Environnement - Sécheresse : mobilisation des acteurs locaux
"La situation est extrêmement préoccupante", a d'emblée affirmé Nelly Olin à l'issue, le 15 février, du premier comité national Sécheresse. La France entre en effet dans sa troisième année de sécheresse consécutive : "Un important déficit de pluies à l'automne et au début de l'hiver se cumule avec celui de l'année précédente. Il manque un tiers à 50% des pluies sur une large partie du territoire", a rappelé la ministre de l'Ecologie et du Développement durable.
Résultat : la recharge des nappes phréatiques est "timide ou inexistante" et le débit des cours d'eau est inférieur de 20 à 70% par rapport aux normales saisonnières sur une grande partie du territoire. Ce déficit d'écoulement a déjà généré près de 3.800 kilomètres de cours d'eau à sec. Les points les plus critiques se trouvent dans le Bassin parisien, dans le sud et l'ouest de la région Centre, dans le nord-Poitou, en Champagne-Ardennes et dans la partie nord de la région Rhône-Alpes. Le département des Deux-Sèvres se voit contraint de reconduire depuis près d'un an une série de mesures de restriction dans 167 communes. Les seules situations de précipitations "normales voire excédentaires" se situent en Languedoc-Roussillon et en Corse.
La ministre a demandé à chaque agence de l'eau de réserver une dotation d'un million d'euros pour pouvoir, en cas de problème d'alimentation en eau potable, "intervenir sur des travaux d'urgence, par exemple des interconnexions de réseaux".
Les coupures d'eau ne sont pas inéluctables
Les agriculteurs figurent parmi les premiers acteurs locaux interpellés. Leur ministre, Dominique Bussereau, leur adressera dans les prochains jours un courrier les incitant "à la plus grande vigilance dans le choix de leurs cultures". "Il faut continuer à irriguer, mais il faut le faire de manière raisonnée", a-t-il souligné mercredi, tout en assurant que "les agriculteurs se sont déjà impliqués fortement l'an dernier dans la réduction de la consommation d'eau". Les surfaces ensemencées en maïs devraient ainsi baisser de 9% en 2006 par rapport à 2005, soit une baisse de près de 20% en deux ans.
"Au-delà, ce sont tous les citoyens et les différents acteurs, tels que les collectivités ou les industriels, qui doivent s'engager dans cette bataille de l'eau", a insisté Nelly Olin. D'où le lancement d'une campagne de sensibilisation et d'"appel au civisme", qui sera diffusée dans la presse quotidienne régionale.
Des coupures d'eau potable sont-elles à craindre dans certaines villes l'été prochain ? Nelly Olin ne l'exclut pas : "J'espère ne pas en arriver là, mais si la situation devait se révéler extrêmement tendue, il faudra le faire." Le directeur de l'eau au ministère de l'Ecologie, Pascal Berteau, note toutefois que les coupures d'eau ne sont pas inéluctables, comme le montre l'exemple de Niort qui a pu y échapper l'an dernier en mettant en place très tôt des mesures d'économie.
Le projet de loi sur l'eau ira plus loin
Au-delà de la "gestion de crise", Nelly Olin compte sur les effets de son "plan de gestion de la rareté de l'eau" présenté en Conseil des ministres en octobre 2005. Certaines actions ont déjà été lancées. Elle indique avoir proposé aux collectivités locales et aux services de distribution d'eau de "mettre en place, avec le soutien des agences de l'eau, une assistance et des aides financières à la récupération des eaux de pluie pour les particuliers dans le cadre de projets collectifs". De même, des démarches en faveur de projets innovants tels que la réutilisation des eaux usées ou la désalinisation sont en cours. Une charte sera signée le 2 mars pour promouvoir les comportements vertueux en matière d'irrigation des terrains de golf. L'objectif est de réduire leur consommation de 30% en trois ans.
D'autres dispositions seront prises dans le projet de loi sur l'eau, attendu à l'Assemblée nationale début mai (déjà examiné en première lecture au Sénat, le texte devrait être promulgué avant l'été). Parmi elles : l'obligation de compteurs d'eau dans les bâtiments collectifs neufs et la mise en place de zones de sauvegarde permettant aux collectivités "d'intervenir plus efficacement pour la protection quantitative de leurs ressources en eau potable". Sur toute la chaîne de la prévention, les collectivités se verront clairement sollicitées. Elles le sont naturellement déjà, depuis l'aménagement des cours d'eau jusqu'aux actions de pédagogie en passant par les opérations touchant au stockage ou à la structuration des réseaux de distribution?
Le prochain comité Sécheresse se tiendra le 12 avril. D'ici là, Nelly Olin compte présenter au conseil européen des ministres de l'Environnement, le 9 mars, un plan pour définir "une stratégie de gestion de la rareté de l'eau" à l'échelle de l'Europe.
C.M.
L'Ouest, l'une des régions les plus touchées
L'Ouest est l'une des régions où le problème de l'eau est le plus aigu. En Charente, le préfet a appelé le département à "se préparer à une gestion de crise majeure et continue" en raison du bas niveau des nappes, du faible débit des cours d'eau et du déficit pluviométrique. Même constat dans les Deux-Sèvres où le préfet a pris depuis le 4 février un arrêté de limitation de l'usage de l'eau. "Depuis trois ans, nous faisons face à des déficits très sérieux, s'inquiète Pierre Lacore, directeur de cabinet à la mairie de Niort. C'est du jamais vu !" La faible pluviométrie et une agriculture intensive sont à l'origine du manque d'eau constaté : "Le département est un grand producteur de maïs et les irrigants dans les campagnes alentour ont une consommation disproportionnée", explique Pierre Lacore. L'arrêté préfectoral qui court jusqu'au 25 février interdit l'utilisation des forages privés et le remplissage des plans d'eau à partir des rivières. Par ailleurs, le débit en aval du barrage de la Touche Poupard a été réduit de moitié. Des mesures drastiques visent les habitants : interdiction de nettoyer terrasses et trottoirs, de laver sa voiture... A la mairie de Niort, on mise sur la pédagogie. "Grâce à nos efforts de communication auprès de la population, on a réussi à réduire la consommation de 20% l'an dernier." Autre mesure : la diversification des ressources. Les réseaux de distribution du département sont raccordés entre eux, afin de permettre, selon le principe des vases communicants, de soulager les points les plus critiques.
Michel Tendil
Lorsque Dijon met son eau sur écoute
Dans le contexte de sécheresse actuel, les solutions mises en place par la communauté d'agglomération du Grand Dijon et la Lyonnaise des eaux pourraient faire des émules. Elles ont présenté le 15 février un tout nouveau dispositif de détection des fuites d'eau. 165 mini-capteurs vont être placés de manière permanente sur les 452 kilomètres de canalisation du réseau de Dijon d'ici le mois d'avril. Tous les matins, les bruits émis par les fuites seront transmis par SMS et email aux techniciens qui pourront intervenir immédiatement. Le coût ? 300.000 euros mais avec d'importantes économies à la clé. "On a estimé qu'en année pleine, cela représente une économie de 800.000 m3 sur les 12,5 millions captés chaque année à Dijon, c'est 80% des besoins de la deuxième ville de l'agglomération, explique Jean-Michel Bossart, directeur général des services du Syndicat mixte du dijonnais (SMD). Par rapport à des dispositifs qui, comme les comités Sécheresse, permettent de parer à l'urgence, on est ici dans une logique de long terme, de développement durable."
M.T.