UE : le plan Rearm officiellement, mais partiellement, présenté

La Commission a dévoilé ce 19 mars un livre blanc pour préparer la défense européenne à horizon 2030 et présenté de manière plus précise, mais toujours incomplète, son plan visant à réarmer l’Union européenne – notamment son instrument "Safe" ou les modalités d’activation de la "clause d’évasion" afin de lever les freins sur les "dépenses de la défense". Manque singulièrement à l’appel le volet relatif à la politique de cohésion, qui devrait être présenté la semaine prochaine. Le document mentionne en tout cas noir sur blanc l'impact possible pour les autorités régionales et locales.

En France, investisseurs et entreprises de défense se sont réunis ce jeudi 20 mars à Bercy pour étudier ensemble les pistes de financement public et privé en matière de défense, face à des besoins estimés jusqu'à 5 milliards d'euros en lien avec l'évolution de la position américaine vis-à-vis de l'Ukraine et la menace russe. La veille, le 19 mars, c'est au niveau européen que se passaient les choses : dévoilé par Ursula von der Leyen avant le Conseil européen du 6 mars (voir notre article), le plan Rearm Europe/ Prêt pour 2030 a en effet été officiellement, mais partiellement, présenté par la Commission européenne et la Haute Représentante de l’UE.

Politique de cohésion : encore un instant…

Pour les collectivités, il faudra en effet encore faire preuve de patience, car le volet visant à pouvoir réorienter les fonds de la politique de la cohésion vers la défense est finalement encore à l’étude. "Il sera présenté la semaine prochaine", nous assure un fonctionnaire de la Commission. L’issue semble toutefois inexorable. Le "livre blanc pour la préparation à la défense européenne à l’horizon 2030", également publié ce 19 mars par la Commission, indique en effet noir sur blanc que "les autorités nationales, régionales et locales [pourront] volontairement profiter de l’examen à mi-parcours des politiques de cohésion pour allouer des fonds, dans le cadre de leurs programmes actuels, à des priorités émergentes, notamment le renforcement des capacités de défense et de sécurité". Et le document de relever au passage, d'une part, que "les industries de défense créent souvent des écosystèmes de recherche et développement et industriels bénéfiques pour les régions et les collectivités européennes" et, d’autre part, que "la politique de cohésion contribue déjà aux capacités de défense et de sécurité". Une dernière mention saluée par la présidente du Comité européen des régions, Kata Tüttő, qui se félicite que le livre blanc "reconnaisse à juste titre que la politique de cohésion est déjà un pilier de la sécurité européenne – bien au-delà de la défense militaire. La véritable résilience dépend de régions fortes et solidaires : sur le plan économique, social, environnemental et institutionnel", argue-elle. Non sans tenter une fois encore de conjurer le sort (voir notre article du 21 février) : "Il est désormais essentiel de garantir de nouvelles ressources pour la défense et la résilience, plutôt que de détourner les fonds de cohésion existants."

Une bulle de 1,5% de PIB annuel pendant 4 ans

On en sait en revanche déjà davantage sur l’activation de la "clause d’évasion nationale" permettant de déroger au pacte de stabilité et de croissance. Elle pourra être activée pour permettre une augmentation des seules – mais de toutes (y compris de personnel par exemple) – dépenses de défense, jusqu’à 1,5% du PIB annuel, pendant une période de 4 ans. Tous les États membres sont finalement éligibles, y compris ceux qui étaient déjà sous le coup d’une procédure pour déficit excessif.

Safe qui veut…

Le flou se dissipe également sur le nouvel instrument d’urgence devant permettre aux États membres de renforcer rapidement leurs capacités de défense, baptisé "Safe". Concrètement, la Commission pourra emprunter jusqu’à 150 milliards d’euros afin d’accorder elle-même des prêts, remboursables sur 45 ans (avec un remboursement du principal pouvant être décalé de dix ans), aux États membres qui en feront la demande pour investir dans les sept domaines capacitaires arrêtés début mars par le Conseil (défense aérienne et antimissile, systèmes d'artillerie…). Aucune préallocation n’est prévue. Pour bénéficier d’une partie de l’enveloppe, les États membres intéressés devront soumettre dans les six mois à la Commission un plan d'investissement décrivant les dépenses envisagées. Un préfinancement à hauteur de 15% des dépenses validées sera versé dès 2025. Les États membres devront ensuite présenter l’état d’avancement de leur plan, et leurs demandes de paiement, tous les 6 mois jusqu’au 31 décembre 2030. Par ailleurs, et notamment pour aiguiser l’appétit des sept États membres qui disposent de meilleures conditions d’emprunt que la Commission, le dispositif prévoit l’application de règles de commande publique simplifiées ainsi qu’une exonération de TVA pour les achats noués dans ce cadre.

… sous conditions

Quelques conditions sous toutefois posées. D’abord, les achats devront être "groupés". On est toutefois loin d’une plate-forme commune pilotée par la Commission. "Il n’y aucune communautarisation de la défense", assure d’ailleurs un de ses experts. Par "achat communs", il faut entendre qu’ils devront seulement être réalisés par a minima deux États membres, ou un État membre et l’un des "partenaires" de l’UE – i.e. un membre de l’Espace économique européen, de l’Association européenne de libre-échange ou l’Ukraine (le Royaume-Uni n’en fait donc pour l’heure pas partie). Une dérogation est en outre prévue la première année de mise en œuvre de Safe, pendant laquelle un État membre pourra faire ses emplettes seul à condition de s’engager à chercher des partenaires. "Une obligation de moyen, pas de résultat" précise un fonctionnaire de la Commission. 

Ensuite, les équipements devront, pour les plus "simples" d’entre eux – ceux "sur catalogue" –, contenir des composants d’origine l’UE représentant au moins 65% du coût total du produit. Pour les équipements dits "complexes", une condition supplémentaire s’applique : la maîtrise intégrale de la conception du produit, afin de ne pas créer de nouvelles dépendances. Pour mémoire, ce nouvel instrument "d’urgence" ne sera soumis qu’à la seule approbation du Conseil, à la majorité qualifiée. 

Un livre blanc pour préparer la défense européenne à horizon 2030 

Quant au livre blanc précédemment évoqué, il a pour ambition de donner "un cadre stratégique", décrypte un expert de la Commission, en prenant "acte du nouveau contexte géopolitique. D’une part, il entérine l’entrée de la Russie dans une logique de confrontation systématique avec le monde occidental, le fait qu’elle constitue pour l’UE une menace extrêmement forte et persistante. D’autre part, il prend acte du retrait du "partenaire américain", enseigne-t-il. Le document prévoit notamment qu’un nouvel "omnibus" de simplification de la réglementation (notamment la commande publique) relative à la défense sera présenté en juin, identifie plusieurs partenariats stratégiques à renforcer ou encore "les fossés à combler pour dissuader de manière crédible toute agression d’une armée étrangère et faire face aux conséquences de l’instabilité et des conflits". Parmi eux, les infrastructures de transport, lesquelles étaient d’ailleurs au menu du dernier conseil des ministres des transports tenu à Varsovie, ces 17 et 18 mars. Une réunion qui avait notamment pour objectif, comme nous l’indiquait le cabinet de Philippe Tabarot, "d’identifier de manière un peu plus fine le réseau d’infrastructures vraiment structurant au regard du double usage civil et militaire", pour "y concentrer de manière un peu plus accrue les financements européens, notamment ceux du mécanisme d’interconnexion en Europe".

 

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