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Sécurité globale : la commission des Lois du Sénat "corrige le tir"

La commission des Lois du Sénat a réécrit de nombreuses dispositions de la proposition de loi relative à la sécurité globale, jugées "très fragiles juridiquement et constitutionnellement". Outre les emblématiques dispositions relatives à la protection des forces de l'ordre en opération (feu l'interdiction de diffusion malveillante d'image) et aux drones, les sénateurs ont également sensiblement revu la teneur de l'expérimentation par les polices municipales de nouvelles compétences de police judiciaire.

La "proposition de loi" relative à la sécurité globale poursuit son chemin de croix. Elle vient de passer le 3 mars la station de la commission des Lois du Sénat, dont elle ressort – comme annoncé – passablement métamorphosée. En conférence de presse tenue le 4 mars, le président de la commission, François-Noël Buffet (LR, Rhône), ne s'est pas privé de déplorer la "manière de faire insupportable" du gouvernement avec ce "texte dit d'origine parlementaire mais dont on sait très bien qu'il est inspiré de bonne source" et qui "a fait couler beaucoup d'encre", sans surprise puisque "le processus [absence d'étude d'impact et de saisine du Conseil d'État, que nous avions d'emblée souligné] portait en lui les germes d'une grande difficulté". Et le sénateur d'enfoncer le clou en soulignant "le travail considérable des rapporteurs – Marc-Philippe Daubresse (LR, Nord) et Loïc Hervé (UC, Haute-Savoie) – pour remettre de l'ordre dans ce texte totalement repris" : "40 heures d'audition, 111 personnes consultées et, pour la première fois depuis que c'est possible, la saisine de la Cnil", dont l'avis a été "extrêmement utile".

Image des forces de l'ordre : "la diffusion malveillante" laisse la place à la "provocation à l'identification"

Particulièrement visé, l'article 24 relatif à la diffusion manifestement malveillante du visage ou de tout élément permettant l’identification des forces de l’ordre (policiers municipaux inclus), adopté au terme d'un "épisode malheureux et léger" – dixit François-Noël Buffet – que le Sénat a entièrement réécrit. "Nous avons dit depuis le départ que tel que rédigé, il était attentatoire aux droits de l'Homme et inconstitutionnel", a tancé Marc-Philippe Daubresse. D'où la nécessité de "repartir d'une page blanche". Tenant compte du fait que le ministre de l'Intérieur "a répété deux fois qu'il voulait un article spécifique pour protéger les forces de l'ordre en opération", le Sénat s'est en outre employé à rendre sa rédaction "complémentaire, et non concurrente" de l'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit "amendement Samuel Paty", par ailleurs en discussion. Entre parenthèses, les sénateurs n'ont  pas manqué de dénoncer là encore la mauvaise qualité de sa rédaction, et plus largement "les initiatives confuses et désordonnées du gouvernement", mentionnant, outre l'examen concomitant de cette disposition, la publication de la nouvelle doctrine sur le maintien de l'ordre, l'organisation du Beauvau de la sécurité… "Tout cela a créé beaucoup de confusions", a insisté le sénateur Daubresse.

Exit donc la référence à la loi de 1881 sur la presse et à la notion d'image dans l'article 24 nouvelle formule. Désormais, le texte se compose de deux parties. La première sanctionne "la provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police". La seconde réprime la constitution de fichiers visant des fonctionnaires et personnes chargées d’un service public dans un but malveillant.

"Sur un plan juridique, la provocation, l'incitation à commettre un crime ou un délit, est déjà définie par le code pénal. Elle implique une intention de nuire et la mise en œuvre de la répression nécessite un lien de causalité certain et direct", défend Marc-Philippe Daubresse, qui souligne par ailleurs avoir suivi la proposition de la Cnil visant à prendre appui sur la loi Informatique et Libertés, protégeant les données à caractère personnel. "Les journalistes pourront continuer de filmer et diffuser les images. Ce que nous voulons éviter, c'est qu'elles soient nourries par d'autres" avec des éléments permettant l'identification des policiers filmés, souligne François-Noël Buffet, qui juge qu'avec l'ancienne rédaction "les inquiétudes du monde des journalistes étaient fondées".

Restriction du domaine du drone et des caméras piétons

Comme le souligne le sénateur Loïc Hervé, la commission des Lois sénatoriale a tenu à revoir "l'ensemble des questions liées aux images". Rappelant que les sénateurs n'étaient "pas favorables à ce que le cadre général de la vidéoprotection soit revu par ordonnance", ils ont en outre "resserré les finalités" justifiant l'usage des drones, jugeant "la liste prévue par députés bien trop large et trop peu encadrée", suivant en cela, partiellement toutefois, "l'avis incontournable de la Cnil". Les polices municipales restent exclues du dispositif. Les sénateurs ont en outre ajouté "des garanties supplémentaires", en introduisant la nécessité d'une autorisation préalable du procureur de la République ou du préfet, selon les cas, lorsque des drones sont utilisés dans le cadre d'opérations de police administrative ou judiciaire.

L'article 21 relatif aux caméras-piétons à également été revu, afin de rendre possible la transmission des images en temps réel au poste de commandement. Surtout, "fort de l'expérience de la commission d'enquête Benalla", les sénateurs ont supprimé la possibilité d'utiliser ces images pour "l’information du public sur les circonstances de l’intervention", jugée "pas opportune". "Il faut éviter que ces images servent à une guerre médiatique", qui transformeraient "les forces de l'ordre en journalistes et le ministère en agence de presse", souligne Loïc Hervé. "Les images captées par la police ont un caractère exclusivement probatoire, et non polémique ou illustratif. Elles ne sauraient donc juridiquement être mises sur le même plan que celles tournées par des journalistes voire de simples particuliers".

Les prérogatives des polices municipales revues

Les dispositions relatives à l'extension, à titre expérimental, de certaines compétences de police judiciaire aux polices municipales, "qui mobilise beaucoup les sénateurs", ont également été plus que sensiblement revues.

D'abord, la durée de l'expérimentation est portée de 3 à 5 ans et un bilan d'étape est prévu à mi-parcours. S'ils ont maintenu la nécessité pour les communes (ou EPCI) volontaires de disposer d'un directeur ou chef de police municipale pour être éligibles, les sénateurs ont en revanche abaissé, de vingt à quinze, le nombre d'agents ou gardes champêtres nécessaires. Ils ont ajouté une obligation de formation complémentaire de ces agents et gardes champêtres (et plus les seuls directeurs ou chefs de police municipale) durant la première année de mise en œuvre de l'expérimentation.

S'agissant plus particulièrement du contenu de l'expérimentation, les sénateurs ont :

- supprimé la possibilité pour les agents de police municipale de procéder à des saisies, notamment parce qu'"aucune des administrations contactées n’a été en mesure de préciser comment et où s’effectuerait le placement sous scellé par les polices municipales" ;

- supprimé la possibilité pour les gardes champêtres de procéder eux-mêmes à des immobilisations et mises en fourrière des véhicules ;

- supprimé la possibilité pour les agents de constater la consommation de stupéfiants ainsi que la contravention relative à l’acquisition de produits du tabac manufacturé vendus à la sauvette (mais ont ajouté la possibilité de constater l’occupation illicite d’un local ou terrain appartenant à une personne publique).

Ils ont également prévu que la convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État soit nécessairement modifiée afin de déterminer les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre les nouvelles compétences de police judiciaire attribuées aux polices municipales dans le cadre de l’expérimentation.

S'agissant plus particulièrement de la création d'une police municipale à Paris, "qui n'a pas posé de grosses difficultés", les sénateurs ont introduit le fait que la décision de créer et d'armer cette police relève, "comme dans toutes les communes de France, d'une délibération de la ville".

Pour répondre à une "forte demande de mutualisation des polices municipales exprimée par beaucoup de maires", les sénateurs ont par ailleurs rendu possible le maintien de la mutualisation entre plusieurs communes par le biais de convention si, à la suite du retrait d’une ou plusieurs communes de la convention, elles ne forment plus un ensemble d’un seul tenant. Ils ont également revu la rédaction du régime, introduit par l’Assemblée nationale, permettant aux communes de se regrouper dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation unique (Sivu) pour recruter des agents de police municipale, en l'étendant en outre aux syndicats de communes à vocation multiple (Sivom).

Ils ont supprimé l’article 6 qui imposait notamment un engagement de l'agent de servir la commune ou l’établissement public de coopération intercommunal qui a pris en charge sa formation, "jugé excessivement rigide" et risquant "de pénaliser les communes qui peinent déjà à attirer des agents de police municipale", relevant que l'article 51 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 prévoyait déjà un dispositif d'indemnisation.

Les rapporteurs ont indiqué avoir été contraints de rejeter de nombreux amendements "sur des questions qui préoccupent pourtant les maires", afin de respecter l'article 45 de la Constitution. Le texte sera examiné en séance publique au Sénat du 16 au 18 mars prochains et la commission mixte prioritaire devrait se réunir "probablement début avril", a indiqué François-Noël Buffet.

 

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