Territoires zéro chômeur : trois rapports d'évaluation et des annonces en janvier
Muriel Pénicaud, ministre du Travail, vient de se voir remettre trois rapports d'évaluation portant sur l'expérimentation "Territoires zéro chômeurs de longue durée". Si le comité scientifique d'évaluation et les deux inspections générales mandatées sur le sujet ne s'opposent pas à une prolongation de l'expérimentation, ils conditionnent son élargissement à de nouveaux territoires à certaines évolutions, dont une clarification du public cible. Tout en soulignant eux aussi des difficultés et des améliorations possibles, le fonds d'expérimentation et l'association TZCLD défendent les principes fondateurs du projet, l'objectif de matérialiser une forme de "droit à l'emploi" et l'apport global de la démarche pour les territoires impliqués. La ministre rendra de premiers arbitrages en janvier 2020.
Actuellement menée dans dix territoires en vertu d'une loi d'expérimentation définie pour la période 2016-2021, l'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée fait l'objet de nombreuses démarches d'évaluation, sur lesquelles le gouvernement et le Parlement vont s'appuyer pour décider des prochaines étapes. Trois rapports ont ainsi été rendus à Muriel Pénicaud, ministre du Travail, le 25 novembre 2019 : le rapport intermédiaire du comité scientifique d'évaluation prévu par la loi, le rapport d'"évaluation économique" de l'expérimentation de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) et un rapport des deux acteurs du projet au niveau national, le fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée (ETCLD) et l'association Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). Les deux premiers ont été réalisés avec le concours de la Dares (ministère du Travail). Le troisième est davantage une réponse aux deux autres évaluations, ETCLD ayant déjà diffusé plusieurs rapports intermédiaires d'évaluation (voir notre article du 9 septembre 2019).
Extension de l'expérimentation : seuls les territoires les plus préparés auront leurs chances
Sans surprise par rapport aux éléments qui avaient été dévoilés il y a un mois (voir notre article du 21 octobre 2019), les deux premiers rapports sont nuancés. Tout en mettant en avant "l’amélioration de la situation professionnelle et personnelle des personnes employées dans les entreprises à but d’emploi (EBE)", le comité scientifique estime que les résultats "ne permettent pas, à ce stade, de justifier la généralisation de l’expérimentation dans ses conditions de déploiement et de fonctionnement actuelles". Il se dit en revanche favorable à l'extension de l'expérimentation à de nouveaux territoires, à condition de ne retenir que "les territoires faisant état d’un contexte institutionnel local suffisamment solide et préparé, et de porteurs de projets suffisamment impliqués".
Dans un communiqué du 25 novembre, le fonds ETCLD et l'association TZCLD se félicitent des préconisations en faveur d'un prolongement et d'une extension de l'expérimentation. "Cette recommandation s’inscrit dans la continuité de l’annonce d’une deuxième loi faite par la ministre du Travail devant les parlementaires le 22 octobre dernier à l'Assemblée nationale", rappellent les présidents des deux instances. "On décidera courant janvier [2020] des améliorations à mener, [de l'opportunité] d'une extension et dans quel calendrier", a déclaré Muriel Pénicaud suite à la remise des rapports. D'ici là, le "diagnostic partagé" et le débat autour de ces travaux sont amenés à se poursuivre.
"Non-concurrence" avec les entreprises locales, recherche d'"exhaustivité" : des principes fondateurs du projet mis en cause
Pour conduire ses travaux qui débouchent sur "sept pistes d'amélioration", le comité scientifique s'est fondé sur des données administratives, une enquête statistique, des études qualitatives conduites dans quatre des dix territoires pilotes, ainsi que sur l'évaluation économique réalisée par les deux inspections.
Les "difficultés" pointées portent sur le développement et l'organisation des structures, l'accompagnement des bénéficiaires et, plus globalement, certaines "contraintes" liées aux principes mêmes du projet. Ainsi "le principe de non-concurrence [entre les activités de l'EBE et celles portées par les entreprises locales, ndlr] limite la performance économique des EBE tout en alimentant des tensions internes", observe le comité scientifique. Il invite par ailleurs à regarder de plus près les situations de concurrence vis-à-vis de l'emploi public – les collectivités soutenant le projet pouvant déléguer des activités qui étaient auparavant assumées par leurs services – et des structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE). "Certaines ont commencé à rencontrer des problèmes de recrutement, compte-tenu des dispositions plus avantageuses pour les salariés au sein des EBE", peut-on lire dans le rapport du comité scientifique.
Autre principe de la démarche mis en cause : l'objectif d'"exhaustivité", c'est-à-dire l'ambition d'embaucher tous les volontaires parmi les "personnes privées durablement d'emploi" (PPDE) d'un territoire. À contre-courant des modes de recrutement traditionnels, l'approche "Zéro chômeur de longue durée" consiste à embaucher d'abord une personne, avant de créer avec elle l'activité adaptée à ses talents mais aussi à ses difficultés et contraintes. En pratique, il s'agit d'un défi économique et organisationnel. Le comité scientifique d'évaluation relève que, dans certaines EBE, l'intégration rapide de salariés a pu susciter des tensions ou des formes de découragement, du fait de l'absence d'un management intermédiaire structuré et du temps de latence correspondant à la recherche de nouvelles activités. Il observe toutefois que les comités locaux de l'emploi et les EBE ont pris en compte ces difficultés et ralenti le rythme de recrutement pour "stabiliser l'existant".
"Des économies plus faibles qu’anticipées pour la collectivité"
D'un point de vue plus macro, "l’activation des dépenses passives pour les salariés des EBE, au cœur du modèle économique de l’expérimentation, induirait des économies plus faibles qu’anticipées pour la collectivité", relève le comité scientifique, sur la base des travaux des Inspections générales. "Il reste toutefois à évaluer certains gains pour les finances publiques", nuance-t-il, citant notamment le "moindre coût de l'accompagnement social" et l'"accès aux prestations de santé aux conditions de droit commun". Ces gains pour les finances publiques "moindres" que dans l'estimation initiale seraient liés au "fait qu'une proportion non négligeable des salariés des EBE, bien que remplissant les critères de 'privation d’emploi' au sens de l’expérimentation, bénéficiaient d’un revenu d’activité ou/et n’étaient pas bénéficiaires de l’ensemble des prestations sociales prises en compte dans le calcul des gains", expliquent l'IGF et l'Igas dans leur évaluation.
"La poursuite de l’expérimentation nécessite une réflexion préalable sur ses objectifs et ses modalités de financement et de gouvernance", selon les deux inspections. Ces dernières évoquent notamment la possibilité de "recentrer l’expérimentation sur les personnes qui font face à des difficultés particulières et pour lesquelles un accompagnement pérenne est nécessaire (plus de 50 ans, bénéficiaires sur longue période de minima sociaux, etc.)", ce qui justifierait selon elles "un financement stable dans le temps". Parmi les autres recommandations de la mission Igas-IGF, plusieurs portent sur la "soutenabilité" de la démarche, qui impliquerait notamment de "s’assurer que les collectivités financent les services d’intérêt général qui relèvent de leur responsabilité sur la base d’un prix transparent".
Ne pas perdre de vue le "sens du projet" lié au "droit à l'emploi"
Dans leur rapport et leur communiqué diffusés le 25 novembre, le fonds d'expérimentation et l'association TZCLD contestent "les hypothèses retenues par l’Igas-IGF pour réaliser les calculs d’activation des dépenses passives", dans un contexte d'absence de donnée pour 46% des salariés. Pour eux, il importe de réellement mesurer "les impacts collectifs du chômage sur les personnes et les territoires", dans l'esprit de la loi d'expérimentation qui faisait référence aux nouveaux indicateurs de richesse. Les deux acteurs rappellent surtout que "le sens du projet est de créer, sur les territoires engagés, des emplois supplémentaires à proportion des besoins de la population" ; sous-entendu, attention à des ajustements qui pourraient dénaturer cet objectif. "La question est donc de décider comment notre pays est-il prêt à investir pour mettre en œuvre le droit d'obtenir un emploi", poursuivent-ils.
Le 25 novembre, Louis Gallois, président du fonds d’expérimentation, a indiqué que les acteurs du projet travaillaient "dans une dynamique d’amélioration et de progrès", dans le sens de plusieurs des recommandations formulées par le comité scientifique et les inspections. Parmi les axes d'amélioration mis en avant : l'accès à la formation professionnelle, le renforcement du management intermédiaire et "l’animation des collectivités territoriales". "Sur certains territoires, cela fatigue un peu. Nous devons nous poser la question de savoir comment les accompagner dans le temps", a expliqué Louis Gallois, ajoutant que "les territoires entrants doivent être très préparés". Alors que les discussions devraient se poursuivre jusqu'aux annonces de janvier prochain, Laurent Grandguillaume, président de l’association TZCLD, s'est déclaré "très heureux de la méthode, avec un partage d’analyse, la capacité de débattre avec l’Igas, l’IGF et les chercheurs du comité scientifique".