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Rozenn Merrien (Andev) : "Le modèle 'une classe, un enseignant' mérite d'être réinterrogé"

L'Association nationale des directeurs et cadres de l'éducation des villes et des collectivités territoriales (Andev) tient son congrès annuel à Metz, du 20 au 22 octobre 2021, sur le thème "Éducation et développement durable". Pour Localtis, sa présidente, Rozenn Merrien, revient sur les raisons de ce choix.

Localtis - Alors que la crise sanitaire n'est pas encore derrière nous et que d'autres sujets ont fait l'actualité de l'éducation ces derniers mois – évolution de l'éducation prioritaire, loi Séparatismes, etc. – pourquoi cette thématique du développement durable ?

Rozenn Merrien - La sortie de crise sanitaire, que nous espérons proche, a entraîné les collectivités et l'État dans une forme d'hyperquotidienneté. Il nous a semblé nécessaire de pouvoir prendre un temps de recul pour envisager les enjeux de développement durable qui restent devant nous et qui s'imposent à nous, en termes écologiques, bien sûr, mais aussi éthiques, sociaux et démocratiques. Nous souhaitons aborder la question de la mobilisation des acteurs. L'enjeu du développement durable nous semble un objet de travail partagé entre les différents acteurs éducatifs. Et il y a une nécessité d'agir de manière collective pour répondre à ces enjeux.

Derrière le syntagme "développement durable", vous mettez donc quelque chose de beaucoup plus large que les enjeux environnementaux…

Oui, tout à fait. Nous posons aussi la question des enjeux sociaux, en termes d'inégalités notamment d'accès à l'école. Nous pensons aux populations les plus fragiles, à la soutenabilité du modèle de société que nous entendons construire. L'éducation est le pilier de la construction de la société de demain.

Quel rôle la collectivité peut-elle jouer dans cette construction ?

Les collectivités sont en première ligne dans la mesure où le maire est chargé d'assurer le respect du droit d'accès à l'école. On parle d'obligation scolaire, mais aujourd'hui la question qui se pose est celle du respect du droit à bénéficier d'une éducation identique pour tous les enfants du territoire. Par ailleurs, il est aujourd'hui difficile de dissocier temps scolaire, temps périscolaire et temps familial. Et ce sont encore les collectivités qui sont à la manœuvre et à l'animation de ces trois temps, et les mettent en cohérence, à travers les projets éducatifs de territoire (PEDT) et les projets éducatifs globaux (PEG). C'est cette cohérence qui contribue à l'épanouissement de l'enfant et à son éducation avec un grand "É". Le temps scolaire n'est pas le seul qui contribue aux apprentissages et à l'éducation de l'enfant.

Comment faites-vous le lien entre les actions des collectivités et le développement durable, objet de votre congrès ?

Les collectivités participent à accompagner des projets sur le temps scolaire en termes de développement durable. Je pense notamment à la mise en place de jardins partagés, au développement de "cours oasis" (cours aménagées pour une meilleure gestion de l’eau de pluie, dotées de zones ombragées, multipliant végétaux et matières naturelles, et pensant de nouveaux usages, ndlr), qui participent aux enjeux climatiques mais aussi à la question de la juste place des filles et des garçons, aux enfants en situation de handicap ou en dehors des stéréotypes. Et là, ce sont bien les collectivités qui sont à l'initiative des démarches. Sur le bâti scolaire, les circuits courts, le bio ou l'agriculture raisonnée en restauration scolaire, les collectivités sont encore en première ligne.

Sur un certain nombre de sujets, la volonté de la collectivité peut se heurter à l'Éducation nationale qui, elle, est à la manœuvre au sein même de l'école durant le temps scolaire. N'y a-t-il pas un gros travail à faire pour mieux articuler les actions des uns et des autres ?

Oui, mais nous menons ce travail sur les territoires. Si une collectivité met en place une cours-oasis, sans concertation, il y a toutes les chances pour que le projet ne soit pas approprié. Les espaces de concertation fléchés au niveau de l'Éducation nationale pour les enseignants et les directeurs sont probablement insuffisants, mais les volontés individuelles nous permettent d'engager ce travail de coopération. Le niveau local est le bon niveau pour travailler cette coopération entre les acteurs, que d'ailleurs le ministère appelle de ses vœux. Dans un message qu'il nous a transmis, Jean-Michel Blanquer rappelle bien la nécessité de cette mobilisation collective et de cette mise en synergie des acteurs.

Sur le bâti scolaire, quelles sont les marges de manœuvre des collectivités pour aller vers plus de développement durable ?

La première contrainte est l'aspect financier, qui est assez forte au niveau local. Donc l'engagement en faveur du développement durable amène nécessairement des choix. Il y a l'enjeu écologique, avec l'ambition d'avoir un bâti scolaire durable, mais aussi l'enjeu de la construction des espaces à l'intérieur de l'école, pour faire plus de collectif, sortir du face à face, créer des espaces qui favorisent la coopération. Ce sont des initiatives locales qui relèvent d'une volonté à la fois du maire et de son équipe municipale mais également de la mobilisation d'un certain nombre d'acteurs sur le territoire, je pense aux inspecteurs de l'Éducation nationale qui sont des acteurs essentiels pour arriver à dégager des temps de concertation et accompagner la mobilisation de leurs équipes.

Là, vous parlez de toucher à la relation entre élèves, entre enseignants et élèves, et entre enseignants. Vous touchez au sacré !

Oui, nous touchons au sacré, mais nous devons porter de manière collective cette ambition. Le modèle "une classe, un enseignant" mérite d'être réinterrogé. On voit bien que les équipes de l'Éducation nationale acceptent de discuter. À partir du moment où l'on aborde les questions de développement durable, il faut être porteur d'une ambition et d'une volonté de transformer les modèles tels qu'ils étaient définis précédemment. On a envie de porter cette ambition durant les trois jours de notre congrès à Metz. Nous allons tenter d'identifier les leviers que l'on pourra ensuite développer sur nos territoires en partant d'expériences novatrices.

Un dernier message ?

Il est temps que les acteurs éducatifs soient capables de mettre en place des espaces permettant de prendre en compte l'inquiétude des jeunes générations. On est dans un devoir d'agir vis-à-vis d'elles. Cela vient bouleverser des modes de fonctionnement anciens et nous sommes convaincus qu'il faut accepter de les bouleverser pour engager des transformations nécessaires et urgentes.