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Interview - Revitalisation des centres-villes : Patrick Vignal envisage un démonstrateur dans les Hauts-de-France

Alors que le projet de loi Elan préfigure les opérations de revitalisation de territoire, et que les sénateurs entendent proposer un texte dédié à la revitalisation des centres-villes, Patrick Vignal, député de l’Hérault, décrypte pour Localtis les positions de l’association Centre-Ville en mouvement dont il est le président. Il compte lancer avec la région Hauts-de-France une expérimentation d’envergure afin de mettre en application les propositions de Centre-Ville en mouvement en matière de revitalisation de centre-ville.
 

Comment accueillez-vous l’annonce des 222 villes bénéficiaires du programme Action coeur de ville ?
Patrick Vignal - Depuis Valéry Giscard d’Estaing en 1974, personne ne s’en était occupé. Enfin, un gouvernement a le courage de s’attaquer au nerf de la guerre, c’est-à-dire au problème des centres-villes qui est au fondement de la fracture du territoire.
Ce n’est qu’un premier jet : il faudra au moins deux mandats pour rattraper le retard pris par les gouvernements précédents. J’ai échangé longuement, la semaine dernière, avec Jacques Mézard : j’ai trouvé quelqu’un de déterminé, avec une feuille de route précise, qui compte la mener à terme. Nous avions un désaccord quant au moratoire [Patrick Vignal soutenait un moratoire généralisé, ndlr] : je pense qu’il a raison, il faut le faire au cas par cas.
Sur le fond, cela dit, il faut qu’on cesse l’extension des supermarchés. Les acteurs de la grande distribution eux-mêmes commencent à comprendre qu’il faut cesser de construire des centres commerciaux déshumanisés dans les périphéries, ils ont de nouveau l’intention de s’installer dans les centres-villes.

Plutôt qu’un moratoire, certains experts proposent de limiter les extensions commerciales à certaines zones définies dans les documents d’urbanisme que sont le Scot et le PLU intercommunal. Qu’en pensez-vous ?
Les deux sont nécessaires. Si des maires ou des présidents d’EPCI décident - sous prétexte de renforcer l’économie - d’ouvrir leur territoire aux grandes surfaces, ces documents ne suffiront pas. Il faut certes muscler les Scot et les PLU, mais il faut surtout avoir la possibilité de pouvoir surseoir à ces documents en saisissant les préfectures pour qu’elles refusent de nouvelles surfaces.
Je prends l’exemple de Carcassonne, où l’on compte déjà trois zones commerciales : la mairie n’a pas su refuser le dernier et quatrième projet qui doit ouvrir dans l’année. L’attrait des emplois créés est trop fort. C’est pourquoi il faut à la fois un Scot qui régit l’aménagement commercial du territoire, et en même temps un service de l’Etat en mesure de contester les décisions locales.

La réforme du système des commissions départementales et nationales d’aménagement commercial, à ce titre, vous paraît-elle souhaitable ?
Les CDAC et les Cnac sont devenues des chambres d’enregistrement. Continuer avec un tel système n’est plus possible. Il faut réinsérer les acteurs consulaires, CCI et CMA, dans les organes consultatifs : c’est d’ailleurs ce qu’indique la réglementation européenne. Je compte écrire à la commission européenne pour que les consulaires soient inclus comme des experts dans les CDAC.
N’ayons pas peur d’une réflexion à l’échelle régionale avec des commissions régionales. Arrêtons la concurrence en matière de parcs commerciaux pour penser en termes d’aménagement du territoire. Sinon, des situations absurdes se reproduiront, comme le départ de H&M du centre de Boulogne pour le centre commercial de Calais à 20 kilomètres de là.

Votre association Centre-Ville en mouvement porte un certain nombre de propositions : sont-elles entendues, dans le débat national pour la revitalisation des centres-villes ?
Je vais rencontrer la semaine prochaine Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France. Nous souhaitons que la région soit un territoire d’expérimentation pour engager des actions concrètes qui correspondent à nos propositions : stop aux centres commerciaux de périphérie, stop à la fuite des services de l’Etat et des collectivités hors du centre-ville, rendons la ville désirable avec un certain niveau de sécurité, de propreté, d’éclairage. Nous allons actionner le dispositif "territoires zéro chômage longue durée" [déjà initié dans la MEL, ndlr], pour que les demandeurs d’emploi puissent accompagner des commerçants en difficulté.
Nous devons signer un pacte avec Xavier Bertrand : le territoire devrait beaucoup changer dans les dix années à venir.

Vous proposez également de mettre en place des "territoires financiers", de quoi s’agit-il ?
Il s’agit de favoriser l’installation des entrepreneurs en centre-ville. Pour cela, les mairies doivent pouvoir mettre en place sur leur territoire des secteurs d’incitation fiscale. Il faut donc que Bercy autorise les maires à identifier - avec l’appui des préfectures et des acteurs consulaires - des territoires financiers prioritaires, à taux zéro : les commerçants, artisans et professions libérales seraient exemptés de CFE (cotisation foncière des entreprises) et de taxe foncière. Le territoire financier sera lissé sur le bloc communal afin d’alléger le poids fiscal de ce dispositif : les secteurs ciblés seront répartis sur l’ensemble du territoire intercommunal, et le manque à gagner sera supporté collectivement.

Quel serait le périmètre d’un tel territoire financier ?
Sa définition nécessite une réflexion collégiale, basée sur des études économiques : l’Insee nous signale régulièrement des poches de pauvreté, comme par exemple au nord du palais de Justice à Montpellier. L'Ecusson, le coeur historique, affiche 17% de vacance commerciale : c’est un territoire de 10.000 habitants où les gens se sont installés dans une logique d’entre-soi, les commerces y ferment et la vacance des logements s’accentue mécaniquement. Il faut éviter cela à tout prix. La politique de la ville aurait dû s’y attaquer ; il est temps de cibler l’Ecusson comme secteur prioritaire pendant un certain temps : il s’agit de redensifier le coeur historique en attirant fiscalement les entrepreneurs. Quand les voyants passeront au vert, il sera possible de changer de "territoire financier".

Dans cette recomposition pour une "fiscalité équitable”" comment traiter l’e-commerce ?
Le gouvernement avance sur la fiscalité des "géants du net", avec un projet de taxe européenne limitée à 3% de leur chiffre d’affaires. Mais ce n’est pas suffisant, on n’arrête pas la mer avec des pâtés de sable. Je pense qu’il faut bien entendu taxer ces entreprises, mais tout autant supporter fiscalement les petits commerces. Par ailleurs, il y a d’excellentes idées commerciales - chez Amazon par exemple - qui peuvent être reprises et appropriées par les petits commerçants. J’ai rencontré un porteur de projet qui a imaginé un nouveau format de halle commerçante, en y intégrant un centre de formation aux métiers de bouche, avec une excellente connexion internet et des services digitaux. Avec une halle ou un marché, on augmente de 35% la fréquentation des commerces alentour. Il s’agit de capter toutes ces énergies, toutes ces idées, pour les redistribuer en centre-ville.

Alors qu’un million de logements sont nécessaires pour répondre aux besoins d’habitat en France, 300.000 locaux sont disponibles en premier étage des rues commerçantes de centre-ville : comment mobiliser ces espaces habitables ?
C’est fondamentalement une affaire de fiscalité : il faut proposer des bonus significatifs afin que les propriétaires et bailleurs s’intéressent en priorité à la rénovation. Aujourd’hui on en est loin : les bailleurs sociaux dépensent 1.200 à 1.400€ par m² pour construire du logement sur terrain nu, alors qu’il leur en coûte 3.000 à 3.500€ par m² pour de la rénovation.
Comment faire en sorte qu’ils favorisent la rénovation ? Certains maires proposent aux bailleurs sociaux de rénover le centre-ville en contrepartie de droits à construire en périphérie, c’est une piste. Il faut surtout alléger les normes relatives à la rénovation des bâtiments historiques, qui sont parfois aberrantes, et créer une fiscalité avantageuse pour la rénovation du patrimoine bâti de centre-ville.

Comment aborder la problématique du stationnement, qui apparaît assez centrale dans les programmes de revitalisation de centre-ville ?
Je suis très en colère sur la politique de stationnement choisie par certains maires. Ce que j’observe, c’est que certains transposent budgétairement une partie de l’impôt local vers la verbalisation, en prétendant ne pas augmenter les impôts tout en profitant de la manne financière des horodateurs.
On en vient à facturer le stationnement des motos (à Vincennes et Charenton-le-Pont, ndlr): pourquoi ne pas taxer les poussettes ? Et bientôt les piétons, qui eux aussi prennent de la place et salissent la rue. Si l’on agit de la sorte, les infirmières ne se déplaceront plus pour aller soigner leurs patients.
En matière de stationnement de centre-ville, il est plus raisonnable de définir des zones bleues : lorsqu’un passant achète une baguette de pain, il n’a pas besoin de 2 heures, il ne fait que passer. La rotation des véhicules en centre-ville est la clé d’une gestion saine des flux de centre-ville, en favorisant le stationnement proximité tout en évitant les voitures ventouses. 

 

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