Repenser les services publics à l'aune de l'urgence écologique

Le collectif Nos Services publics publie son rapport "Les services publics au défi de la bifurcation écologique : un nouvel horizon pour le pacte social français ?". Qui passe notamment au crible la question des "conflits de besoin" dans plusieurs domaines : eau, logement, transports, santé, éducation, enseignement supérieur, emploi, financement et justice/sécurité.

Trois jours après la nomination du nouveau gouvernement, le collectif de fonctionnaires Nos Services publics a plaidé ce mardi 24 septembre pour repenser en profondeur les services publics en tant qu'"élément clef de la solution" face à "l'urgence écologique". Etiqueté à gauche et cofondé par l'ex-candidate du Nouveau Front populaire à Matignon Lucie Castets, le collectif souligne dans cette deuxième édition de son rapport annuel "sur l'état des services publics" que leur "architecture actuelle" et "leur fonctionnement ont été conçus sans intégrer la transition écologique ni les conséquences des crises environnementales". Or "l'épuisement des ressources naturelles, le changement climatique et l'effondrement de la biodiversité" ont mis fin à "l'illusion" sur laquelle reposait ce modèle, l'idée qu'il était possible de satisfaire des besoins individuels et collectifs toujours croissants grâce notamment aux politiques publiques.

"Le pacte social qui s'est construit au XXe siècle" autour de la satisfaction de besoins toujours croissants, notamment par les services publics, "ne pourra perdurer face aux crises du XXIe", avertissent ses auteurs. "Fondés sur l'intérêt général, les services publics constituent notre levier le plus puissant" pour répondre au défi écologique, insistent-ils. "Nos besoins quotidiens sont en conflit direct avec les réalités environnementales et il nous paraît nécessaire d'interroger la légitimité de ces besoins mais aussi la façon dont on souhaite y répondre collectivement", ont précisé les membres de Nos Services publics lors d'une conférence de presse de présentation du rapport. En soulignant que "le changement climatique a également un coût : si la prévention requiert un investissement équivalent à 1% du PIB par an, le coût de l’inaction pourrait coûter plus de 10 points de PIB".

Le collectif rappelle l'interrogation qui avait prévalu lors de la préparation en 2023 de son premier rapport sur les services publics : "Comment expliquer, alors que les moyens des services publics n’ont cessé de croître au cours des cinquante dernières années, que l’impression de leur délitement fait désormais consensus ?" Parmi les réponses, un constat : "Les besoins sociaux évoluent plus vite que les moyens alloués aux services publics, nourrissant un écart croissant entre les attentes de la population et la capacité des services publics à y répondre". Résultat : développement du secteur privé, creusement des inégalités, défiance croissante…

Cette année, pour ce deuxième rapport, les questionnements se présentent en ces termes : "Comment les crises écologiques se traduisent-elles en termes de besoins pour la population ? Comment les services publics y ont-ils répondu dans les dernières décennies et comment y répondent-ils aujourd’hui ? Comment cette nouvelle donne redéfinit-elle plus largement l’action publique ?"

Au total, le rapport intitulé "Les services publics au défi de la bifurcation écologique : un nouvel horizon pour le pacte social français ?" couvre neuf pans des services publics : eau, logement, transports, santé, éducation, enseignement supérieur, emploi, financement et justice/sécurité. Plus précisément, en plus d'un rapport général de synthèse, chacun de ces champs donne lieu à un document thématique dédié d'une bonne cinquantaine de pages. Une somme, donc.

L'un des fils rouges de l'analyse : la problématique des conflits d'usage ou "conflits de besoins". Et donc aussi la nécessaire recherche d'un "consensus social sur la hiérarchie des besoins et la réponse collective à y apporter". Car à ce jour, "les politiques publiques continuent à alimenter les conflits de besoins plutôt qu’à les juguler ou à les prévenir, et ce sans pour autant répondre aux besoins actuels de la population", estime Nos Services publics.

Prévenir une "crise démocratique, écologique et sociale"

Le domaine de l'eau illustre facilement cette problématique. "La diminution de la ressource en eau aggrave des conflits d’usage, et ce d’autant plus que l’agriculture requiert plus d’eau au moment où elle est le moins disponible, c’est-à-dire en été, et alors qu’elle demeure pour autant nécessaire à l’ensemble des autres usages". Et dans le même temps, "la politique de l’eau demeure majoritairement tournée vers la satisfaction des besoins humains à court terme au détriment de ceux des milieux naturels dont notre avenir collectif dépend pourtant" et "ne prend que peu en compte l’impact des activités humaines sur la dégradation de la qualité de l’eau et les effets de ces pollutions sur la santé humaine et sur celle des écosystèmes".

Autre illustration, les mobilités, avec des "distances parcourues multipliées par près de cinq depuis les années 1960" et "un éloignement croissant entre les habitations et les lieux de l’emploi". En matière de transports, "la stratégie actuelle pour réduire les émissions de gaz à effet de serre repose majoritairement sur le déploiement de voitures électriques". Si le collectif salue les "efforts notables" du gouvernement sortant pour rendre ces véhicules "plus abordables" via le leasing social, "la mobilité porte des enjeux environnementaux et sociaux qui dépassent la seule motorisation des véhicules ou leur accessibilité". Une manière de réduire les émissions liées aux transports consisterait à rouvrir des services publics (et des commerces) dans les territoires où ils ont fermé, de façon à limiter les distances à parcourir pour les usagers, à l'heure où "80% des kilomètres parcourus en France le sont en voiture".

Concernant le logement, "la construction neuve a jusqu'alors constitué de loin la première réponse" aux besoins, portée par une "sédimentation des aides fiscales à l’investissement locatif". Mais "du point de vue des émissions de gaz à effet de serre (ou) de l'artificialisation des sols", la construction neuve est "particulièrement coûteuse pour l'environnement". Nos Services publics suggère donc par exemple d'exploiter davantage les logements vacants ou les résidences secondaires et de miser sur la rénovation plutôt que la construction.

Le collectif dénonce par ailleurs le recours aux acteurs privés "peu contrôlés et évalués" lors de la présentation du rapport. Par exemple, la généralisation des alternances dans l'enseignement supérieur : "On ne sait même pas compter le nombre d'écoles qui participent (...). On ne sait pas le nombre d'entreprises qui en profitent. On ne sait pas où va cet argent. Tout ce qu'on sait, c'est que l'alternance a un impact assez faible sur l'emploi. Les objectifs ne sont pas vraiment atteints", a détaillé l'un des rapporteurs. S'agissant, toujours, de l'enseignement supérieur, Nos Services publics ne peut que constater que "les inégalités sociales se perpétuent dans les diplômes".

"La dégradation des services publics, conjuguée à l’urgence écologique, porte en elle les germes d’une crise démocratique, écologique et sociale : à défaut d’être anticipée et organisée, la réponse à celle-ci ne pourra être que subie", écrivent les auteurs du rapport. Au-delà de la régulation des conflits de besoins, ils mettent en avant la nécessité pour la puissance publique de "hiérarchiser les besoins" afin d’"arbitrer entre des priorités à forts enjeux sociaux". Et à ce titre, les services publics "apparaissent comme un élément clef de la solution" : "construits notamment pour pallier des défaillances de marché ou permettre une gestion efficace des biens communs, ils peuvent proposer un horizon de progrès collectif et sécurisant face aux risques rencontrés". Et Nos Services publics d'ajouter : "La réorientation des politiques publiques de manière à les rendre compatibles avec les besoins générés par l’urgence climatique représente une opportunité de rendre ces politiques plus efficaces et plus égalitaires. Cette double bifurcation est d’autant plus nécessaire que les classes populaires sont à la fois les plus vulnérables face aux crises écologiques, et celles qui peuvent le moins supporter les surcoûts de la transition".

 

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