d'un amendement ou "d'un texte spécifique".

"Il n'est pas question de placer les élus au-dessus de la loi", a martelé le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau. "Vous ne créerez pas de confiance si vous ne réassurez pas les maires (...) nous ne céderons pas sur ce point-là", a-t-il lancé à l'adresse de la ministre.  "Nous avons pris en compte tous les décideurs", a souligné de son côté Hervé Marseille, président du groupe centriste, pour qui "il faut accompagner" leur action.

"Comment ne pas entendre ce que nous disent les élus locaux tous les jours", a demandé à gauche Jean-Pierre Sueur (PS), relevant que les élus "n'ont pas été associés" par exemple aux règles concernant la réouverture des écoles, et "doivent pourtant agir en vertu des règles édictées par l'Etat". Le PS aurait toutefois souhaité un dispositif spécifique aux élus locaux et avait préparé son propre amendement en ce sens.

L'Association des maires de France (AMF) a dans la foulée fait savoir que la disposition adoptée par le Sénat "répond de manière équilibrée aux préoccupations des maires" comme elle répond "aux attentes des acteurs du monde économique comme cela a été rappelé par la Confédération des petites et moyennes entreprises". Elle permet, estime l'AMF, de "circonscrire la responsabilité des élus à la faute intentionnelle, ou par imprudence ou négligence, ou aux cas de violation délibérée de la loi", sans les exonérer de leur responsabilité.

10 et non 24 juillet

Le Sénat a par ailleurs voté la date du 10 juillet retenue par la commission pour le terme de la prolongation de l'état d'urgence, alors que le texte initial du gouvernement le prorogeait jusqu'au 24 juillet. "Deux mois à compter de la date du déconfinement, c'est un argumentaire qui peut s'entendre", a estimé le ministre de la Santé, Olivier Véran, précisant que "le débat suivra son cours à l'Assemblée nationale". Les députés LR en font un "point dur", a indiqué mardi leur chef de file Damien Abad, qui en appelle à une prolongation au 10 juillet au maximum. 

Contre l'avis du gouvernement, le Sénat a en outre adopté un amendement de Maryse Carrère (RDSE à majorité radicale) visant à écarter du placement préventif en quarantaine à leur arrivée dans l'Hexagone les Français des collectivités et territoires d'outre-mer.

Le controversé article 6 était au menu ce mardi 5 mai en séance. Il prévoit la création d'un "système d'information", destiné à identifier les personnes infectées ou susceptibles de l'être, ainsi que celles qui ont été en contact avec elles, afin de remonter les chaînes de contamination. "Si la loi intervient, c'est uniquement pour lever les obstacles touchant au secret médical", en raison du grand nombre d'intervenants dans ce "tracing", a réexpliqué le ministre.

Les sénateurs ont balisé la dérogation ainsi accordée au secret médical en limitant la durée - celle de l'état d'urgence sanitaire -, et le périmètre - uniquement les données concernant l'infection. Ils ont refusé d'habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnances sur cette question et ont créé une instance de contrôle. Ils ont encore prévu la possibilité dans certains cas de refuser d'être inscrit au fichier de suivi. Par la voix de Damien Abad, les députés LR ont averti mardi qu'ils voteraient contre le projet de loi si la réécriture du Sénat sur le fichier de suivi n'était pas retenue.

Enfin, le Sénat a enrichi le projet de loi de nouveaux éléments. Il a ainsi voté à l'unanimité un amendement PS pour que, dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de coronavirus, les femmes victimes de violences conjugales ne puissent pas être placées en quarantaine ou à l'isolement avec leur conjoint violent. Cet amendement a été défendu par l'ex-ministre des Familles Laurence Rossignol. Il précise que "si l'éviction du conjoint violent ne peut être exécutée, un lieu d'hébergement permettant le respect de leur vie privée et familiale leur est attribué". "J'ai appris à me méfier des évidences", a argumenté Laurence Rossignol, alors que le ministre de la Santé Olivier Véran faisait valoir que la disposition "est déjà dans la loi", car "c'est le droit commun".

Ou bien encore... des plages du Nord aux rivages méditerranéens, en passant par les côtes normandes et le littoral atlantique, les sénateurs ont longuement débattu de la possibilité de rouvrir l'accès aux plages et forêts. "Tout le monde aimerait aller à la plage, mais personne n'a envie d'attraper le virus", a mis en garde Olivier Véran. Un premier amendement, d'élus socialistes, proposait que le maire et le préfet puissent autoriser l'accès aux plages et plans d'eau, uniquement pour des pratiques sportives. Il a été rejeté. Le Sénat a en revanche adopté, contre l'avis du gouvernement, un amendement d'élus centristes prévoyant que dès la publication de la loi, un décret définisse les conditions dans lesquelles les plages et forêts seront ouvertes pour la pratique d'une activité sportive individuelle. L'un de ses auteurs, Loïc Hervé, a jugé important de rouvrir rapidement des endroits qui permettraient aux familles de "retrouver une vie la plus normale possible".

Le projet de loi devait donner lieu à un vote du Sénat ce mardi 5 mai tard dans la soirée, après une reprise des travaux à 21h30. Localtis y reviendra dans sa prochaine édition.

Brigades sanitaires : la Cnil place ses garde-fous

La présidente de la Cnil, Marie-Laure Denis, a énuméré mardi une série de garde-fous à respecter sur les futurs fichiers qui seront alimentés par les "brigades" sanitaires. Les brigades sanitaires interrogeront notamment les personnes se découvrant contaminées, pour identifier avec elles toutes les personnes croisées et les prévenir de leur risque de contamination. Le gouvernement va soumettre à la Cnil dans les prochains jours son projet de décret détaillant les données qui seront collectées et les fichiers qui seront constitués par ces brigades sanitaires.
Pour Marie-Laure Denis, la Cnil sera "particulièrement attentive à la durée des données qui seront conservées, et à la pertinence" de celles-ci.
Le projet de loi actuellement examiné par le Sénat prévoit que les données recueillies par les brigades sanitaires seront conservées au maximum un an. Mais peut-être que certaines données pourront être effacées, ou du moins rendues inaccessibles plus vite, a suggéré Marie-Laure Denis lors d'une audition à l'Assemblée nationale. Les données relatives à l'identification des "cas contacts" (croisés par une personne contaminée), ou certaines réponses des personnes contaminées n'ont pas forcément besoin d'être conservées aussi longtemps, a-t-elle expliqué. "Certaines données liées à des enquêtes achevées" autour d'un patient contaminé "devraient être supprimées dans un délai assez bref, bien avant la fin de l'épidémie", a-t-elle dit.
La Cnil demandera à voir le questionnaire que les brigades sanitaires proposeront aux personnes contaminées. "Il faudra donc donner des consignes très claires aux enquêteurs et sur ce qu'ils peuvent demander puis collecter" auprès des personnes contaminées, et "sur ce dont ils n'ont pas à connaître", a aussi souligné Marie-Laure Denis.
La Cnil sera "particulièrement attentive à éviter dans la mesure du possible que (...) les enquêteurs disposent de champs libres où ils mettraient des informations non nécessaires", a-t-elle expliqué.
La présidente de la Cnil diligentera également "des contrôles dès les premières semaines du dispositif", pour vérifier le respect des dispositions encadrant le travail des brigades sanitaires, a-t-elle prévenu. Elle a estimé par ailleurs qu'il serait "justifié" que le gouvernement consulte la Cnil, s'il décidait d'adopter de futures ordonnances relatives à ce sujet.

 

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