Un plan pour lutter contre la fraude sociale
Trois semaines après l'annonce d'un premier plan de lutte contre la fraude fiscale, place comme prévu au plan contre la fraude sociale. Contre les fraudes, pourrait-on dire, l'attirail prévu par le gouvernement concernant aussi bien les cotisations sociales que les prestations de santé ou les allocations versées par les CAF. "Notre volonté est de regarder où sont les situations de fraude et y répondre, sans stigmatisation, sans instrumentalisation", avait affirmé lundi 29 mai au soir le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, en présentant le plan à des journalistes. Le chantier de lutte contre le non-recours aux prestations de solidarité étant quant à lui, on le sait, du côté de son collègue Jean-Christophe Combe.
Selon Bercy, la fraude sociale est évaluée à 8 milliards d'euros de prélèvements sociaux "éludés au titre du travail informel" (autrement dit ni fiscalisé ni déclaré), 2,8 milliards de prestations sociales versées par les caisses des allocations familiales, 200 millions par les caisses de retraite du régime général, et "entre 3 et 7% de certaines dépenses d'assurance maladie". Gabriel Attal se donne dix ans pour mener le chantier de la fraude sociale, avec une première étape en 2027 : "deux fois plus de résultats qu'en 2022", soit un objectif de trois milliards d'euros de redressements par an. Ces redressements ont selon lui déjà augmenté de 35% depuis cinq ans. Le gouvernement prévoit pour cela la création de 1.000 postes supplémentaires durant ce quinquennat et un investissement d'un milliard d'euros dans les systèmes d'informations.
Être en France neuf mois sur douze
Côté prestations sociales, le gouvernement entend entre autres cibler les retraités de plus de 85 ans vivant hors des frontières européennes afin de mieux identifier ceux qui sont décédés mais dont les proches continuent à percevoir des allocations. Plus globalement, le ministre a confirmé vouloir "renforcer" les conditions de résidence en France "pour bénéficier d'allocations sociales" – un sujet qu'il évoque depuis plusieurs mois déjà (voir notre article du 9 mars). Il faudra désormais passer neuf mois de l'année dans le pays, contre six actuellement, pour bénéficier des allocations familiales ou du minimum vieillesse. De même pour les aides au logement (APL) qui ne nécessitent aujourd'hui que huit mois de présence. Ceci sera inscrit dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. En sachant que pour le RSA, neuf mois sont déjà requis actuellement. Et qu'une mesure a déjà été théoriquement inscrite dans la précédente loi de financement de la sécurité sociale : le fait qu'"aucune prestation sociale soumise à condition de résidence sur le territoire français ne puisse être versée sur un compte étranger hors d’Europe". Le ministre compte bien veiller à ce qu'elle soit effective "à compter du 1er juillet prochain". Il souhaite en outre que les organismes de protection sociale puissent vérifier les listes de passagers des compagnies aériennes et puissent "accéder aux données des préfectures pour interrompre le versement de prestations à des étrangers dont le titre de séjour aurait été retiré".
Dans le même temps, "pour réduire drastiquement les erreurs de calcul et les déclarations frauduleuses, les CAF prérempliront à compter de 2025 les formulaires de demandes de RSA et de prime d’activité", mentionne un communiqué du gouvernement, évoquant "une simplification administrative majeure pour les allocataires de bonne foi".
Fusionner carte Vitale et carte d'identité ?
Concernant les cotisations sociales, le gouvernement entend augmenter les moyens des Urssaf pour limiter la fraude à travers des embauches et un meilleur croisement des données. "Le nombre d’actions de contrôles conduites auprès des entreprises doublera d’ici 2027", est-il indiqué, l'accent étant mis sur deux cas particuliers. D'une part la "fraude au détachement de travailleurs", d'autre part les micro-entrepreneurs. Il s'agirait là en l'occurrence de mettre en place un paiement à la source des cotisations des micro-entrepreneurs par les plateformes qui les font travailler, à l'instar d'Uber ou Deliveroo, sachant qu'un certain nombre sous-déclarent, ce qui représente selon le ministre "une bombe sociale à retardement".
Troisième volet du plan, la fraude aux prestations de santé. Avec plusieurs mesures à la clef : notification par mail ou sms des frais de santé facturés au nom de chaque assuré, possibilité de "déposer un signalement en cas d’usurpation d’identité ou de surfacturation de soins", sanctions accrues contre les professionnels de santé, programme national de contrôle des arrêts de travail… et, possiblement, fusion entre la carte Vitale et la carte d'identité afin de lutter contre les prêts ou les "locations" de cartes Vitale.
Là-dessus, les choses ne sont pas encore faites, loin de là : une mission de préfiguration sera lancée d'ici à l'été, ses conclusions étant attendues "d'ici la fin de l'année", a indiqué Bercy. "C'est ce vers quoi on va aller. Maintenant, la question, c'est comment et quand", a prudemment avancé Gabriel Attal mardi sur BFMTV, relevant les "difficultés" rencontrées par les Français pour obtenir rapidement une carte d'identité. Le ministre a fait valoir qu'une fusion de ces cartes est déjà effective en Belgique, au Portugal et en Suède. Cette proposition est issue d'un rapport des inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF) selon lequel "une migration du numéro de sécurité sociale vers les titres d'identité permettrait de répondre aux fraudes à l'usurpation", tandis que l'usage de la biométrie pour la carte Vitale "présenterait plus de difficultés que d'apports utiles" et son coût "serait prohibitif". "On découvre la mesure de fusion carte Vitale/carte d'identité qui est manifestement techniquement impossible à mettre en oeuvre et pour laquelle la Cnil est profondément opposée", avait tempéré lundi soir auprès de l'AFP un cadre de la place Beauvau sous couvert d'anonymat, pour qui "la solution reste la carte Vitale biométrique qui a été votée et qu'il faut mettre en place".