SNU : la généralisation d'ici à 2027 n'est pas envisageable, estime la Cour des comptes
Objectifs "incertains", pilotage institutionnel et budgétaire "peu satisfaisants", coût "largement sous-estimé", "perturbations de l'organisation de la commande publique et des surcoûts", etc. La Cour des comptes a dressé un bilan très sévère du Service national universel (SNU), le dispositif expérimenté depuis 2019, cher à Emmanuel Macron qui souhaitait sa généralisation. Pour la Cour, c'est niet. Outre les problèmes précités et les questions opérationnelles majeures (hébergement, encadrement) non résolues, les crédits prévus dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027 ne sont pas compatibles avec une généralisation du SNU aux 850.000 jeunes d'ici à 2027.
Dispositif ouvert aux jeunes dès 15 ans, le Service national universel (SNU) a été expérimenté dans 13 départements en 2019, avant d'être déployé sur l'ensemble du territoire. Son extension progressive, initialement censée aboutir à une généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge en 2024, a été très perturbée par la crise sanitaire. Et "depuis, chaque année, le nombre de participants aux séjours de cohésion a été très inférieur à l'objectif fixé dans la loi de finances initiale", pointe la Cour des comptes dans la rapport qu'elle consacre vendredi 13 septembre 2024, à ce dispositif. "Alors qu'ils n'étaient que 14.600 en 2021, 32.000 en 2022, 40.000 en 2023, ce sont près de 50.000 jeunes qui ont réalisé un séjour sur l'année scolaire 2023-2024. En septembre 2024, l'ouverture des inscriptions, pour un total de 68.000 places (+36%), permet ainsi de répondre à une demande croissante des jeunes, notamment issus des territoires ultramarins", rétorque le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse dans un communiqué du même jour (lire encadré). Pour la Cour des comptes, "ces difficultés révèlent l'absence d'horizon clair pour le dispositif ainsi qu'une insuffisante planification des moyens nécessaires à sa montée en charge".
"Des objectifs incertains et mal compris, notamment par les jeunes"
Rappelons que le SNU, fondé sur le volontariat, se décline en trois phases successives :
- un "séjour de cohésion" de 12 jours,
- une mission d'intérêt général,
- puis un engagement auprès d'une association ou institution publique. Depuis mars 2024, ce dispositif est intégré au temps scolaire, avec un stage de douze jours pour les élèves en classe de seconde, volontaires. Les objectifs assignés au SNU s'articulent autour des notions de "résilience de la Nation, de cohésion nationale, d'engagement, d'orientation et d'insertion des jeunes". Mais "ils demeurent, à ce jour, incertains et mal compris, notamment par les jeunes", regrettent les Sages de la rue Cambon. "Si les participants sont satisfaits de leur expérience, force est de constater qu'en matière de mixité sociale comme d'engagement, les ambitions du dispositif n'ont pas été atteintes", tranchent-ils. Et d'ajouter : "les milieux d'origine des jeunes participants se caractérisent, depuis 2019, par une surreprésentation de jeunes dont les parents servent ou ont servi dans les corps en uniforme et de catégories socio-professionnelles plus favorisées".
"La stratégie de mobilisation des acteurs locaux, collectivités et acteurs associatifs, reste toujours à définir"
Le pilotage du dispositif ne passe pas mieux l'examen de la Cour. Le portage gouvernemental ainsi que les administrations centrales concernées ont connu de nombreuses évolutions depuis 2019, "sans aboutir à une consolidation du caractère interministériel du dispositif", relève le rapport. Sans compter que "la stratégie de mobilisation des acteurs locaux, collectivités et acteurs associatifs, reste toujours à définir".
Le portage budgétaire du dispositif, lui, est assuré par le programme 163 (" jeunesse et vie associative") qui relève du ministère de l'Éducation nationale, avec un effort consenti croissant de 30 millions d'euros en 2020 à 160 millions d'euros en 2024 en loi de finances initiale (LFI). "Les crédits exécutés ont pourtant été, chaque année, largement inférieurs aux crédits inscrits en LFI", dénoncent les magistrats financiers. Ils rappellent que le coût du SNU correspond "principalement aux séjours de cohésion, en particulier l'hébergement, la restauration et l'encadrement des jeunes". La Cour des comptes estime que "le calcul du coût par jeune reconstitué par le ministère de l'Education nationale présente des faiblesses importantes". Elle critique l'estimation, proche de 2.300 euros par jeune pour 2021 et 2022 qui "ne prend pas en compte un certain nombre de coûts". La Cour développe : parmi ceux-ci, figurent les coûts d'administration du ministère de l'Education mais aussi les coûts supportés par les autres ministères, notamment le ministère des Armées, principalement pour la réalisation de la Journée Défense et Mémoire, et les forces de sécurité intérieure. Selon la Cour, la prise en compte des charges correspondantes conduit à un coût par jeune proche de 2.900 euros pour l'année 2022, un "chiffrage, qui ne concerne que le séjour de cohésion" et qui "reste incomplet".
Une montée en charge qui entraine parfois des "situations de désorganisation"
La Cour a également examiné les conditions de "déploiement du SNU" qui a "rencontré de multiples difficultés, notamment concernant l'accueil des mineurs ainsi que les conditions de recrutement et rémunération des encadrants, exacerbées par la crise sanitaire". Selon la Cour, ces difficultés résultent de la montée en puissance du SNU […] sans que des outils et moyens adaptés n'aient été mis en oeuvre au fil du déploiement. La Cour évoque même une "situation de désorganisation" qui "entraîne des perturbations de l'organisation de la commande publique et des surcoûts". Et d'argumenter : "la réalisation des séjours de cohésion n'a pu être assurée que grâce à l'engagement des agents des services […] mais aussi des partenaires du dispositif, notamment associatifs". Elle alerte quant au fait que "les renforts d'effectifs dans les services, déjà réalisés ou prévus en 2024, sont […] insuffisants pour absorber la charge de travail supplémentaire".
"Un dispositif non stabilisé et dont les perspectives doivent être clarifiées"
Les crédits consacrés au SNU représentent 18 % du programme 163 dans la loi de finances initiale 2024 pour un objectif de 80.000 jeunes. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2023-2027 prévoit une montée en charge de ces crédits, mais qui "n'est pas compatible avec une généralisation du SNU aux 850.000 jeunes d'ici 2027", écrit la Cour. De plus, "cette généralisation soulève des questions opérationnelles majeures, tant s'agissant des capacités d'hébergement que de l'encadrement des jeunes, qui n'ont toujours pas été résolues", avertit la Cour. Elle estime que "la création de centres pérennes accueillant tout au long de l'année des séjours de cohésion, pourrait simplifier la gestion du dispositif et rationaliser certains coûts" sans pour autant que celle-ci n'ait "été arbitrée ni suffisamment planifiée".
Selon le ministère chargé de la jeunesse, le chiffrage du coût du SNU généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge, dans sa configuration actuelle, est de 2 milliards d'euros. "Cependant, il est centré sur la première phase du dispositif et ne correspond donc pas à une évaluation de son coût global", prévient la Cour. Elle estime qu'"il est davantage probable que les coûts de fonctionnement annuels du SNU se situent entre 3,5 à 5 milliards d'euros, sans compter les coûts d'investissement à venir".
Alors qu'en janvier 2024, l'ex-Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé le lancement des "travaux" en vue d'une généralisation du SNU "à la rentrée 2026", et ce malgré de vives résistances, la Cour des comptes conclut : "le contexte de restriction budgétaire en 2024 renforce la nécessité de mettre en place un suivi budgétaire exhaustif des coûts actuels et une projection complète dans la perspective d'une généralisation du dispositif".
Le ministère de l'Education nationale répliqueFace au bilan sévère du Service national universel (SNU) dressé par la Cour des comptes, le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse a choisi de réagir, dans la foulée. Dans son communiqué du 13 septembre 2024, il a tout d'abord rappelé "la très forte satisfaction des volontaires passés par ce dispositif, ses nombreuses réussites sur l'engagement et l'émancipation des jeunes ainsi que l'ensemble des efforts engagés pour permettre la montée en puissance du SNU dans les meilleures conditions". Selon lui, le SNU a pour ambition de former tous les jeunes de 15 à 17 ans pour devenir des citoyens attachés aux valeurs de la République et prêts à s'investir dans une société de l'engagement, bâtie autour de la cohésion nationale. "Cet objectif clair et constant emporte l'adhésion des jeunes, de leur famille et de la communauté enseignante", estime le ministère qui souligne qu'en cette rentrée 2024, 68.000 places (+36%) sont proposées. En réponse au constat de la Cour selon lequel "en matière de mixité sociale comme d'engagement, les ambitions du dispositif n'ont pas été atteintes", le ministère fait valoir qu'avec "un taux de participation de 40,7% de lycéens professionnels et de 6,4% de jeunes issus en QPV, le SNU répond de plus en plus à l'objectif de mixité sociale et territoriale". "Un écosystème local se noue autour des séjours de cohésion du SNU en mobilisant le tissu associatif et économique local, les collectivités territoriales, avec pour objectif de susciter auprès des jeunes volontaires une vocation professionnelle et des modalités concrètes d'engagement par les missions d'intérêt général", argumente-t-il. |