REP : Zero Waste France veut des "pollueurs-payeurs", pas des "pollueurs-décideurs"
Dressant un bilan peu amène de la loi Agec dans un rapport qu’elle vient de publier, l’association environnementale Zero Waste France plaide pour une réforme du système de la responsabilité élargie des producteurs (REP) qui ne laisserait plus de marges de manœuvre aux metteurs sur le marché. Lors d’une conférence-débat organisée pour l’occasion à l’Assemblée, l’efficacité du système REP a été plus largement remise en cause.
C’est un procès par contumace qu’a conduit ce 11 avril l’association environnementale Zero Waste France à l’encontre des éco-organismes. Non pas que les mis en cause aient fuit. Mais l’association ne les a tout simplement pas conviés à la conférence-débat qu’elle organisait à l’Assemblée nationale – grâce au concours du député Philippe Bolo (Modem, Maine-et-Loire) – sur la réforme des filières REP (filières à responsabilité élargie du producteur) qu’elle appelle par ailleurs de ses vœux. "Les éco-organismes prennent trop de place et c’est bien le problème", justifie auprès de Localtis Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de l’association et organisatrice de l’événement.
Un maigre bilan
Une association qui joua d’abord le rôle du juge d’instruction, en tirant le bilan – plutôt à charge qu’à décharge – de la loi Agec dans cinq filières REP : les emballages ménagers, les textiles, les équipements électriques et électroniques (3E), l’ameublement et le bâtiment. "Elles représentent 63% des gisements couverts par une filière REP", précise Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable des affaires juridiques de l’association. Au regard des six indicateurs sélectionnés par l’association, le bilan exposé par cette responsable n’est effectivement guère reluisant :
- les quantités de produits mises en marché continuent de progresser : "+16% pour les textiles entre 2017 et 2022, +59% pour les équipements électriques et électroniques" ;
- des taux de réemploi très faibles, 1% dans le bâtiment pour les 3E ;
- des éco-modulations qui ne couvrent qu’une très faible proportion de produits – 1,6% des textiles couverts ; et avec une forte prévalence de bonus ;
- un financement du réemploi qui ne dépasse jamais le plancher des 5% minimum fixés dans les cahiers des charges, et peu (pas) transparent ; et un fonds réparation en berne ;
- une part de valorisation énergétique qui progresse.
Un système intrinsèquement défaillant
Un échec qui, pour Charlotte Soulary, s’explique par "les conflits d’intérêts inhérents au système REP : les metteurs sur le marché ont une trop grande marge de manœuvre pour décider eux-mêmes des mécanismes". "On passe des heures sur des débats techniques, alors qu’il faut reprendre le contrôle démocratique sur les REP", plaide-t-elle. Et d’ajouter : "Il faut cesser de donner la parole à ceux qui sont chargés d’appliquer la règle, et pas de la fixer. C’est à l’Assemblée qu’il faut la fixer". À l’Assemblée, et pas dans les ministères, puisque la lobbyste estime que c’est dès le stade des décrets d’application que la loi Agec a commencé à "être détricotée", avant que le fil ne soit tiré "dans les cahiers des charges". "On n’y arrivera pas au niveau réglementaire", est-elle convaincue. Jadis promoteur de la loi Agec – "une loi magnifique, sans doute l’une des meilleures" —, Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce — association qui a elle aussi naguère plaidé contre le fonctionnement actuel des REP (v. notre article du 29 janvier) —, partage l’analyse : "Aujourd’hui, on a un sérieux problème avec la loi Agec, qui finalement ne s’applique pas". Un échec qu’il attribue également au "complexe de la REP", qui fait de l’éco-organisme "un schizophrène, avec un cerveau gauche orienté vers l’atteinte d’une performance environnementale, et un cerveau droit qui vise à dépenser le moins d’argent possible. Or, depuis 25 ans, le dilemme se résout plutôt en faveur du cerveau droit, car il n’y a pas de sanction".
Quatre chantiers à ouvrir
Zero Waste France préconise en conséquence d’ouvrir quatre chantiers de front, qui tous font appel à la loi :
- inscrire dans cette dernière des trajectoires de réduction des mises en marché en unités de vente, et intégrer dans les cahiers des charges un objectif de prévention des déchets permettant de préciser la contribution de la filière à l’atteinte de l’objectif général fixé par la loi Agec ;
- rendre les éco-modulations réellement incitatives, en fixant dans la loi un niveau minimal d’éco-contribution et d’éco-modulation (au minimum 10% du prix de vente HT) à respecter et en réhaussant le niveau maximal d’éco-modulation (50% du prix, contre 20% aujourd’hui) ;
- muscler les mécanismes de soutien aux solutions alternatives, en doublant a minima les budgets alloués aux fonds réemploi – et en imposant la mise en place de ces fonds – d’une part, en imposant la publication des plans de prévention et d’éco-conception d’autre part, en harmonisant en outre leur format ;
- mieux contrôler le respect des obligations et des objectifs, en mettant en place une instance indépendante de régulation, d’évaluation et de contrôle des éco-organismes, et sanctionner les éco-organismes et les metteurs en marché ne respectant pas les règles.
"On va nous demander des comptes !"
L’instauration d’une autorité de régulation ne convainc toutefois pas Nicolas Garnier : "Je ne veux pas avoir à faire le siège d’une autorité pour la convaincre d’appliquer les sanctions prévues". Lui préconise un mécanisme de sanction automatique : "Les collectivités en ont bien une, avec la TGAP". Il continue ainsi de plaider pour l’introduction d’un "mécanisme aboutissant à ce que l’éco-organisme ait intérêt à collecter une tonne de plus plutôt qu’une tonne de moins", en confessant que "l’État serait sur le point de le mettre en place". Il déplore par ailleurs la non-généralisation des REP, tout en alertant paradoxalement sur le fait que "la REP ne fonctionne pas. Les coûts de gestion ont progressé de 20% en cinq ans, l’équivalent du fonds vert ! Et pour quelle performance environnementale ?", interroge-t-il. Et de prévenir : "Un jour, on va nous demander des comptes. Peut-être qu’un jour on aura un procès contre l’État pour non-respect des objectifs en matière de déchets". L’alerte est d’autant plus à prendre au sérieux que, comme Nicolas Garnier l’a rappelé en préambule, "Amorce a été à l’origine de la quasi-totalité des REP". L’expert confesse encore ses interrogations sur la conduite à tenir face au PFAS (et plus largement sur les droits à polluer) : "Faut-il les laisser se déployer pourvu que les metteurs sur le marché payent ? Faut-il les interdire dès maintenant ?". Et de se prononcer en l’espèce pour une voie médiane. Pour Charlotte Soulary, la conclusion s’impose : "Il faut arrêter de faire de la REP l’alpha et l’omega de la réduction des déchets".
La gouvernance, sujet central ?
"Attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain", avertit toutefois Vincent Coissard, sous-directeur Déchets et économie circulaire au ministère de la Transition écologique. "La loi Agec a véritablement impulsé une dynamique", veut également croire le député Stéphane Delautrette (SOC, Haute-Vienne), qui s’apprête à rendre "mi-mai", avec Véronique Riotton, son rapport, au nom de l’Assemblée, sur l’impact de cette loi. Il concède néanmoins que "la question de la gouvernance est le sujet central. Les REP sont trop sous le contrôle d’une partie des acteurs. Nous en avons bien conscience et ferons des recommandations en la matière", indique-t-il. Non sans souligner que la lettre de mission que l'ancienne Première ministre Élisabeth Borne avait confiée à l’IGEDD et à l’IGF en la matière dresse déjà clairement des pistes. Et en rappelant, en outre, que le conseil national de l’économie circulaire s’est lui aussi déjà prononcé, le 28 novembre dernier, en faveur d’une évolution de gouvernance. Pour Roland Marion, au contraire, "la question de la gouvernance n’est pas le bon sujet. La vraie question, c’est qu’est-ce qu’on veut faire faire aux REP ?". Dans le cas où les missions des éco-organismes ne seraient pas revues, Stéphane Delautrette persiste néanmoins : "La gouvernance doit être redéfinie, pour une meilleure prise en compte des avis des différentes parties prenantes".
Pas de loi Agec 2 en vue
Le parlementaire met également en avant "le rôle que doit jouer l’État et qu’il ne joue pas", soulignant la nécessité de "mieux contrôler et sanctionner les éco-organismes, jusqu’au retrait d’agrément. La loi le permet, mais… ". Il s’interroge encore sur "la réalité des plans quinquennaux de prévention et d’éco-conception. Beaucoup ne les produisent pas. Est-ce bien à l’échelle de l’éco-organisme que leur publication doit se faire ?". Il partage également les critiques formulées par Zero Waste France sur l’éco-modulation — "qui ne joue pas son rôle d’incitation et de dissuasion", convient-il — et sur le fonctionnement actuel du fonds réemploi. Autant d’éléments que l’on devrait retrouver dans son rapport en mai. Pour autant, le député prévient : "On ne s’oriente pas pour l’heure vers une loi Agec 2". Restera alors à trouver le bon véhicule législatif, en espérant que le trafic sera fluide.