Réserve d'ajustement au Brexit : pour la France, les calculs de la Commission ne sont pas justes
La Commission européenne a publié les montants que les États membres devraient percevoir en 2021 au titre de la réserve d'ajustement au Brexit. La France conteste toutefois les clefs de calcul retenues, n'entendant pas être une nouvelle fois l'un des premiers "contributeurs nets".
420,8 millions d'euros (en prix courants). Tel est le montant du préfinancement (d'un total de 4,24 milliards d'euros pour les Vingt-Sept) qui serait versé à la France en 2021 dans le cadre de la réserve d'ajustement au Brexit, si la méthode de calcul proposée par la Commission européenne devait être retenue.
Après avoir présenté son projet de règlement le jour de Noël (voir notre article), la Commission a en effet détaillé le 12 janvier dernier les sommes qui devraient être attribuées cette année à chaque État membre pour "pallier les conséquences négatives du retrait du Royaume-Uni de l’Union dans les États membres, les régions et les secteurs, en particulier les plus touchés par le retrait, et en atténuer l’incidence sur la cohésion économique, sociale et territoriale".
Pour mémoire, un second versement (d'un montant total maximum de 1,26 milliard d'euros) pourra être alloué et décaissé en 2024, en fonction de l'utilisation du préfinancement et des dépenses totales éligibles acceptées par la Commission qui dépasseraient à la fois le montant du préfinancement et 0,06% du revenu national brut nominal de 2021.
Pour l'heure, ces 420,8 millions d'euros feraient de l'Hexagone, en montant brut, le 4e bénéficiaire de ce fonds, derrière l'Irlande (1,05 milliard), la Hollande (757,4 millions) et l'Allemagne (455,4 millions). Bien loti, le ministre des Finances irlandais, Paschal Donohoe, n'a d'ailleurs pas manqué de saluer la solidarité "évidente de la part de nos partenaires de l'UE tout au long du processus du Brexit […] à l'impact unique, négatif et disproportionné" sur son pays.
La France, elle, n'est au contraire guère séduite par la méthode retenue par Bruxelles, définie dans l'annexe I du projet de règlement. Un savant calcul (voir téléchargement) en plusieurs étapes, tenant compte pour chaque État membre :
- d'une part, pour allouer 600 millions d'euros (au prix de 2018), de l’importance de la pêche au sein de la zone économique exclusive du Royaume-Uni ;
- d'autre part, pour allouer les 3,4 milliards d'euros restants, de l’importance du commerce avec le Royaume-Uni.
France, premier "contributeur net"
"C'est une répartition indicative qui résulte des clefs de répartition choisies par la Commission, mais qui n'ont pas été encore approuvées ni par les États membres, ni par le Parlement européen. Les négociations sont encore en cours", s'empresse de souligner à Localtis une source gouvernementale.
La France entend peser pour araser trois pierres d'achoppement :
- d'abord, le fait que, s'agissant du critère relatif à la pêche, "le calcul se fasse à l'échelle des États membres, et non des régions", diluant ainsi fortement l'impact du Brexit sur la Bretagne, la Normandie ou les Hauts-de-France. "La France, qui possède la plus grande façade maritime d'Europe, se retrouve derrière la Belgique sur ce critère", s'étrangle-t-on au gouvernement. Outre-Quiévrain, on a d'ailleurs d'ores et déjà arrêté la répartition régionale de l'éventuelle enveloppe : 144 millions pour la Flandre, dont 62 millions réservés à la pêche, 92 millions pour la Wallonie et 26 millions pour Bruxelles ;
- ensuite, une "surévaluation" de fait des transferts de services financiers par rapport aux échanges de marchandises dans la prise en compte des conséquences du Brexit en matière commerciale, qui pénaliserait la France, favorisant au contraire des pays comme le Luxembourg, la Hollande ou l'Irlande ;
- enfin, la période d'admissibilité des dépenses, qui doivent être engagées et payées au cours de la période de référence fixée pour l'heure par la Commission entre le 1er juillet 2020 et le 31 décembre 2022. "La France, principale porte d'entrée, n'a fort heureusement pas attendu le 1er juillet dernier pour mettre en place les infrastructures rendues nécessaires par la sortie du Royaume-Uni de l'Union", grince-t-on au gouvernement.
Paris est donc bien décidé à rebattre les cartes et à ne pas être, une fois encore, "le premier contributeur net" ou, pour reprendre les termes du récent débat à l'Assemblée sur la contribution française au budget européen, le "dindon de la farce". "En l'état, la France serait le pays dont les dépenses liées au Brexit seraient les moins couvertes. Un comble alors que nous sommes le pays le plus impacté !", indique une source gouvernementale. La France espère pouvoir compter dans les négociations sur l'appui de l'Italie et de l'Espagne, qui se sentiraient également lésées, ou encore de l'Autriche, de la Lituanie ou de la Slovénie.
Quelle ventilation régionale ?
Quelle que soit l'issue de ces négociations, restera dans tous les cas au gouvernement à décider lui aussi d'une méthode de répartition de son enveloppe, sachant que le projet de règlement dispose en l'état que "lorsqu’ils conçoivent des mesures de soutien, les États membres tiennent compte des incidences diverses du retrait du Royaume-Uni de l’Union sur différentes régions et communautés locales et concentrent le soutien accordé au titre de la réserve sur les plus durement touchées, en fonction des besoins".
Pour l'heure, le chantier n'a semble-t-il pas encore été ouvert. Si le projet de règlement de la Commission a bien été enregistré le 15 janvier dernier par chaque chambre, aucun examen n'est prévu à ce stade. "Tous les textes européens ne font pas nécessairement l’objet d’un examen approfondi en commission", nous a-t-on répondu à l'Assemblée. De son côté, Régions de France ne semble pas avoir été mis dans la boucle jusqu'ici.
À l'échelon communautaire, les choses s'organisent. La commission REGI du Parlement européen a examiné le projet le 14 janvier dernier, mais à huis-clos. Le Belge Pascal Arimont (PPE) en a été nommé rapporteur. Le Comité des régions devrait désigner le sien ce vendredi.
On sait déjà que, de son côté, la Commission veillera à ce que les dépenses déclarées par les États membres soient bien liées à des mesures adoptées pour contrer les conséquences négatives du Brexit, à ce qu'elles soient limitées à la période de référence définie et à l'absence de tout double financement.