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Réforme territoriale - Retour à la case départ : une carte à 13 régions, un droit d'option toujours verrouillé

La carte des 13 nouvelles régions a été adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, dans la nuit de mercredi à jeudi, après un ultime débat passionnel marqué notamment par un baroud d'honneur des députés UMP alsaciens contre la fusion avec Champagne-Ardenne et Lorraine. Environ six heures de débats ont encore été nécessaires dans l'hémicycle pour aboutir au vote de l'article 1er du projet de loi qui prévoit la réduction du nombre de régions métropolitaines de 22 à 13 à compter de 2016. Au final, sur la soixantaine d'amendements pour le supprimer ou le réécrire encore, aucun n'a été adopté.
Le dialogue est "allé à son terme", a plaidé le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, défendant notamment les choix de découpage des régions au nom de la "taille critique" nécessaire à leur donner face à d'autres régions européennes. La taille ne fait pas la puissance, ont objecté plusieurs députés de droite mais aussi de gauche, invoquant les cas des régions allemandes ou espagnoles. Observant qu'"aucune carte ne fera jamais l'unanimité" et affirmant que le gouvernement n'entend "ni heurter ni gommer les identités locales", le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale André Vallini a appelé à "faire enfin cette nouvelle carte des régions et cette réforme territoriale que les Français attendent".

L'exception alsacienne ?

La dizaine de députés UMP alsaciens a fait bloc jusqu'au bout pour tenter de maintenir l'Alsace seule, quelques heures après avoir déployé une grande banderole "Ne tuez pas l'Alsace" dans la salle des Quatre-Colonnes. "Dans quelle société peut-on marier les gens contre leur gré ?", s'est exclamé Jean-Luc Reitzer, quand de son côté Laurent Furst a souligné que "l'Histoire nous a appris à vivre des moments difficiles mais aussi à ne jamais rien lâcher". En guise de démonstration par l'absurde, Eric Straumann a défendu deux amendements pour fusionner toutes les régions ou créer deux régions, l'Ile-de-France et la province. Dans leur combat, ils ont invoqué pêle-mêle la géographie ("la nouvelle région serait aussi grande que la Belgique"), l'histoire (les annexions de 1870 et 1940), l'économie (tournée vers l'Allemagne), le contre-exemple de la Bretagne et de la Corse inchangées, ou l'identité alsacienne avec le risque d'une montée de l'extrême droite aux cantonales et régionales de 2015.
Depuis Mulhouse, où il poursuivait sa campagne pour la présidence de l'UMP, Nicolas Sarkozy a promis, si l'UMP revient au pouvoir, de "défaire" la carte de la réforme territoriale et affirmé que "l'Alsace est la région la plus ouverte au coeur de l'Europe". Dans l'hémicycle, les élus alsaciens de droite ont reçu le renfort du coprésident du groupe écologiste François de Rugy, soutien de "la revendication légitime d'une région Alsace, qui a une forte identité et travaille depuis des années à une réforme territoriale".
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a lui tenté un appel au calme en formant "le voeu que le débat ne soit pas l'occasion de rajouter des tensions aux tensions, des passions aux passions dans ce pays". Martelant l'absence "d'antinomie entre l'identité et la modernité", il s'est aussi voulu rassurant : "Strasbourg se trouvera plus forte si, dans son statut de capitale européenne, elle devient la capitale d'une grande région".

Les chefs-lieux en question

Les députés ont d'ailleurs décidé, en signe d'apaisement, de désigner par avance Strasbourg comme capitale de la future grande région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. L'amendement présenté par le socialiste alsacien Philippe Bies stipule que "par dérogation, Strasbourg est le chef-lieu de sa région" – il s'agit en effet d'une dérogation dans la mesure où le texte prévoit en principe que "le chef-lieu définitif de la nouvelle région soit pris par décret en Conseil d'Etat avant le 1er juillet 2016 après avis du conseil régional" de la nouvelle région.
"C'est un sujet qui ne concerne pas les seuls Alsaciens (...) c'est un sujet national" et "une question européenne, compte tenu de la place particulière de Strasbourg comme ville de réconciliation, après les horreurs de la guerre", avait affirmé Bernard Cazeneuve mercredi soir.
Cette désignation implique implicitement que Strasbourg abritera bien la préfecture de région. Le lieu de l'hôtel de région restera en revanche déterminé par le conseil régional, tout comme le ou les lieux de tenue des réunions du conseil régional. "Vous venez d'annoncer quelle ville sera la préfecture de la région Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace (...) Je vous remercie de donner à tout le monde la liste des préfectures de régions", avait lancé au ministre le député-maire UMP de Châlons-en-Champagne (Marne), Benoist Apparu.
La question des chefs-lieux est naturellement sensible. Cette deuxième lecture à l'Assemblée en a, à nouveau, témoigné. "Entre Toulouse et Montpellier, entre Rouen et Caen, ou entre Besançon et Dijon, comment se fera l’arbitrage ? Par ailleurs, que deviendront les villes qui, de fait, verront sans doute disparaître leur fonction de chef-lieu ? (…) Face à cette difficulté, quelles peuvent être les réponses ? Soyons intelligents et modernes. Imaginons que la fonction de chef-lieu soit répartie entre plusieurs sites : les moyens de la technologie moderne le permettent. Ainsi, dans les futures régions que vous avez dessinées hier, la fonction de représentation de l’État se trouverait dans un lieu et celle de capitale régionale, représentante des collectivités locales, dans un autre", a par exemple exposé Marc Le Fur, député UMP.

Des Bretons toujours braqués sur la Loire-Atlantique

Pour le Nord, des socialistes, tel Bernard Roman, ont tenté en vain de repousser de trois ans la fusion du Nord-Pas-de-Calais avec la Picardie, fusion critiquée par la maire de Lille, Martine Aubry, mais soutenue par exemple par l'ex-ministre Frédéric Cuvillier, pour lequel "la réponse à des souffrances qui peuvent être exploitées par des mouvements extrémistes n'est pas le repli sur soi".
Des élus de gauche du Sud de la France ne sont pas parvenus à défaire la fusion Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, au profit d'une fusion de Midi-Pyrénées avec l'Aquitaine entre autres. Pas plus de succès pour les élus de divers bords voulant fusionner les régions Centre et Pays de la Loire.
Des écologistes à l'UMP en passant par l'UDI, les élus bretons n'ont pas réussi à reconstituer la "Bretagne historique" à cinq départements, en rattachant la Loire-Atlantique, enlevée par "décret de Vichy".
Autre déception pour ces Bretons, mais pour beaucoup d'autres aussi : dans un hémicycle des plus clairsemés, l'idée d'assouplir le fameux "droit d'option" pour les départements souhaitant changer de région d'appartenance, a finalement été rejetée. On reste donc sur le schéma initial : l'accord de chacun des deux conseils régionaux concernés, ainsi que du département, devra être donné à une majorité des trois cinquièmes. Malgré des offensives convergentes, des élus de gauche et de droite et tous les écologistes ont échoué à faire abaisser ce seuil à la majorité de 50%.

Un droit d'option "virtuel" ?

Le président PS de la commission des lois, certes Breton, Jean-Jacques Urvoas, avait pourtant tout fait pour convaincre que le droit d'option "doit être perçu comme la consécration de l’intelligence des territoires, comme la prise en compte de l’expertise indispensable des élus locaux, voire comme l’attention accordée aux aspirations exprimées par les citoyens"… et qu'il était donc important de "faire évoluer ce mécanisme". Or, selon lui, une majorité de trois cinquièmes fait du droit d'option "une virtualité". Plusieurs élus de Loire-Atlantique ont au contraire marqué leur désaccord, comme la socialiste Sylviane Bulteau, "absolument contre" la possibilité de "faciliter l'arrachage d'un département à notre région".
Le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale André Vallini, qui a notamment souligné que le texte débattu en deuxième lecture comportait déjà un assouplissement notable du verrou par la suppression des trois référendums dans chaque collectivité, a jugé qu'un tel droit, par son "caractère exceptionnel", appelle "presque naturellement une majorité qualifiée". Mais il s'en est remis à "la sagesse du Parlement, qui sera attentif à la stabilité qui doit présider à notre organisation territoriale". Verdict : 21 voix pour, 27 voix contre.
Dans la suite des discussions, le gouvernement a échoué à faire passer un amendement visant à "contenir le coût des indemnités des conseillers régionaux" et à réduire les effectifs des conseils des régions fusionnées dépassant 150 membres. Le rapporteur Carlos Da Silva s'était prononcé contre une baisse du nombre de conseillers alors que ces collectivités auront "davantage de responsabilités". Ils avaient aussi déploré que les indemnités soient amenées à augmenter dans certaines régions et à baisser dans d'autres.
Les députés ont achevé la seconde lecture en fin d'après-midi. Le vote solennel aura lieu le 25 novembre. En cas d'échec (probable), le texte repartira pour une nouvelle lecture à l'Assemblée puis au Sénat avant une adoption définitive avant Noël par l'Assemblée qui a le dernier mot. Pour l'heure en tout cas, l'espoir du Sénat de contribuer à faire évoluer le projet de loi aura donc bien été vain.

 

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