Cinéma - Une nouvelle tentative de freiner la concurrence des multiplexes
L'arrivée des multiplexes puis du numérique ont considérablement chamboulé le paysage des salles de cinéma en France. Certes, le cinéma dans son ensemble ne se porte pas mal. Il a su résister à l'arrivée de la télévision, d'internet et des téléchargements légaux ou non, et des vidéos à la demande (VAD). Le nombre d'écrans a même augmenté en dix ans, passant de 5.253 à 5.508 entre 2002 et 2012. Soit 2.035 cinémas au total. Côté public, les plus de 50 ans sont de plus en plus friands des salles obscures et représentent aujourd'hui près du tiers des spectateurs. La fréquentation des jeunes de 15 à 25 ans a légèrement reculé, mais ils représentent 18,5% du total, en janvier 2014. Ce qui fait dire au sénateur de la Seine-Maritime Didier Marie, rapporteur pour avis sur le "projet de loi Pinel" que "l'ampleur du phénomène de désertion des salles obscures par les nouvelles générations, au profit d'autres supports tels que la vidéo à la demande (VAD) paraît donc (…) moins alarmante que certains commentateurs semblent le laisser entendre".
Si le public reste fidèle au cinéma, la répartition des salles pose aujourd'hui problème avec l'essor rapide des multiplexes depuis le milieu des années 1990. Selon le CNC (Conseil national du cinéma et de l'image animée), en 1993, on comptait 2 multiplexes en France, ils sont aujourd'hui 181.
Trois grands groupes
Le marché est fortement concentré entre trois grands groupes : Gaumont-Pathé, qui arrive en tête avec 70 multiplexes, dont 14 en région parisienne, le groupe Circuit Georges Raymond (CGR), qui possède près de 40 multiplexes et UGC avec une vingtaine de multiplexes. "L'implantation d'un multiplexe sur un territoire a des conséquences directes sur l'exploitation de petites salles de quartier, souvent indépendantes, qui ne parviennent plus à attirer suffisamment de spectateurs", souligne le sénateur, dans son rapport fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. "Il en va de l'avenir des salles indépendantes, de l'attractivité des centres-ville et de l'animation culturelle qui s'y développe", affirme-t-il. La majorité des salles qui ferment aujourd'hui sont des salles indépendantes. Ces dernières tentent de résister en diversifiant leurs activités : cycles de conférence, rencontre avec des réalisateurs, etc. Mais le "cinéma de quartier" campe dans ses derniers retranchements.
La répartition des salles fait ainsi apparaître des "déserts cinématographiques", comme il va des déserts médicaux ou commerciaux. Près de 70% des multiplexes sont installés dans les grandes agglomérations ou à leur périphérie. A l'inverse, les zones rurales sont très mal équipées. "La disparition des salles de cinéma dans ces territoires résulte de la fermeture de nombreuses salles indépendantes. Elle s'inscrit aussi dans un phénomène plus large de désertification des campagnes", déplore le sénateur. L'arrivée du numérique a accéléré la concentration des salles au détriment des salles indépendantes. La Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) relève l'existence de "symptômes inquiétants".
Réforme "louable mais partielle"
Suite à l'installation d'un multiplexe à Caen, en 1996, les pouvoirs publics ont tenté de freiner le phénomène en calant les ouvertures de salles sur les mêmes règles que les grandes surfaces. Ce sont les commissions départementales d'aménagement commercial, siégeant sur les projets cinématographiques, qui les délivrent. Au départ, toute salle de plus de 1.500 places devait faire l'objet d'une autorisation. Le seuil a été progressivement descendu jusqu'à 300 places en 2003. Mais toutes les mesures prises depuis se sont avérées insuffisantes. Initialement, le projet de loi Pinel relatif à l'artisanat au commerce et aux très petites entreprises n'abordait pas le sujet. Cependant, le gouvernement a fait adopter un amendement par les députés en première lecture visant à retirer les autorisations de l'urbanisme commercial pour les intégrer dans le Code du cinéma et de l'image animée (article 24 bis). Il renforce l'autonomie de décision des commissions départementales d'aménagement cinématographique. Cependant, pour le rapporteur Didier Marie, cette réforme est "louable mais partielle". Elle ne peut être regardée que "comme la première étape d'une réforme plus profonde de la législation française". Le projet de loi sera débattu au Sénat à partir du 16 avril.
Référence : avis n° 442 (2013-2014) de M. Didier Marie, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 9 avril 2014.