Refondation de l'école - Rythmes scolaires : le "contre-rapport" du SNUipp est aussi un appel à la concertation
Quelle bonne idée ce contre-rapport du syndicat SNUipp-FSU ! Le premier syndicat représentant les professeurs des écoles n'avait pas voulu être associé à celui du comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires adopté le 12 février dernier (voir notre article ci-contre) dont il est membre. Son rapport à lui, intitulé "Réforme des rythmes : ce que les enseignants en disent" sent le vécu de la réforme dans ses détails les plus pratico-pratique, notamment dans les relations avec les élus mais aussi avec les personnels municipaux.
60% des enseignants estiment que l'avis du conseil d'école n'a pas été pris en compte
On aurait donc tort de s'arrêter au caractère évidemment revendicatif de ce "contre-rapport" (rappelons que le syndicat demande la "réécriture" du décret du 24 janvier 2013). Ce document peut aussi se lire comme le résultat d'une large enquête de terrain menée auprès de 3.568 enseignants d'écoles qui ont appliqué la réforme des rythmes à la rentrée 2013 (auxquels s'ajoutent ceux travaillant dans 3.906 écoles qui appliqueront la réforme des rythmes à la rentrée 2014).
Il se refuse à porter la moindre indulgence vis-à-vis des mairies mais les témoignages recueillis montrent que les enseignants ont tout à fait conscience des contraintes financières et matérielles des collectivités. Et ils sont dans leur rôle lorsqu'ils s'offusquent que ces contraintes prennent le pas sur leur parole. Dans les écoles ayant débuté la réforme des rythmes scolaires dès cette rentrée 2013, 60% des enseignants estiment ainsi que l'avis du conseil d'école n'a pas été pris en compte. Pour la prochaine rentrée, 31% des conseils d'école consultés à ce jour n'adhèrent d'ores et déjà pas au "projet remonté par la mairie".
La concertation, définitivement "maître mot" de la réussite de la réforme
Or, comme le comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires, le SNUipp estime que le "maître mot d'une réussite de l'élaboration du projet puis de sa mise en œuvre est la concertation". Le syndicat précise aussitôt : "Pas la concertation qui consiste à réunir les enseignants pour juste les informer des décisions de la mairie, mais celle menée dans la confiance et la transparence, quand chacun a pu à la fois porter ses contraintes, ses souhaits et a vécu la construction consensuelle d'un projet." Plusieurs enseignants témoignent avoir participé à une telle concertation.
Parmi les mécontents, transparaît souvent l'idée que ce n'est pas tant le fait de n'avoir pas été entendu qui les hérisse, mais plutôt que leurs paroles valaient moins que des considérations matérielles et financières. "Le côté financier l'a emporté sur la volonté de mettre en place des rythmes bénéfiques aux élèves", résume ainsi un enseignant de Chanteloup-les-Vignes (10.000 habitants), en l'occurrence : "budget des transports, nombre de services de cantine, recrutement du personnel d'animation..." Dans un village de 4.000 habitants des Vosges, à Vagney exactement, l'équipe enseignante a été concertée, reconnaît l'un d'entre eux, "mais les contraintes municipales (transport, cantine, choix d'un temps de TAP pour notre mairie d'un maximum de 3h) ont fait que les propositions de l'équipe ont été déboutées".
A Cublac, commune corrézienne de 1.700 habitants, on est compréhensif avec la commune, mais moins avec le département : "le conseil général a refusé de mettre en place le transport le samedi matin : la mairie n'a pas d'autre choix que de faire école le mercredi. Les horaires d'entrée et de sortie ne peuvent pas être modifiés à cause des transports". Bref, "les choix ne sont pas faits en fonction des enfants mais du conseil général".
Effet "petites villes" : plus de difficultés financières, mais plus de concertation
Dans les petites communes, où les contraintes sont les plus aiguës, 89,57% des équipes enseignantes ont été concertées, quand elles n'ont été que de 72% au niveau national. 67% l'ont été sur l'utilisation des locaux scolaires (contre 34% dans les grandes agglomérations) et 54% sur la gestion des transitions entre les temps scolaires et les temps péri-scolaires (moins de la moitié dans les grandes agglomérations). Seulement 14,5% ont envoyé un projet différent de la mairie. "L'effet 'petites villes' semble aller vers plus de concertation", conclut le SNUipp.
"Dans une classe unique, il est indispensable d'être en bonne relation avec sa mairie et j'ai la chance que ce soit le cas, témoigne ce professeur des écoles de Meolans-Revel, village de 300 habitants des Alpes-de-Hautes-Provence. J'ai produit un emploi du temps, fait des propositions à la mairie d'activités et de personnes ressources et celle-ci s'est chargée du reste."
Effet "grandes villes" : plus de complexité, et moins de concertation
En revanche, dans les "grandes villes" qui ont appliqué la réforme dès la rentrée 2013, "quand la volonté existait de mener une concertation, le nombre important d’écoles l’a rendue difficile", déplore le SNUipp. "Le nombre élevé d’enfants à prendre en charge engendre une mise en place des TAP plus délicate qu’ailleurs. Les transitions entre les temps scolaires et péri-scolaires semblent particulièrement complexes à gérer dans ces grandes villes", a-t-il observé.
En outre, selon l'enquête, 45% des enseignants des grandes agglomérations voient l’utilisation de leur classe limitée par les activités périscolaires (contre 39% en moyenne nationale). L’utilisation des installations sportives (gymnases, piscines…) serait également limitée pour un tiers de ces enseignants.
Pour la rentrée prochaine, le syndicat n'est pas optimiste. Et de citer Nice et Marseille où "les mairies n'ont pas déposé de projet" ; Lyon où "aucune communication officielle n’a été faite" ; Bordeaux où "les conseils d'école ont massivement rejeté la proposition de la mairie" qui "a fait remonter son projet au Dasen (directeur académique des services de l'Education nationale) sans rien changer" (notamment une pause méridienne de 2h15 pour les maternelles). Ou encore à Reims, "ville où la concertation a plutôt été satisfaisante auprès des enseignants, parents et personnels territoriaux" (projet de charte d'occupation des locaux et amélioration de la présence des Atsem dans les classes), mais où "la taille de la ville a empêché de réduire la pause méridienne".
Le Dasen : complice du maire ou arbitre ?
La pilule est d'autant plus dure à avaler quand les enseignants ont "le sentiment d’être abandonnés par l’institution" (Ndlr : les représentants de l'Education nationale : Dasen et IEN 'inspecteur de l'Education nationale'). Car là où le conseil d’école et la mairie n’étaient pas d’accord, les IEN, qui avaient la charge d’assurer la médiation, ne leur ont pas toujours donné raison. "Si certains ont joué pleinement leur rôle et se sont montrés soucieux de l’intérêt des enfants et des personnels, d’autres se sont rangés du côté des mairies", dénonce le SNUipp, en demandant au Dasen d'assumer sa "position d'arbitre".
La question se pose notamment sur le choix de la classe le samedi matin plutôt que le mercredi (le samedi matin étant l'option recommandée par la plupart des chronobiologistes). Là encore, le SNUipp ressent que "dans la plupart des cas, ce sont des considérations budgétaires ou organisationnelles qui ont guidé les choix des municipalités ou de l'administration, quitte à ce que ces dernières se retrouvent en désaccord avec l'ensemble de la communauté éducative".
Parfois aussi, c'est l'Education nationale qui aurait décidé seule y compris contre le choix du maire. Ainsi à Tourcoing (92.000 habitants), c’est l’IEN qui aurait "imposé à la mairie le mercredi par crainte d’un absentéisme massif le samedi". Idem dans la petite ville normande de Houssaye (220 habitants) où le Dasen aurait cette fois avancé l'argument de la difficulté d'assurer les remplacements le samedi matin.
Des Atsem trop sollicitées ?
"Nous avons vraiment besoin de temps dégagé pour les concertations y compris avec les Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui ne sont disponibles à aucun moment", se plaint un enseignant de Niort. "Les Atsem sont beaucoup trop sollicitées, avec trois à quatre casquettes différentes dans une journée", compatit un enseignant d'Ennezat (2.400 habitants). "Les Atsem sont épuisées. Elles préparent leurs activités du périscolaire pendant la journée et sont moins réceptives aux demandes d'activités pour la classe", observe cet autre enseignant de Cayenne.
Le document du SNUipp ne fait apparaître aucun mépris du corps enseignant vis-à-vis des Atsem, comme il le lui est souvent reproché. Au contraire, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles "ont l’avantage de bien connaître les besoins des jeunes enfants", et leur intervention sur les activités périscolaires serait "sécurisant pour les enfants". "En revanche, il arrive que cela se fasse au détriment de leur temps de présence en classe", tient-il à souligner, rappelant la position du syndicat : "La présence des personnels Atsem dans les classes maternelles est indispensable et ne doit en rien diminuer."
Des éducateurs sportifs qui changent de temps
"De même les éducateurs sportifs intervenant en co-éducation sur le temps scolaire interviennent désormais parfois uniquement sur le périscolaire", dénonce le SNUipp. Un enseignant d'Aubervilliers regrette ainsi que "les interventions de l’école de musique aient diminué sur le temps scolaire pour être déplacées sur le TAP". Il y a "beaucoup de moyens municipaux pour les activités périscolaires. L'école n'a plus d'intervention d'animateur sportif, plus de projets culturels financés antérieurement par la mairie et plus de classes transplantées", témoigne un enseignant de Laval qui se sent "délaissé" par la mairie.
Selon les résultats de l'enquête, 24% des enseignants ont noté que l’intervention des personnels communaux sur le temps scolaire avait diminué et 21% qu'elle avait augmenté. Pour une large majorité (54%), elle n'aurait pas bougé.
A noter enfin que seuls 22% des enseignants dont les écoles ont mis en œuvre la réforme à la rentrée 2013 estiment qu'elle a amélioré les conditions d'apprentissage pour les élèves. Mais ce pourcentage monte à 38% quand l'avis du conseil d'école a été suivi et redescend à 12% quand cela n'a pas été le cas.