Culture / Patrimoine - Une Nuit des églises ce 5 juillet pour sauver un patrimoine français
Pour la quatrième année consécutive, l'Eglise de France, sous l'impulsion de la Conférence des évêques de France, organise samedi 5 juillet une "Nuit des églises" dans plus de 600 lieux de culte. Objectif de la manifestation : sensibiliser aux beautés d'édifices qui, pour certains, sont fermés le plus clair du temps, en l'absence de messes, de prêtres et de fidèles. Croyants ou non sont attendus en grand nombre pour pénétrer à la tombée de la nuit au sein d'une église éclairée de l'intérieur, portes grandes ouvertes pour accueillir tous ceux qui le souhaitent.
"L'Eglise est vraiment à sa place lorsqu'elle se fait proche des gens", rappelle Mgr Bernard Podvin, porte-parole des évêques de France. Mais si le domaine spirituel est bien entendu mis en avant dans cette nuit réservée au patrimoine religieux français - "une soirée qui s'achèvera par des moments plus spirituels tels que lecture de la Bible, lucernaire, chants et prières" - l'événement est également l'opportunité de se pencher sur ce patrimoine en danger.
Destruction patrimoniale
Plus de 40.000 églises catholiques sont recensées sur le territoire, et pour beaucoup d'entre elles la bataille pour résister au temps qui passe et qui abîme semble perdue d'avance. Désintérêt pour la pratique religieuse, des prêtres diocésains toujours moins nombreux (13.822 en 2011 contre 25.203 en 1990), et des communes qui ne peuvent plus subvenir aux coûts que réclame l'entretien des édifices.
Car si l'Eglise en est l'affectataire, ce sont les communes qui possèdent les églises construites avant 1905, en vertu de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, et sont par conséquent responsables de ce patrimoine. Lorsque la situation est pour une raison ou une autre inextricable, la démolition devient la règle d'usage. En 2013 en Maine-et-Loire par exemple, plusieurs églises du XIXe siècle ont été détruites. "Ces démolitions constituent toutefois un épiphénomène", reconnaît Maxime Cumunel, délégué général de l'Observatoire du patrimoine religieux. "Si de nombreuses communes, parfois rurales et modestes, restaurent et font vivre leurs églises de façon remarquable, à l'échelle nationale le patrimoine le plus ancien n'est pas toujours entretenu ou restauré à sa juste valeur", peut-on lire sur le site de l'Observatoire qui liste plus de 200 églises immédiatement menacées. "La seule incertitude reste désormais de savoir combien de monuments religieux seront détruits ou abandonnés d'ici à 20 ans, sachant que, sauf mobilisation majeure des Français, près de 5 à 10% de cet ensemble monumental pourrait avoir disparu à horizon 2030, soit entre 5 et 10 000 édifices", affirme l'observatoire.
Plan Eglises
Que ce soit dans les communes rurales ou au sein des villes importantes, l'état des lieux des édifices cultuels fait parler depuis une vingtaine d'années. "Le vrai sujet, ce n'est pas la destruction mais l'abandon des églises, que l'on ferme, dont on ne restaure pas la toiture, qui tombent en ruine", explique à l'AFP Maxime Cumunel, qui s'inquiète également de la situation de Paris où il dénonce un "abandon soft".
"Sur les 85 églises qui sont la propriété de la ville, je peux vous en citer au moins 20 dans un état épouvantable, du fait d'un sous-investissement chronique depuis les années 70. Vu la fréquentation de ces lieux et l'envergure touristique de la capitale, c'est indigne", juge-t-il, soulignant que le World Monuments Fund* a inscrit le 8 octobre 2013 à New-York deux églises parisiennes (Saint-Merri et Notre-Dame-de-Lorette) sur une liste de 67 édifices en danger dans le monde, attirant ainsi l'attention sur elles.
Face à ce problème, la municipalité dit préparer un "plan Eglises" qui pourrait s'élever à 80 millions d'euros sur la mandature (2014-2020), tout en espérant en faire un "levier" pour trouver d'autres financements privés. Un "plan Eglises" déjà mis en place dans les années 1990 face à l'urgence de la situation, et qui "s'est effiloché à partir de 2004 à tel point que les plus grandes églises de Paris nécessitent aujourd'hui plusieurs dizaines de millions d'euros de travaux", souligne l'observatoire. "On paye un déficit d'investissement des dernières décennies. Il faut que nous assumions notre responsabilité, c'est tout à fait normal, y compris sur une dizaine d'églises où c'est devenu très urgent", reconnaît Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris, chargé du patrimoine. "Mais autant en raison du contexte budgétaire que sur le fond, il n'apparaît pas incohérent que sur ce type de bâtiments, il y ait du mécénat."
Faudra-t-il reconvertir certaines églises en lieux culturels plutôt que cultuels pour pouvoir les conserver ? Pour l'historien Alain Croix, il faut "cesser de poser le problème en termes de conservation ou de destruction" et réfléchir davantage à la reconversion des lieux. Faut-il désacraliser les églises et suivre l'exemple du Québec, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de la Belgique où elles sont parfois vendues pour devenir des logements, bibliothèques, bars, restaurants voire discothèques ou temples du shopping ?...
Quoi qu'il en soit, les églises s'éclaireront de mille lumières à la tombée de la nuit ce 5 juillet, pour dissimuler les blessures du temps et prouver qu'elles ont encore de beaux restes...
Sandrine Toussaint avec AFP
* Le Fonds mondial pour les monuments est une organisation non-gouvernementale internationale et indépendante à but non-lucratif, créée en 1965 à New York, pour sauver les monuments les plus précieux du monde à la fois en aidant à leur restauration en collaboration avec les organismes officiels en charge de leur conservation, et en publiant tous les deux ans une liste de monuments en péril dont la survie est gravement compromise