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Ressources humaines - Un maire peut-il recruter sa femme ou ses enfants ?

Dans une question écrite, le député François Grosdidier (UMP, Moselle) a demandé au ministre de l'Intérieur si un maire pouvait recruter "un parent" comme personnel municipal et quelles étaient les voies de recours contre un tel recrutement.

Un principe constitutionnel : l'égal accès aux emplois publics

Un premier élément de réponse se trouve à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tous les citoyens étant égaux (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". Deuxième élément de réponse : le statut de la fonction publique territoriale (loi n°84-53 du 26 janvier 1984) prévoit que les emplois publics territoriaux sont prioritairement pourvus par la voie du concours. Ce n'est donc que par exception à cette règle que les collectivités peuvent recruter un agent non-titulaire. Qu'il s'agisse de nomination d'un fonctionnaire ou de recrutement d'un contractuel, seul l'exécutif - en l'occurrence le maire - détient le pouvoir de nomination. Il lui revient donc de choisir la candidature retenue pour pourvoir l'emploi vacant.

Le risque pénal de prise illégale d'intérêt

Dans le cas où un maire souhaiterait recruter un parent, la voie contractuelle et celle du recrutement direct sans concours sont, indique le ministère de l'Intérieur, "indissociables d'un risque pénal résultant de l'intérêt moral qu'aurait ce maire à recruter un membre de sa famille". En effet, cette question est au croisement de trois sources juridiques : le statut de la fonction publique territoriale, le Code pénal qui définit la prise illégale d'intérêt (article 432-12) et le régime des actes des collectivités (article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales). Soulignons qu'il peut y avoir prise illégale d'intérêt sans que le maire ait un intérêt financier direct dans le recrutement : le délit de prise illégale d'intérêt "est caractérisé par la prise d'un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel" (Cass. Crim. 21 juin 2000, n 99-86871).

Ainsi, en 2006, le juge pénal a sanctionné un élu qui avait recruté ses deux enfants comme agents non-titulaires de sa collectivité. En privilégiant les intéressés au mépris des prescriptions légales, il avait pris un intérêt moral dans l'attribution de ces deux postes, alors qu'il avait la surveillance de ces opérations et en assurait le paiement. La circonstance que de tels recrutements auraient constitué une pratique courante dans les collectivités territoriales n'exonère pas l'élu du respect de la loi (Cass. Crim. 8 mars 2006 confirmant le jugement de la cour d'appel de Douai du 14 juin 2005, pourvoi n°05-85276).

La sanction du juge administratif : annuler l'acte de nomination ou le contrat

Par ailleurs, si seul le juge pénal peut dire s'il y a ou non prise illégale d'intérêt, le juge administratif peut aussi censurer un acte administratif si cet acte expose l'élu à une sanction pénale. Le 20 décembre 1995, le tribunal administratif de Besançon (instance n°951390) a ainsi considéré "qu'un conseil municipal ne peut légalement prendre une délibération qui, ayant pour objet d'autoriser un acte tel que le recrutement d'un agent conjoint du maire, exposerait celui-ci, en cas de réalisation effective de cet acte, à l'application de l'article 432-12 du code pénal ; que par suite, Mlle... et M.... sont fondés à soutenir que la délibération attaquée décidant du recrutement de la propre épouse du maire est illégale". 

Enfin, l'article L. 2131-2 du Code général des collectivités territoriales impose, dans le cadre du contrôle de légalité, la transmission au préfet de toutes les décisions individuelles relatives au recrutement de titulaires ou non-titulaires, à l'exception de celles prises dans le cadre d'un besoin saisonnier ou occasionnel. Sont également soumises à l'obligation de transmission au préfet certaines délibérations dont celles créant un emploi et prévoyant qu'il peut être occupé par un agent non-titulaire ou celles autorisant le maire à signer le contrat d'engagement d'un agent non-titulaire. Le préfet peut donc, s'il estime que les actes ainsi transmis sont contraires à la légalité, saisir le tribunal administratif dans le cadre d'un référé.

 

Hélène Lemesle

 

Références : Assemblée nationale, question écrite n° 75550 de François Grosdidier (UMP, Moselle). 

 

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