Second tour de la présidentielle : deux fois plus de votes annulés
Le Conseil constitutionnel a comme il se doit proclamé le 27 avril le résultat du second tour de l'élection présidentielle. Et a communiqué par la même occasion les cas dans lesquels les "irrégularités" constatées lors des opérations de vote ont été jugées suffisamment importantes pour annuler les suffrages exprimés.
"Dans l'ensemble, les règles du processus électoral ont été respectées", a résumé ce 27 avril en fin de journée Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel, en proclamant officiellement les résultats du second tour de la présidentielle. Des "irrégularités" jugées suffisamment importantes pour annuler les suffrages exprimés ont toutefois été constatées dans 48 bureaux de vote. Soit un total de 20.594 suffrages annulés. Cela ne représente certes que 0,06% des suffrages exprimés, mais c'est deux fois plus que lors du premier tour, alors même que les explications fournies par le Conseil constitutionnel à l'issue de ce premier tour (voir notre article du 14 avril) auraient pu attirer l'attention des mairies sur les erreurs à ne pas commettre. Et ce, d'autant plus que certains cas de figure se sont répétés lors des deux tours – certes pas au même endroit.
Ainsi en est-il de ces cinq bureaux de vote, que ce soit dans la Meuse ou en Corse du Sud, dans lesquels les magistrats délégués du Conseil constitutionnel chargés d'effectuer des contrôles de terrain ont pu constater la présence "d'un seul membre du bureau de vote" au moment de leur passage. Ceci alors que le code électoral exige que "chaque bureau de vote [soit] composé d'un président, d'au moins deux assesseurs et d'un secrétaire choisi par eux parmi les électeurs de la commune". Ce motif a donné lieu à l'annulation de 3.772 suffrages au total. Et comme lors du premier tour, des magistrats délégués sont tombés sur des cas d'absence totale de membre du bureau de vote sur six sites, entraînant un total de 2.149 votes annulés. Soit une somme de 5.921 votes annulés pour cause de bureau mal tenu…
Autre problème rencontré lors des deux tours : l'urne ! Urne pas verrouillée et dépourvue de cadenas dans le 16e arrondissement de Paris (plus de 1.000 suffrages annulés), urne permettant "d'introduire des bulletins de vote par une autre ouverture que celle prévue à cette fin" à Saint-Lon-les-Mines dans les Landes (on n'en sait pas plus), "clés de l’urne détenues dans des conditions contraires aux dispositions (…) du code électoral" dans pas moins de quatre communes (le code prévoit "deux serrures dissemblables, dont les clefs restent, l'une entre les mains du président, l'autre entre les mains d'un assesseur tiré au sort parmi l'ensemble des assesseurs"), "bulletins transférés dans une nouvelle urne au seul motif que le compteur de l’urne utilisée depuis le début du scrutin ne fonctionnait pas" à Kourou en Guyane…
Dans les communes de moins de 1.000 habitants, on peut – c'est officiellement de nouveau admis depuis 2014 – voter sans présenter de pièce d'identité. Dans la mesure où, dit-on, "le maire connaît tout le monde". Sauf que la commune de Ghyvelde dans le Nord compte, elle, un peu plus de 4.000 habitants. Et qu'on n'y a pas systématiquement demandé la pièce d'identité des votants. 627 suffrages annulés.
Autre point d'attention, par exemple pour les législatives à venir : bien tenir à disposition des électeurs le procès-verbal des opérations de vote. Faute de quoi les suffrages seront annulés, comme ce fut le cas dimanche dernier dans quatre communes.
Veiller, aussi, à bien faire signer la liste d'émargement après que le bulletin a été déposé dans l'urne ! Près de 1.500 votes annulés pour ce simple impair.
"Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc", dit le code électoral. Enveloppe vide… ou contenant un bulletin dépourvu de tout nom de candidat. Sauf qu'à Francheville dans le Rhône, à La Bauche en Savoie ou à Saint-Paul-en-Chablais (Haute-Savoie), on avait cru bon de mettre des bulletins blancs à la disposition des électeurs sur la table aux côtés de ceux des deux candidats. Or "la présence de documents autres que les bulletins de vote des candidats constitue une irrégularité de nature à influencer les électeurs et à porter atteinte à la sincérité du scrutin", rappelle le Conseil.
Lors du premier tour, on avait pas mal entendu parler de la commune de 48 habitants de Léchelle dans le Pas-de-Calais, dont le maire "avait pris l'initiative d'organiser les opérations de vote à son domicile", et sans isoloir, le maire ayant expliqué que la mairie était "très vétuste". Pour le second tour, c'est la commune de Cizancourt, 31 habitants, dans la Somme, qui a fait parler d'elle. Parce que le scrutin s'est déroulé non à la mairie mais à l'église… "où le confessionnel servait d'isoloir". L'accident de la route ayant fortement endommagé la petite bâtisse de la mairie il y a un an (comme en témoigne une photo du Courrier Picard...) y était-il pour quelque chose ? En tout cas, il y a longtemps qu'on ne célèbre plus de messes à Cizancourt, où l'on ne dispose d'ailleurs guère d'autre bâtiment public.
Attention aussi : même si on sait que tout le monde est venu voter, on ne ferme pas le bureau de vote plus tôt que prévu ! A Guinecourt dans le Pas-de-Calais, 13 suffrages exprimés sur 15 votants. On a fermé le bureau de vote à 13 heures. Il ne fallait pas. "Le scrutin ne peut être clos avant 19 heures" pour la présidentielle (18 heures pour les autres élections).
Enfin, s'agissant de l'étape du dépouillement et de la transmission des résultats, là aussi des erreurs. A Marmande, le dépouillement a commencé "hors la présence des électeurs", de fait privés "de la possibilité d’exercer leur droit à surveiller" les opérations. A Perpignan, un bureau a dépouillé "sans double contrôle ni lecture à haute voix des bulletins ni comptage des bulletins au fur et à mesure du dépouillement". A Excideuil en Dordogne, on a omis de transmettre le procès-verbal des opérations de vote à la préfecture. Tandis qu'à La Salvetat-Saint-Gilles en Haute-Garonne, c'est le bureau centralisateur qui est en cause : il aurait "modifié les résultats" d'un bureau de vote "sans qu’aucune justification ne soit apportée, avec en outre des discordances importantes et inexpliquées entre les résultats du procès-verbal et les chiffres figurant dans les feuilles de dépouillement".
Et puis difficile de faire l'impasse sur l'épisode très médiatisé mais assez particulier de la commune de Lourdios-Ichère (Pyrénées-Atlantiques), qui n'est autre que le fief de Jean Lassalle, dont les 90 suffrages exprimés ont été annulés du fait que le candidat au premier tour de la présidentielle y a "publiquement mis en scène, dans le bureau de vote, son abstention et a pris la parole, face à des caméras présentes dans ce bureau, pour exprimer, devant l’urne, son refus de participer à l’élection". Et a de surcroît, poursuit le Conseil, "immédiatement diffusé sur les réseaux sociaux cette vidéo, ainsi que des commentaires sur son geste". Ceci alors que le code électoral prohibe "la diffusion de messages à caractère de propagande électorale la veille et le jour du scrutin". Verdict : le député a "porté atteinte au respect dû à la dignité des opérations électorales" et, "eu égard à la notoriété", a pu "altérer la sincérité du scrutin".
Référence : Conseil constitutionnel, décision n° 2022-197 PDR du 27 avril 2022. Proclamation des résultats de l’élection du président de la République |