TIC - Sébastien Soriano : "L'Arcep n'est pas le grand manitou des réseaux"
Les sénateurs de la commission des affaires économiques ont profité le 3 février de l'audition de Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) pour relayer les inquiétudes des territoires en matière de connectivité.
Au coeur des échanges, l'immense chantier qu'est le déploiement de la fibre optique dans les territoires. Les retards dans les déploiements et dans le versement des aides par l'Etat ont été regrettés par les sénateurs. "La lenteur est telle que les zones rurales sont inquiètes", a ainsi témoigné Philippe Leroy (LR), ajoutant que seuls 100 millions d'euros sur les 3 milliards d'euros promis par l'Etat ont effectivement été notifiés. Daniel Gremillet (LR) a quant à lui insisté sur l'enjeu "stratégique" que représente la connectivité pour les territoires, sachant que "l'économie n'attend pas" - un décrochage technologique qui pousse les "entreprises de toute taille [à quitter] nos zones rurales pour ne pas sortir du jeu de la nouvelle économie". Le rôle des opérateurs a par ailleurs été à nouveau critiqué par les sénateurs, qui estiment que ces opérateurs ne font pas suffisamment face à leurs responsabilités.
Sébastien Soriano a réaffirmé que la fibre était bien l'objectif prioritaire des déploiements mais a souhaité rappeler que "la réalité économique, opérationnelle, industrielle nécessite un certain temps". En attendant que la fibre soit tirée sur tout le territoire, il préconise "l'utilisation de technologies alternatives" comme la montée en débit sur cuivre ou la 4G, expérimentée par l'Agence nationale du numérique en zone rurale. Le statut de zone fibrée, dont le cahier des charges est actuellement en discussion entre l'Arcep et le gouvernement, figure également parmi les outils privilégiés par le Régulateur.
S'agissant des entreprises, Pierre-Jean Benghozi, membre du collège de l'Arcep, a spécifié aux sénateurs qu'elles étaient devenues l'une des priorités du Régulateur, qui cherche à mettre en place "les éléments critiques d'une régulation sur la fibre et sur l'internet des objets".
Dernier enjeu, les zones AMII. Là-dessus, Sébastien Soriano fait un bilan plus que mitigé : "Le gouvernement [...] aimerait qu'il y en ait plus". On saura en outre que le gouvernement aurait "l'intention […] d'installer une forme de péréquation pour aider les collectivités territoriales à financer des réseaux là où ce n'est pas rentable".
Faire respecter la mission de service universel
La situation actuelle, marquée par un mixte technologique mêlant fibre et cuivre, est problématique, a jugé l'élu de la Somme Daniel Dubois (UDI) : "Les territoires ruraux subissent une double peine" car "il leur est difficile d'installer le très haut débit" alors que dans le même temps, "Orange sacrifie leur réseau cuivre pour se tourner vers les zones urbaines, plus rentables". Aux yeux du sénateur, l'entretien des lignes et le service universel posent sérieusement question.
Pour Sébastien Soriano, la question du cuivre est primordiale. "L'urgence absolue, sur le cuivre, est la qualité du réseau téléphonique". L'Arcep a "ouvert une enquête en 2014 après avoir détecté des indicateurs anormaux". En conséquence, le Régulateur a contraint l'opérateur historique, suite à ce que Sébastien Soriano a qualifié de "dialogue très vif", à prendre des engagements publics sur le sujet. Le Régulateur devrait présenter ses conclusions "dans les prochaines semaines et formuler des recommandations au gouvernement sur le service universel".
Résorption des zones blanches : les opérateurs sous surveillance
En matière de couverture mobile, Sébastien Soriano s'est voulu rassurant sur le respect du calendrier. Toutes les communes encore situées en zone blanche devraient être couverte d'ici la fin de l'année. Idem pour les 2.200 communes localisées en zones grises, qui seront également couvertes en 3G d'ici mi-2017. Pour le président de l'Arcep, "nous sommes plutôt dans une phase de rattrapage". "La connectivité est un besoin, ce n'est plus un confort". Selon lui, l'Arcep sera au rendez-vous : "Notre pouvoir de sanction, effectif, porte sur les opérateurs en cas de non-respect du programme". Une disposition du projet de loi pour une République numérique devrait autoriser le Régulateur "à mettre en demeure les opérateurs par anticipation, si nous constatons qu'ils prennent du retard". De plus, tout au long des déploiements, l'Arcep mettra "les opérateurs sous surveillance" et publiera "tous les trimestres les conclusions de l'observatoire".
Par ailleurs, le président de la commission des affaires économiques, Jean-Claude Lenoir (LR), a incité le Régulateur à s'appuyer sur les élus territoriaux, qui sont "les mieux placés pour détailler, au kilomètre près, si le réseau fonctionne". Avant d'ajouter, que "nous pouvons être votre œil sans rien vous coûter". Chose que Sébastien Soriano a accueilli positivement, estimant que les apports des élus locaux "enrichissent considérablement notre compréhension".
Quant à la définition des zones blanches, elle reste pour l'instant inchangée. Pour le sénateur Yves Rome (PS),"les collectivités sont souvent mécontentes, parce que la connectivité se définit par la réception au clocher de l'église ou au portail de la mairie", et n'inclut pas, en conséquence, tout le territoire.
Refonte annoncée des cartes de couverture
Grande demande des territoires, les cartes de couverture devraient connaître des évolutions majeures. Françoise Benhamou, autre membre du collège de l'Arcep présente lors de l'audition, a reconnu que les cartes actuelles avaient "leurs limites" et qu'il existait une différence entre la "qualité de couverture affichée et effective". Différence due à "de nombreux paramètres" (antenne, charge du réseau, intérieur/extérieur du bâtiment). Le Régulateur travaille ainsi à "rapprocher ces cartes de l'expérience effective". Pour Françoise Benhamou, "la vision binaire, réception du signal ou non, n'est pas opérante" et il est important d'en sortir en intégrant "aux cartes des degrés de qualité, des éléments sur la couverture" plutôt qu'un "affichage par technologie, auquel l'utilisateur est indifférent". Plus lisibles, ces nouvelles cartes devront faciliter "une régulation par la data" en étant aisément interprétables. A cet égard, la publication en open data des sources des cartes de couverture prévue dans le projet de loi pour une République numérique devrait amener de nouvelles opportunités.
Françoise Benhamou a tout de même rappelé que "le chantier de révision des cartes est devant nous", en précisant que l'Arcep prépare "une décision soumise à homologation au premier semestre 2016, incitant les opérateurs à la publication de cartes enrichies".
L'itinérance mobile : un problème des territoires ultramarins et frontaliers
Le sénateur Michel Magras (LR) a interpellé Sébastien Soriano sur un sujet rarement évoqué : l'itinérance mobile. Si elle devrait être supprimée entre les territoires métropolitains et ultramarins à compter du 1er mai 2016, l'itinérance est également problématique pour les territoires frontaliers où les habitants subissent, d'une certaine manière, les réseaux étrangers. Les surcoûts engendrés par le roaming des téléphones est un réel enjeu pour Sébastien Soriano et "le cas des frontaliers est particulièrement délicat", tout comme "celui des habitants des départements d'outre-mer". Bien qu'il considère comme "légitime de souhaiter la suppression des surcoûts injustifiés de l'itinérance", il précise que cette suppression ne pourra "pas être totale". Un pallier sera prochainement franchi au niveau de l'Union européenne, où un nouvel accord a été trouvé sur l'"eurotarif". Les frais d'itinérance seront ainsi supprimés à compter du 15 juin 2017 dès lors que l'utilisation à l'étranger est "temporaire", y compris pour les données. Cependant, l'accord trouvé pour les territoires ultramarins est arrivé "trop tôt", estime Sébastien Soriano. Car "si l'Arcep partage les objectifs du Parlement, le système reste à construire". Et son président de conclure : "Il faut laisser le processus européen se dérouler. Les départements d'outre-mer ne peuvent pas passer avant les autres".
L'Arcep : accompagner le marché vers l'intérêt général
Le président de l'Arcep a profité de son audition pour clarifier le rôle du Régulateur. "En matière de fibre optique, son rôle est de conduire le marché dans le sens du bien commun" : "La limite de son action, c'est le marché, la rentabilité". Répondant aux interrogations des sénateurs sur les pouvoirs de l'Arcep, Sébastien Soriano les a assurés de son soutien, tout en nuançant sa capacité d'agir : "L'Arcep n'est pas le grand manitou des réseaux" et "ne dispose pas de baguette magique pour inciter les opérateurs à des investissements non rentables". Mais il lui est possible de "créer une dynamique d'investissement", en alignant "tous nos outils […] pour que les autres politiques publiques, de l'Etat et des collectivités territoriales, puissent être plus faciles, plus efficaces, moins coûteuses, et bien harmonisées avec le marché". En agissant par "impulsion, par incitation" à l'image de ce qui a été fait pour la bande 700 MHz.
Face à cet aveu, Jean-Claude Lenoir a en quelque sorte remis la balle dans le camp du Régulateur en lui assurant que s'il "manqu[ait] de moyens, nous [les sénateurs] sommes prêts à changer la loi".