Un rapport de l'Assemblée souligne l'urgence à moderniser le cadre de la vidéoprotection
Des textes multiples, datés et inadaptés au développement de la vidéoprotection intelligente. Un rapport des députés Philippe Gosselin et Philippe Latombe souligne l'urgence à revoir de fond en comble le cadre juridique de la vidéoprotection. Ils souhaitent que la législation ne ferme pas totalement la porte sur le sujet explosif de la reconnaissance faciale.
Vidéosurveillance, lecture automatisée de plaques d'immatriculation, caméra piéton, drône... Chaque dispositif de captation d’images à des fins de sécurité publique a aujourd’hui sa loi à laquelle s'ajoute parfois une abondante jurisprudence. Tel est le premier constat du rapport sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité que viennent de remettre les députés Philippe Gosselin (LR) et Philippe Lacombe (Modem), mercredi 12 avril 2023.
Décrets manquants et textes obsolètes
Il en résulte pour les deux rapporteurs "une superposition normative manquant de cohérence et de lisibilité". En attendant la remise à plat qu’ils appellent de leurs vœux, il convient au moins de compléter l’existant. Les députés insistent ainsi sur l’urgente nécessité de prendre les décrets d’application de la loi du 24 janvier 2022 relatifs à l'utilisation des caméras embarquées et des caméras aéroportées. Ils invitent également à mettre à jour les exigences techniques auxquelles doivent satisfaire les systèmes de vidéoprotection qui datent de…2007. Les durées de conservation des images demanderaient aussi à être harmonisées "en fixant une durée de 30 jours quel que soit le vecteur de captation utilisé".
Clarifier les aides à la vidéoprotection
La vidéoprotection a ensuite été abondamment soutenue par l'État avec un budget passé de 1,1 milliard d’euros en 2013 à 1,7 milliards d'euros en 2022, en constante augmentation, aboutissant au déploiement de quelque 38.000 caméras en zone gendarmerie (rurales) et 52.000 en zone police. Les députés demandent cependant de clarifier les règles de financement de l’acquisition et de l’installation des systèmes de vidéoprotection par les collectivités territoriales. Ils s’interrogent en particulier sur la légalité des aides financières proposées par certains conseils régionaux alors que ces derniers n’ont pas de compétences en matière de police. Ils estiment que les commissions départementales de vidéoprotection ne publient pas assez d’informations sur leurs activités (avis, contrôles…). Ils suggèrent également de créer un socle d’hébergement "mutualisé et hautement sécurisé", au bénéfice des différents détenteurs d’images vidéo (opérateurs de transports, collectivités territoriales). Ils demandent enfin une étude indépendante sur l’efficacité opérationnelle de la vidéoprotection.
Retards préjudiciables pour la vidéoprotection intelligente
Les lacunes du cadre actuel sont particulièrement criantes sur la vidéoprotection dite intelligente ou augmentée, "ayant pour seule finalité de détecter des comportements considérés comme anormaux ou dangereux". Premier constat, l’absence de cadre juridique et le manque de données d’entrainement pour les algorithmes de traitement d’images ont abouti à des expérimentations décevantes (voir ci-dessous) et à un retard des industriels français sur ce domaine. Les députés se félicitent de l’adoption du projet de loi sur les JO – encore en attente de l’aval du Conseil constitutionnel – qui ouvre la voie à des expérimentations portant sur la détection d’évènements anormaux prédéterminés. Les députés estiment cependant qu’il ne sera pas opérationnel pour la coupe du monde de rugby de septembre 2023. Il faut en effet qu’un décret, pris avec l’avis de la Cnil, précise les cas d’usage et les finalités des traitements. Ils invitent également à saisir l’Anssi pour un audit avant tout usage de systèmes intelligents lors des JO. Quant à l’éventuelle généralisation de ces dispositifs, elle doit avoir pour préalable un bilan "exhaustif et objectif" de l’expérimentation.
Un fichier de photos pas à jour
Sur la reconnaissance faciale, le rapport constate que son usage est aujourd’hui marginal en France. Les deux députés justifient la reconnaissance faciale pour exploiter le fichier de Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), dans la mesure où, comme le rappelle le Conseil d’État, "il est matériellement impossible aux agents compétents de procéder manuellement à une telle comparaison". Ils constatent cependant que l’utilisation du fichier TAJ n’est pas suffisamment contrôlée, qu’il contient des images issues des réseaux sociaux et surtout, qu’il n’est pas correctement mis à jour, générant d’importants risques d’erreurs judiciaires. Concernant l’expérimentation niçoise, à l’occasion du carnaval, ils indiquent que la ville a fait état dans sa restitution, "d’un taux de fiabilité élevé et souligne que la solution prend en compte le vieillissement d’une personne" et marche y compris avec des photos en basse résolution. Des usages et expérimentations qui ne suffisent cependant pas à mettre la France au niveau de pays comme la Corée du Sud ou Israël.
Ouvrir davantage la vidéoprotection biométrique ?
Malgré les craintes exprimées par certains – les rapporteurs ont notamment auditionné l’association la Quadrature du Net farouchement opposée à tout usage de l’IA et encore plus de la biométrie en support de la vidéoprotection – les rapporteurs estiment "qu’il est possible de créer un cadre juridique autorisant l’usage de solutions de reconnaissance faciale comportant des garanties suffisantes pour préserver les libertés fondamentales des citoyens". Ils se font notamment le relais des demandes exprimées par les maires de Cannes et de Nice. Il s’agirait notamment de pouvoir tester des solutions de reconnaissance biométrique dans le cadre judiciaire, pour retrouver a posteriori un individu. Ils proposent d’étendre cette fonction à la recherche d’individus liés au crime organisé. Des propositions qui ne manqueront pas de faire réagir, la Cnil en tête. L’autorité indépendante est hostile à une extension de la reconnaissance faciale notamment du fait des bases de données d’images qu’elle induit et des risques de biais ou d’erreurs que les algorithmes pourraient générer.
Les députés constatent qu'aucun bilan exhaustif des expériences menées ces dernières années n’existe sur la vidéoprotection intelligente. Le bilan de celle menée à Reims a ainsi été présenté aux députés par Thales, l’industriel qui a installé ses propres solutions… "Cette expérimentation n’a semble-t-il fait l’objet d’aucune information de la part de la municipalité vis-à-vis des citoyens ni même du conseil municipal", déplorent-ils. Une "opacité" qui nourrit "les fantasmes et postures dogmatiques", soulignent-ils. Les députés se positionnent par ailleurs contre la captation de son (tentée à Saint-Etienne) car trop attentatoire aux libertés. |