Gabriel Fraga (Andev) : "Mettre tout le monde en classe avec un sandwich, ce n'est pas ce qu'on souhaite"
La mise en œuvre des protocoles sanitaires successifs dans les cantines scolaires tourne souvent au casse-tête pour les collectivités gestionnaires. La difficulté d'interprétation du décret du 27 janvier 2021 n'a rien arrangé. Gabriel Fraga, directeur général adjoint chargé des synergies éducatives à la ville des Ulis (Essonne) et secrétaire général de l'Andev (Association nationale des directeurs et des cadres de l'éducation des villes et des collectivités territoriales), revient pour Localtis sur ces différents épisodes.
Localtis : Quels sont les grands principes des protocoles sanitaires qui se sont succédé pour les cantines scolaires depuis la réouverture des écoles en mai 2020 ?
Gabriel Fraga : Il s'agit du non-brassage des groupes d'élèves, de la nécessité d'une aération accrue et de la désinfection entre chaque passage des enfants. Mais à peine arrive-t-on à créer les conditions d'un miracle quotidien, et j'insiste sur le mot miracle, que le gouvernement nous adresse un nouveau décret, en date du 27 janvier, qui revient à tout recommencer alors que les précédentes règles dataient d'il y a quinze jours. Mais je rappelle qu'outre les règles actuelles liées au Covid-19, il y a aussi les règles liées à la sécurité alimentaire. Un repas ça ne se balade pas entre des bâtiments en passant par le dehors. J'entends que certains invitent à utiliser des gymnases ou des bâtiments proches des écoles. C'est en train de générer une grande tension et une grande fatigue des agents qui sont au front, et ce n'est pas une expression exagérée. Dans les heures qui viennent, il va falloir que les équipes territoriales parviennent à pousser les murs.
Vous faites allusion au décret du 27 janvier qui s'impose en restauration collective mais ne s'applique qu'en partie dans les cantines scolaires, sans que cette nuance ne soit d'ailleurs précisée dans le texte. Il impose deux mètres de distance, au lieu d'un mètre, entre groupes d'élèves. En revanche, la limitation à quatre personnes par groupe ne s'applique pas plus dans les cantines que ne s'appliquait jusqu'à maintenant celle limitant les groupes à six personnes. Entre le 27 janvier et le 1er février, date de la mise à jour du protocole de l'Éducation nationale, il semble y avoir eu un malentendu, notamment dans les collectivités…
Le vrai questionnement porte sur cette notion de groupe. On a essayé de savoir à quel type d'établissements s'adressait le décret du 27 janvier. Sur le fait de savoir s'il y a une limitation du nombre d'élèves dans un groupe, on a besoin de plus de clarté. Nous avons vingt et une écoles aux Ulis. Nous appliquerons le protocole du ministère et non le décret. C'est le document qu'on nous a demandé d'appliquer jusqu'à maintenant.
Si l'on remonte un peu dans le temps, quelles sont les principales difficultés observées dans l'application des protocoles sanitaires successifs dans les cantines ?
Le vrai problème de ces protocoles est qu'ils sont déconnectés des réalités dans leur rédaction. Aux Ulis, les premiers jours, on s'est rendu compte que le protocole de janvier était très compliqué à mettre en œuvre. Dans la mise en œuvre, ce qui a bien marché a été de décliner le protocole par restaurant scolaire, sans être sur une lecture stricte, en utilisant toutes les ressources qu'on pouvait interpréter. En synergie avec l'Éducation nationale sur le territoire, on a travaillé école par école. Mais on a parfois rendu des enfants aux enseignants à 14h10 alors que la pause méridienne avait commencé à 11h30, vous vous rendez compte ?! Les protocoles s'imposeraient avec plus de facilité et de compréhension s'il y avait un travail en amont. On est dans la crise sanitaire depuis onze mois. C'est incroyable de constater qu'en onze mois on n'a pas su trouver le temps de travailler réellement avec les territoires. L'ingénierie des collectivités est riche et diverse mais clairement sous-exploitée par l'État.
Quelles solutions concrètes avez-vous mises en place dans votre commune ?
On a décidé d'élargir la pause méridienne selon les écoles, selon les espaces disponibles, l'agencement des locaux ou encore la possibilité de pouvoir annexer d'autres espaces afin de les dédier à la restauration. Dans certaines écoles, on a augmenté le temps de pause méridienne. Sur d'autres, on a décalé les horaires, en avançant ou en reculant de quinze ou vingt minutes les services, tout en maintenant une pause méridienne de deux heures. Ailleurs, toujours en accord avec les autres acteurs, on a fait le choix de réduire de dix minutes le temps de repas. Ce n'est pas le choix le mieux adapté, mais après dix jours d'expérience, on a observé que si l'on ne brusque pas les enfants, ils parviennent à manger en quarante minutes au lieu de cinquante. Avec ces protocoles qui nous tombent dessus, il est parfois intéressant de gagner dix minutes. Sachant que notre objectif et de ne jamais brusquer les enfants sur un temps – la pause méridienne – qui est important, et surtout de s'assurer que le repas du midi, parfois le seul vrai repas équilibré de la journée pour certains enfants, soit maintenu dans de bonnes conditions. Mettre tout le monde en classe avec un sandwich, ce n'est pas ce qu'on souhaite. Pour bien apprendre l'après-midi, il faut bien manger le midi. C'est tout cela qu'il faut avoir à l'esprit lorsqu'on rédige un protocole sanitaire.