Un appartement témoin raconte l’histoire de la reconstruction du Havre (76)
Le travail de médiation culturelle mené par la ville du Havre et sa communauté urbaine a permis aux visiteurs de découvrir les qualités d’un urbanisme longtemps décrié. La création d’un appartement témoin a contribué à la valorisation de ce patrimoine architectural. Au point que les logements du centre-ville, auparavant boudés et vacants, sont désormais très demandés…
En juillet 2005, l’Unesco inscrit le centre-ville du Havre reconstruit par Auguste Perret sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Cette distinction apporte une nouvelle dynamique, un nouveau regard sur Le Havre. Les qualités architecturales de la ville, longtemps décriées, sont désormais mises en lumière. Car au Havre comme partout en Normandie et sur le rivage Atlantique, la reconstruction est restée liée à de mauvais souvenirs, les destructions et les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de tout recommencer sur les ruines du passé. La reconstruction était aussi synonyme de béton, de rues (trop) droites et (trop) nettes, d’un urbanisme « moderne » dans lesquels les Havrais ne se retrouvaient pas. Ils ne reconnaissaient plus leur ville d’antan.
Se replonger dans le bain des années cinquante
Mais le temps a passé et les qualités intrinsèques de cette reconstruction opérée par un des meilleurs architectes de l’époque se sont imposées. En 2005, dans la foulée du classement Unesco, la ville du Havre faisait l’acquisition d’un logement en centre-ville dans l’objectif d’en faire un appartement témoin. « Au départ, nous voyions beaucoup de personnes âgées qui venaient se replonger dans le bain des années cinquante. Elles venaient avec leurs petits-enfants pour leur raconter leurs souvenirs. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, deux mille, la reconstruction avait mauvaise presse, les Havrais éprouvaient du mépris pour ce béton, tout autant que pour Auguste Perret, architecte parisien « parachuté » au Havre par la volonté de l’État et contre l’avis du maire de l’époque », explique Vincent Duteurtre, architecte de la ville du Havre, qui a piloté l’inscription de la ville au patrimoine de l’Unesco, puis a assuré la réalisation de l’appartement témoin. « À l’époque, Le Havre était surnommé Stalingrad-sur-mer. Puis, un important travail a été mené par la ville pour requalifier et végétaliser des espaces publics très minéraux. Ces réaménagements ont révélé les qualités spatiales de la ville. La forme urbaine est ici une chance, on voit beaucoup le ciel, et les ciels normands sont particulièrement beaux… »
Mais comment faire partager ce savoir et ce regard avec le grand public ? « Communiquer sur l’urbanisme et l’architecture n’est pas simple, ce sont souvent des concepts théoriques et la plupart des gens ne savent pas lire les plans. En revanche, l’intérieur d’un logement c’est parlant, c’est du vécu, les visiteurs se projettent, et des principes abstraits comme la construction poteau/poutre deviennent ainsi beaucoup plus concrets. C’est aussi une leçon d’histoire sur les Trente Glorieuses… À l’époque, Le Havre et une grande partie du parc de logements français étaient encore insalubres… C’est donc l’occasion de redécouvrir un logement moderne des années cinquante, conçu selon des principes hygiénistes c’est-à-dire lumineux et bien aéré, avec une salle de bains, une cuisine préfabriquée et tout le confort des arts ménagers encore balbutiants… »
Projet culturel et médiation tous publics
Pour la ville du Havre, l’appartement témoin est devenu un formidable outil de médiation pour comprendre le projet urbain de l’architecte. Les visiteurs qui viennent au Havre y trouvent ainsi des clés pour décrypter l’architecture du centre reconstruit.
Parmi les 13 visites sur le patrimoine de la reconstruction organisées pour les groupes scolaires par le Pays d’art et d’histoire de la communauté urbaine du Havre, 5 propositions comprennent l’appartement témoin Perret, qui ne se découvre que sous forme de visite guidée. Plusieurs formules sont proposées afin de toucher un large public (experts, touristes, habitants, jeune public, personnes en situation de handicap…). La programmation destinée aux visiteurs individuels est proposée en français mais des livrets de visite en anglais, allemand et espagnol sont disponibles pour permettre au public international de suivre ces visites. Celles-ci sont animées par des guides conférenciers du Pays d’art et d’histoire ; d’autres visites « théâtralisées » sont notamment proposées par la compagnie Piano à pouces et permettent au public de replonger dans l’atmosphère des années 1950. Des prestations adaptées sont également proposées au public en situation de handicap, déficients visuels, personnes sourdes et malentendantes.
Une forte fréquentation du grand public mais aussi beaucoup d’architectes
En moyenne, ce sont plus de 25.000 visiteurs qui, toute l’année, découvrent en compagnie d’un guide-conférencier du Pays d’art et d’histoire ce lieu emblématique de la Reconstruction havraise. Des visiteurs d’ici et d’ailleurs : en 2019, 83 % des visiteurs de l’appartement témoin Perret n’étaient pas originaires de la communauté urbaine.
Les grandes qualités des appartements de la reconstruction, et encore plus de ceux conçus par Auguste Perret sont la flexibilité et la rationalité. Le principe poteaux/poutres permet d’éviter les murs porteurs, les logements sont parfaitement adaptables. Et si, en général, les défauts de ce bâti de la reconstruction sont des qualités thermiques médiocres et une isolation acoustique qui laisse vraiment à désirer, en l’occurrence, l’architecte avait résolu ces questions en posant les planches de chêne sur un lit de sable pour étouffer les sons et en créant des façades en double peau (béton + vide d’air + brique creuse plâtrière). « D’ailleurs, nous recevons beaucoup de visites de professionnels », ajoute l’architecte de la Ville.
Ce qui n’est pas anodin. « Au Havre, il y a eu pendant longtemps un taux de vacance assez important dans les logements du centre-ville reconstruit. Mais désormais ils reprennent de la cote, et le logement type Perret est devenu un vrai argument de vente », ajoute l’architecte. L’inscription Unesco et ce logement ont constitué le catalyseur d’une inversion du regard. Au point que de nombreux Havrais ont aménagé leur appartement à la manière des années cinquante…
Et si l’appartement témoin était une piste pour la revalorisation des centres anciens vacants ?
Coût / financement de l’appartement témoin
Acquisition du logement de 100 m2 (4/5 pièces) : 220.000 €
Aménagement (travaux + mobilier d’époque) : 150.000 €
Commune du Havre
Nombre d'habitants :
Le Havre Seine Métropole
Nombre d'habitants :
Nombre de communes :
Anne-Sophie Bertrand
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