Achat équitable - Un hiatus entre les collectivités et les fournisseurs ?

Le Forum national du commerce équitable a réuni les collectivités et les fournisseurs pour un débat percutant. Confrontés à une inadéquation entre l'offre et la demande, les acheteurs publics expérimentent d'autres pistes.

Les collectivités territoriales peuvent-elles acheter des produits du commerce équitable ? Cette question a été au coeur du débat de la table ronde réunissant fournisseurs et acheteurs publics lors du Forum national du commerce équitable. Si cette année, les 27 et 28 avril, la manifestation a pris ses quartiers dans un lieu prestigieux, la Cité des sciences de la Villette à Paris, le commerce équitable demeure composé de sociétés et associations modestes. Les responsables locaux n'ont pas mis en exergue, contrairement aux années précédentes,  les contraintes du Code des marchés pour justifier leurs difficultés.
Les collectivités présentes - déjà engagées dans l'achat équitable - veulent aller plus loin : ont-elles la possibilité de dépasser le traditionnel achat de jus de fruits équitable pour les cocktails du maire ? "Nous sommes confrontés à des filières qui ne sont pas suffisamment structurées", a regretté Ari  Brodach, directeur du développement durable de la mairie de Lille. "Le commerce équitable n'a pas vocation à répondre comme les fournisseurs industriels aux besoins des collectivités. Nous n'avons pas la capacité financière ni la capacité technique pour répondre à vos appels d'offres !", a rétorqué Cyril Brites, directeur commercial de la société Solidar'Monde. "Y a-t-il un hiatus entre nous ?, s'est interrogée Florence Fresnault, directrice de cabinet de la ville de Tours. Nous voulons acheter des produits du commerce équitable mais, en fait,  ils ne sont pas pour nous !"
 

Achat éthique à contrôler  

Plusieurs acheteurs ont dénoncé une réelle incertitude due à l'absence d'offres équitables pour répondre aux demandes. Comment, dans ces conditions, relancer un marché infructueux avec, à nouveau, le soutien inconditionnel des élus ? Pour éviter ces "coups dans l'eau", la direction du développement durable de Lille a détaché à mi-temps un salarié chargé d'une veille fournisseurs auprès des acheteurs. La communauté urbaine de Dunkerque (CUD), qui est une référence incontournable en la matière, tente d'apporter des réponses pragmatiques : "Nous avons réalisé un recensement pour connaître les offres possibles en matière de commerce équitable et nous proposons à la plateforme du commerce équitable qui réunit les entreprises du secteur de se connecter sur notre propre plateforme dématérialisée pour recevoir des alertes sur les marchés", explique Yannick Leroy de la CUD. Depuis 2002, par le biais de l'achat éthique, la CUD s'est lancée dans une stratégie d'achat durable. Elle a demandé à ses fournisseurs de s'engager à respecter un certificat "achat éthique" qui consiste pour une collectivité à déterminer des principes à respecter comme l'obligation de ne pas faire travailler les enfants, de respecter la législation du travail du BIT ou de conditionner les déchets. "Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la question du contrôle de cette certification, nous avons donc, avec d'autres collectivités, constitué un groupement de commande pour un marché visant à mandater un spécialiste pour contrôler le respect des principes par nos fournisseurs." 

 

Acheter... en soutenant une filière

De cette tradition déjà ancienne en faveur de l'achat éthique, la communauté urbaine de Dunkerque a naturellement glissé, depuis deux ans, à l'achat équitable avec la fourniture de riz, de jus d'orange et de café pour la restauration collective de deux communes membres. La ville de Lille a lancé des marchés pour l'achat des jouets et de textiles en pondérant les critères d'attribution : 40% pour la technicité du produit, 30% pour les prix, 20% pour le développement durable et 10% pour la livraison. "Notre démarche s'appuie sur l'Agenda 21 adopté en 2000. Notre optique se veut transversale : d'une politique d'économie solidaire à une politique de coopération décentralisée." Certaines collectivités n'hésitent pas à se fournir directement auprès des pays avec lesquels elles entretiennent des relations privilégiées :  Lille annonce l'arrivée d'huile de Naplouse, la communauté urbaine de Dunkerque proposera sous peu à la population locale de l'huile et de la semoule de Gaza...

 

 

Clémence Villedieu

 

Des pistes de solutions

 

- l'achat de produits équitables se fait par une intégration progressive dans les commandes afin d'accompagner le développement de ce secteur encore fragile ;
- la CUD adapte ses cahiers des charges pour prendre en compte les spécificités d'approvisionnement du commerce équitable en adaptant, par exemple, les clauses relatives aux délais ; 
-  l'allotissement peut être utilisé pour permettre à des petits producteurs de répondre aux appels d'offres.

C.V.

 


 

 

Bientôt une Commission nationale du commerce équitable

 

Dans une communication relative au commerce équitable présentée ce mercredi 2 mai en Conseil des ministres, Renaud Dutreil a notamment insisté sur la nécessité de mettre en place "un mécanisme officiel de reconnaissance des acteurs veillant effectivement au respect des conditions du commerce équitable" et a annoncé qu'un décret en ce sens sera publié "à la fin de cette semaine". Ce décret d'application de l'article 60 de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises avait déjà été annoncé il y a tout juste un an mais n'a jamais été publié au JO. Ce texte - dont une version provisoire avait été diffusée, accompagnée d'un projet de circulaire - vient créer une Commission nationale du commerce équitable "chargée de reconnaître les personnes physiques ou morales qui veillent au respect des conditions du commerce équitable". Les bénéficiaires de cette reconnaissance pourront arborer la mention "reconnu par la CNCE".

C.M.