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Education - "Un lien étroit entre violence scolaire et relégation sociale"

Le ministre de l'Education a présenté, mardi 5 septembre, le plan national de lutte contre les violences scolaires. L'analyse de Cécile Carra, chercheur au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales) et professeur à l'IUFM du Nord-Pas-de-Calais.

Localtis.info : Les violences scolaires sont de plus en plus médiatisées. Pour autant, assiste-t-on réellement à une augmentation du phénomène ?

Cécile Carra : Malgré la mise en place en 2001 d'un logiciel de recueil des données Signa, les statistiques restent très délicates à manier. La carte des établissements les plus dangereux n'auraient jamais dû être divulguée en l'état. Ces classements peuvent avoir des conséquences multiples en termes de recrutement de personnel, par exemple, ou de "fuite de population" dans les établissements stigmatisés. Par ailleurs, les très bons établissements ne prennent pas la peine d'envoyer leurs statistiques. Cela pourrait ternir leur image ou freiner une carrière. Toutefois, on a aujourd'hui une connaissance plus fine du phénomène. Avec la médiatisation, on court le risque de la dramatisation. La très grande majorité des établissements français ne connaissent pas de problèmes. Les violences concernent 10% des établissements du secondaire, mais aussi du primaire.

Vous venez de réaliser une enquête de victimation auprès de 2.000 élèves et enseignants du Nord-Pas-de-Calais. Quels enseignements en tirez-vous ?

Plus que des problèmes de violence, les professeurs connaissent une véritable crise de reconnaissance. Autrefois, ils étaient considérés comme des notables. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas. Ils doivent faire face à un public très hétérogène, avec des difficultés qui se conjuguent et rendent leur tâche de plus en plus difficile. Beaucoup sont atteints dans leur autorité. Des parents vont jusqu'à remettre en cause leurs décisions pédagogiques.
Par ailleurs, on constate que la violence entre élèves est très largement ignorée par les statistiques officielles. Il y a un véritable décalage entre les données Signa et les déclarations des élèves.

La circulaire interministérielle du 16 août 2006, qui sert de support au plan national de lutte contre les violences scolaires, reprend la possibilité d'une permanence policière dans les établissements. Cette mesure peut-elle être dissuasive ?

On voit mal comment un policier peut intervenir en matière d'échec scolaire. On est toujours dans la logique dissuasion/répression expérimentée depuis de nombreuses années, sans résultat. Caméras, grilles électriques... on se trompe de cible. Toutes les études montrent que les violences de l'extérieur ne représentent presque rien. Les violences scolaires sont essentiellement le fait de personnes scolarisées dans l'établissement. On déplace le regard et, ce faisant, on déplace le problème. On s'intéresse à la violence contre les professeurs alors qu'elle reste assez rare. De la même manière, le contrat de responsabilité parentale récemment institué reporte le problème : c'est la faute des parents, de préférence de milieu populaire et relégués socialement. C'est une remise en cause de la place de ces familles.
On applique des réponses de ce type dans les pays anglo-saxons. Les Etats-Unis sont pourtant le pays le plus touché par les violences scolaires. Elles sont là-bas d'un autre niveau, c'est même devenu un problème de santé publique. La prévention revient toujours moins cher que la répression.

La circulaire insiste sur l'importance du partenariat dans le cadre des contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Or, on reproche souvent à l'Education nationale d'être peu impliquée dans ce dispositif...

Il y a toujours eu des difficultés pour l'Education nationale à s'impliquer dans des partenariats extérieurs. Cela peut être vécu comme une remise en question de ses compétences professionnelles. Force est de constater pourtant que les mentalités changent. L'éducation prioritaire a favorisé le travail en commun avec les travailleurs sociaux, la police ou la justice.

Avez-vous des exemples de pratiques efficaces pour lutter contre les violences scolaires ?

Les différentes enquêtes montrent le lien étroit entre violence scolaire et relégation sociale. La solution est d'ordre politique : est-ce qu'on veut lutter contre les inégalités ou pas ? Par ailleurs, de nombreuses écoles de quartiers relégués arrivent à s'en sortir, ce qui montre qu'il n'y a pas de fatalité. C'est le cas de ces ZEP qui vont passer en réseau réussite. Pourquoi ces établissement s'en sortent-il mieux ? Dans ces établissements, on constate une véritable approche pédagogique, une prise en compte de la réussite scolaire, un travail d'équipe. Je me suis penchée sur l'exemple de la "méthode Freinet", dans un établissement de Mons-en-Baroeul, dans la banlieue lilloise. Cet établissement fonctionne sur un mode coopératif où les élèves gèrent tout eux-mêmes. Les relations maître-élèves sont bouleversées. Un conseil d'enfants met en avant les problèmes. C'est lui qui prend les décisions adéquates en votant des sanctions ou des réparations.

 

Propos recueillis par Michel Tendil

Plan national, circulaire, guides pratiques... les violences scolaires sous haute surveillance

En déplacement dans le lycée professionnel d'Etampes (Essonne) où une enseignante avait été agressée l'an dernier, Gilles de Robien a décliné le contenu de la circulaire interministérielle parue le 31 août, censée constituer la "nouvelle pierre angulaire de l'action de lutte contre les violences scolaires". Rappelant que 82.000 actes de violence ont été recensés en 2005-2006, il a également présenté le nouveau guide pratique "Réagir face aux violences en milieu scolaire"  destiné au personnel éducatif, ainsi qu'un mémento spécifiquement conçu pour les chefs d'établissement. Ce mémento doit entre autres aider les chefs d'établissement à mieux hiérarchiser les faits signalés sur le logiciel Signa. La circulaire du 31 août leur demande d'ailleurs de renseigner systématiquement cette base de données pourtant critiquée.
Devant la communauté éducative réunie à Etampes, Gilles de Robien a insisté sur le caractère préventif de cette circulaire qui repose sur trois axes : amélioration de la prise en charge des victimes, instauration de rapports plus étroits avec les instances judiciaires et avec la police ou la gendarmerie, renforcement de la collaboration entre tous les partenaires (collectivités territoriales notamment). Il a aussi rappelé la généralisation des correspondants "police" auprès des établissements, qui sont aujourd'hui 4.600 pour 7.800 collèges et lycées. Ce représentant des forces de l'ordre pourra effectuer des interventions jusqu'ici interdites aux chefs d'établissement, telles que la fouille d'élèves.

Un "traitement plus social des problèmes"

La circulaire vient réactualiser celle du 15 octobre 1998. Elle généralise les plans de prévention de la violence, qui doivent être élaborés dans le cadre du comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté. Ces comités doivent quant à eux nouer des liens plus étroits avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). "Il ne s'agit pas seulement d'informer les partenaires de ce qui est fait à l'intérieur de l'établissement mais de mettre en réseau des compétences locales", insiste le texte. Celui-ci souligne également la banalisation des opérations de sécurisation aux abords des établissements et, "si nécessaire", dans les transports assurant leur desserte.
Il est par ailleurs rappelé que le "diagnostic de sécurité partagé" de chaque établissement peut être complété par un "audit de prévention situationnelle" établi avec les partenaires locaux, "au premier rang desquels les maires et les présidents de conseil général ou régional". Cet audit doit permettre de lister les recommandations "susceptibles d'améliorer la protection et la surveillance des établissements, en particulier en se prémunissant contre les risques d'intrusions".
On notera par ailleurs que Gilles de Robien s'est exprimé le 4 septembre sur le "contrat de responsabilité parentale", dont le décret d'application vient d'être publié au JO. "Auparavant, l'Education nationale pouvait saisir le procureur. Aujourd'hui, on saisit l'institution qui est chargée plutôt de la politique sociale, à savoir le conseil général. Ce traitement plus social des problèmes d'un élève absent risque d'être mieux traité sous cet angle", a estimé le ministre.

C.Mallet

 

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