Uniforme à l'école : le serpent de mer met la tête sous l'eau… et s'apprête à refaire surface
Le rejet d'une proposition de loi visant à imposer un uniforme à l'école n'a fait qu'attiser les positions des parlementaires de tous camps. Au point que le débat devrait ressurgir, et très vite. Il pourrait même tirer les enseignements des quelques expériences menées en la matière…
Après un premier rejet en commission, c'est en séance publique à l'Assemblée nationale que la proposition de loi (PPL) visant à instituer dans les écoles et collèges publics le port d’une tenue uniforme aux couleurs de l’établissement scolaire a été rejetée le 12 janvier 2023. Serpent de mer des politiques éducatives, le port de l'uniforme à l'école pourrait toutefois ressurgir très prochainement…
Dans l'exposé des motifs, le député du Loir-et-Cher Roger Chudeau (RN) mettait en avant deux arguments en faveur de l'adoption de son texte : d'une part, un argument d'ordre socioéconomique : "L’existence au sein des établissements de marqueurs sociaux qui distinguent les élèves entre eux et révèlent les différences de niveau de fortune de leurs parents [qui] vient contrarier [l']ambition républicaine" de l'école publique, et d'autre part, un argument s'appuyant sur la défense de la laïcité : "Les tentatives répétées d’imposer dans les établissements publics des tenues à caractère religieux ou ethnique seront rendues vaines par l’adoption d’une tenue uniforme pour tous les élèves."
Une concurrence entre écoles, un coût pour les familles
L'adoption de trois amendements de suppression de l'article unique de la PPL a eu raison de celle-ci. Le premier, présenté par le groupe Écologistes Nupes, estimait que le choix de laisser à chaque établissement le soin de définir un vestiaire à ses couleurs, transforme l’uniforme "en vecteur de différenciation, incarnant sans conteste la mise en concurrence entre eux". Le second, présenté par le groupe LFI Nupes, mettait en avant "une nouvelle atteinte au principe de gratuité de l’école", l'achat d’un uniforme scolaire se faisant "aux frais des familles". Enfin, l'amendement du groupe Renaissance a plaidé le caractère "superfétatoire" de la PPL car aujourd'hui "rien n’empêche le port d’une tenue uniforme aux couleurs de l’établissement scolaire, y compris dans le secteur public".
En effet, depuis l'abandon en 1968 du port de la blouse par les élèves du premier degré – qui "visait d'abord à protéger les vêtements de l'encre et de la craie", selon Roger Chudeau –, les établissements peuvent inclure dans leur règlement intérieur l'obligation ou la possibilité de porter un uniforme. Cette faculté est toutefois peu employée, et avec des fortunes diverses.
Le cas martiniquais
Alors que depuis 2015 pas moins de sept propositions de loi ont tenté en vain de le rendre obligatoire, l'uniforme se porte bien en outre-mer, particulièrement en Martinique où l'obligation d'une tenue vestimentaire réglementée a été adoptée par près de 98% des collèges et lycées et une école primaire sur trois.
Par ailleurs, la question du coût de l'uniforme est traitée en Martinique. Ainsi, selon le rapporteur, "les fonds sociaux des collèges et les lycées participent à l'aide aux familles qui est simplifiée du fait de la dotation d'un trousseau dont la composition et le coût sont fixés". En outre, les tenues peuvent être revendues lors de bourses aux vêtements internes aux établissements.
De leur côté, deux écoles de Nouvelle-Calédonie sur trois exigent également le port d'une tenue vestimentaire réglementée.
L'échec de Provins
En métropole, les établissements scolaires qui imposent ou proposent un uniforme sont rares. Si quelques écoles privées ont ces dernières années rendu obligatoire le port d'une tenue – parfois une simple blouse –, dans le public, c'est surtout l'initiative de la ville de Provins (Seine-et-Marne) qui a retenu l'attention.
En janvier 2018, lors de la cérémonie de vœux aux habitants, le maire de Provins déclarait : "À l'heure où on a vu, peu à peu, l'école publique et laïque se détourner de la promesse républicaine d'égalité et d'excellence, une école où tous les enfants ont les mêmes chances, un vêtement unique pour tous peut être un signal d'un changement." L'édile annonçait dans la foulée qu'il consulterait les parents sur ce sujet.
En novembre de la même année, après qu'une majorité de parents d'élèves (62,4%) se furent exprimés en faveur d'une tenue scolaire unique, celle-ci entrait en vigueur dans les six écoles élémentaires publiques de la ville. Le prix du trousseau est fixé, pour dix vêtements, à 137 euros, à la charge des familles, la commune prenant toutefois en charge 50% du prix de la tenue dès le deuxième enfant. Les commandes sont alors gérées par le vestiaire municipal, lequel propose aussi une bourse d'échanges et de ventes entre les familles.
Refus de l'Éducation nationale
À partir de là, la communication de la ville sur la question de l'uniforme se fait beaucoup plus discrète. Et pour cause : de nombreux enfants font l'impasse, et parmi ceux qui ont acheté l'uniforme, très peu l'endossent. Avec le temps, il a quasiment disparu du paysage. Principale cause de cet échec : le refus de l'Éducation nationale de modifier le règlement intérieur des écoles concernées afin de rendre obligatoire le port de l'uniforme, au nom de la gratuité de l'école.
Alors, l'Éducation nationale, défavorable à l'uniforme à l'école ? Il semble que l'administration, en refusant la modification du règlement intérieur des écoles de Provins, ait suivi son propre avis, au détriment de la parole politique. En effet, en 2018, Jean-Michel Blanquer, alors ministre, jugeait "plutôt bien" l'initiative de Provins dans la mesure où elle émanait d'un "consensus local". Son successeur Pap Ndiaye, a récemment assuré que s'il était défavorable à une loi sur le sujet, "les établissements ont toute liberté, par une modification de leur règlement intérieur d’imposer, s’ils le souhaitent, une tenue scolaire", et qu'il ne s'opposerait pas à de telles modifications.
Une PPL déjà en voie de… Renaissance
Sur ce sujet lourd en symboles, pour lequel il existe une fracture entre droite et gauche, le groupe Renaissance, qui a voté contre le texte de Roger Chudeau, étudie pourtant depuis cet automne la possibilité de rédiger sa propre proposition de loi. Au Sénat, une PPL de la majorité LR a déjà été déposée en décembre 2022.
Pour réunir d'éventuels alliés sur cette thématique, les promoteurs des textes à venir devront faire preuve de doigté. Pour satisfaire les uns, il faudra agir sur le plan économique, en prévoyant la prise en charge des coûts par l'État ou la collectivité – à l'exemple de la ville de Troyes qui, début 2020, annonçait à l'issue d'une consultation des parents d'élèves qu'elle allait financer à hauteur de 50.000 euros l'achat de tenue pour ses écoliers, avant de suspendre ce projet. Pour convaincre les autres, il faudra encourager les initiatives en facilitant les modifications des règlements intérieurs des écoles et en s'assurant d'un consensus de la communauté éducative locale… sans rendre pour autant la mesure obligatoire dans toutes les écoles. Sans la recherche de ces équilibres, on n'a pas fini de voir le serpent de mer sortir la tête.