Gouvernement - Remaniement : un nouveau tandem pour les collectivités
François Hollande a procédé ce jeudi 11 février, à quinze mois de la présidentielle, à un remaniement entre autres marqué par le retour des écologistes, par le retour de Jean-Marc Ayrault arrivant au Quai d'Orsay, par le départ de Marylise Lebranchu et de Fleur Pellerin, par la création de nouveaux intitulés et périmètres ministériels... notamment avec la formation d'un ministère de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales.
Lors de son intervention télévisée jeudi soir, le chef de l'Etat a mis en avant les "trois priorités" ayant dicté la recomposition de ce gouvernement "cohérent" : l'emploi, "l'écologie, l'environnement, la transition" et la sécurité. A l'Elysée, on souligne également une volonté d'"allier expérience et renouvellement".
Loin d'être resserré, le gouvernement Valls III compte désormais 38 membres, contre 32 dans l'équipe sortante. La parité est de nouveau respectée, avec autant de femmes que d'hommes. Avec une entorse toutefois : l'absence de femme à la tête des quatre ministères régaliens conduits par Jean-Jacques Urvoas à la Chancellerie, Bernard Cazeneuve à l'Intérieur, Jean-Marc Ayrault aux Affaires étrangères et Jean-Yves Le Drian qui reste à la Défense.
La fonction publique à part
Tout comme le départ de Sylvia Pinel - qui entendait rejoindre la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées où elle a été élue première vice-présidente - était programmé, celui de Marylise Lebranchu du ministère de la Décentralisation et de la Fonction publique avait été évoqué. Selon Marylise Lebranchu, le souci des équilibres géographiques aurait joué en sa défaveur avec l'arrivée récente de Jean-Jacques Urvoas, un autre "Finistérien"...
Citée par le site de France Bleu, elle explique avoir le sentiment du "devoir accompli" et poursuit : "J'étais arrivée avec un projet de loi qui était prêt, une loi cadre, le Sénat l'a voulu autrement. Le président de la République, le Premier ministre, ont changé d'avis. Avec des aléas de ce type, je crois être arrivée au bout des textes que je voulais faire."
Au passage, celui qui fut le secrétaire d'Etat de Marylise Lebranchu, André Vallini, reste lui au gouvernement mais passe du local au global... puisqu'il se retrouve secrétaire d'Etat auprès de Jean-Marc Ayrault, chargé du développement et de la francophonie
Le ministère de celle qui a été en première ligne des trois lois de réforme territoriale et de plusieurs chantiers liés à la fonction publique se trouve désormais coupé en deux. Avec, d'une part, la fonction publique, qui revient à Annick Girardin, membre du PRG, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, jusqu'ici secrétaire d'Etat chargée du développement et de la francophonie. Un domaine dont l'actualité va notamment être marquée par les débuts de la mise en œuvre de la négociation sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) dans la fonction publique. Un domaine dans lequel Annick Girardin n'a jusqu'ici pas eu spécialement l'occasion de se faire remarquer, au-delà d'interventions spécifiques à la situation des agents publics de son archipel.
Un périmètre élargi
Côté décentralisation, une nouvelle donne : la création d'un ministère de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, ministère confié au radical de gauche Jean-Michel Baylet. Et auquel s'ajoute un secrétariat d'Etat chargé des collectivités territoriales, qui fait entrer au gouvernement Estelle Grelier.
Ce vaste périmètre semble logique. Il devrait entre autres faire plaisir à l'Association des maires ruraux, qui s'était félicitée de l'introduction de la "ruralité" dans le portefeuille de Sylvia Pinel à la faveur du remaniement d'août 2014. Il est pourtant plus inédit qu'il n'en a l'air. C'est le grand retour du terme d'"aménagement du territoire" qui avait, depuis l'élection de François Hollande, disparu au profit de celui d'"égalité des territoires". Et puis il faut remonter à loin pour retrouver les champs "aménagement du territoire" et "collectivités" réunis au sein d'un même portefeuille : le dernier à avoir officiellement eu cette double étiquette fut Daniel Hoeffel, de 1993 à 1995, sous le gouvernement Balladur. Et encore s'agissait-il d'un ministère délégué, sous la houlette du ministre de l'Intérieur, en l'occurrence Charles Pasqua.
L'ancien sénateur et président du conseil général du Tarn-et-Garonne Jean-Michel Baylet, plusieurs fois député et ministre, s'est taillé une stature nationale en cofondant en 1973 le Mouvement des radicaux de gauche (MRG), devenu PRG en 1998. Sous les septennats Mitterrand, il fut successivement secrétaire d'Etat aux Relations extérieures (1984-86), secrétaire d'Etat chargé des collectivités locales déjà (1988-90) et ministre délégué au Tourisme (1990-1993).
Depuis 2012, le PRG a été un fidèle soutien à la politique du gouvernement, sauf sur l'interdiction du cumul des mandats. Homme de terrain à la tête du puissant quotidien régional La Dépêche du Midi, d'aucuns estiment d'ores et déjà que sa nomination permettra de cultiver certains réseaux d'élus locaux et de rassurer les départements.
Deux personnalités, deux positionnements...
Les départements... On se souvient que Jean-Michel Baylet avait vivement réagi aux propos sur le non-avenir des départements lors de la déclaration de politique générale de Manuel Valls en avril 2014. Puis qu'il avait fait de l'avenir des départements ruraux un quasi casus belli, jusqu'à ce qu'il affirme en août 2014 avoir eu "satisfaction" sur cette question. Dès la mi-septembre, le Premier ministre faisait savoir que le département ne serait pas supprimé partout. On connaît la suite.
Depuis, on a pu entendre les réserves de Jean-Michel Baylet au moment où se sont dessinées les grandes régions et on se souvient par exemple que la plupart des sénateurs du groupe RDSE (à majorité PRG) se sont abstenus lors du vote définitif de la loi Notr.
Mais si le gros morceau du moment en termes d'institutions locales est bien la mise en œuvre de la loi Notr et des fusions de régions, ces deux chantiers pourront certainement compter sur une autre force de conviction, celle de la nouvelle secrétaire d'Etat Estelle Grelier.
Députée PS de Seine-Maritime depuis juin 2012, "parlementaire associée" de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) après en avoir été vice-présidente, on a au contraire beaucoup entendu Estelle Grelier vanter les mérites de la réforme territoriale du gouvernement et regretter certains "reculs" obtenus par le Sénat lors de la discussion des textes. On l'a aussi entendue, par exemple en février 2015 dans le cadre des débats sur la loi Notr, s'interroger sur "l'avenir, à terme, du conseil départemental". "Je fais le pari de ceux qui pensent qu'il faut rénover ce cadre départemental et en faire, à terme, un conseil des territoires, où siégeraient des élus intercommunaux", avait-elle expliqué. Parmi ses "regrets" : "l'abandon du suffrage universel direct pour l'élection des conseillers communautaires".
Elue aux municipales de 2001 sur la liste du député-maire socialiste de Fécamp, Patrick Jeanne, Estelle Grelier est devenue première adjointe de cette ville portuaire et présidente de la communauté de communes. Reconduite après les municipales de 2008, elle a été conseillère régionale de Haute-Normandie entre 2004 et 2009, puis députée européenne de 2009 à 2012.
Deux secrétaires d'Etat pour Ségolène Royal
Le fait le plus remarqué de ce remaniement est le retour des écologistes au gouvernement avec, notamment, la patronne du parti, Emmanuelle Cosse, nommée ministre du Logement et de "l'Habitat durable". Le sénateur Jean-Vincent Placé devient pour sa part secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'Etat et de la simplification, où il remplace Clotilde Valter (laquelle hérite de la Formation professionnelle et de "l'Apprentissage", auprès de la ministre du Travail Myriam El Khomri) tandis que Barbara Pompili rejoint Ségolène Royal.
Au troisième rang protocolaire du gouvernement, Ségolène Royal conserve en effet son ministère, mais avec un intitulé différent. Elle est ainsi désormais "ministre de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer et chargée des relations internationales sur le climat". Elle était auparavant ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie et disposait, dans son portefeuille, de la conduite des négociations sur le climat en partage avec le ministre des Affaires étrangères. Désormais, elle est donc chargée à part entière du volet climat à l'international. Elle a également la tutelle de deux secrétariats d'Etat, contre un seul auparavant : Alain Vidalies conserve son poste aux Transports, à la Mer et à la Pêche tandis que la députée de la Somme Barbara Pompili donc, co-présidente du groupe écologiste à l'Assemblée, est nommée secrétaire d'Etat à la Biodiversité. Elle aura notamment en charge la suite des discussions du projet de loi pour la biodiversité, dont la deuxième lecture reprendra à l'Assemblée nationale à partir du 1er mars en commission.
S'agissant de la conseillère régionale Emmanuelle Cosse, qui a pris la tête d'EELV en novembre 2013, elle reprend finalement le portefeuille qu'avait abandonné en mars 2014 Cécile Duflot. Elle connaît bien le sujet : son travail comme vice-présidente "en charge du logement, de l'habitat, du renouvellement urbain et de l'action foncière" à la région Ile-de-France entre 2010 et 2015 lui est largement reconnu.
"On a expérimenté tous les dispositifs en Z"
En matière d'ajustements, on relèvera que le ministre Patrick Kanner, qui conserve ses attributions de ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports - et qui conserve son secrétaire d'Etat Thierry Braillard côté Sports - se voit de nouveau secondé par une secrétaire d'Etat en charge de la ville. Depuis le départ de Myriam El Khomri au Travail en septembre dernier, Patrick Kanner était resté seul en charge de ce champ politique de la ville, ce qui n'était sans doute pas pour lui déplaire.
Celle qui le rejoint là-dessus, la députée-maire PS de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, est plus que rodée à la politique de la ville. C'est en 2001 qu'Hélène Geoffroy est devenue conseillère municipale de cette ville de 44.000 habitants dans la banlieue de Lyon, avant de ravir en 2014 la mairie aux communistes qui la détenaient depuis la guerre.
"On a expérimenté tous les dispositifs en Z : ZUP, ZUS, ZFU, ZEP, ZSP" et "on aura gagné quand on sera sorti des sigles, des zones", avait-elle déclaré à l'AFP en septembre dernier à l'occasion des 25 ans des émeutes retentissantes de Vaulx-en-Velin. "On ne décrète pas la mixité sociale simplement en démolissant des immeubles et en relogeant des gens dans des nouveaux quartiers où ils ne se sentent plus à leur place", assure celle qui était aussi députée du Rhône depuis 2012, membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée et qui a été secrétaire nationale du PS déléguée à la lutte contre l'exclusion.
Droits des femmes... et Egalité réelle
On notera aussi que le remaniement est venu priver la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, d'une partie de ses prérogatives au profit de Laurence Rossignol, promue ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes. Cette dernière était déjà chargée de la Famille dans le gouvernement sortant, mais en tant que secrétaire d'Etat. Elle était aussi chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie.
C'est Pascale Boistard qui récupère ces deux derniers dossiers en restant secrétaire d'Etat auprès de Marisol Touraine, mais elle perd en revanche les Droits des femmes... Marisol Touraine reste par ailleurs ministre de tutelle de Ségolène Neuville, qui conserve son poste de secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.
Quant au nouveau secrétariat d'Etat confié à Ericka Bareigts, on attendra encore un peu pour en connaître le contenu exact... La députée PS de la Réunion sera en effet en charge de "l'égalité réelle". On pourrait songer à la loi de 2014 "pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes"... mais il est plus probable que son portefeuille soit lié à la notion d'égalité réelle entre France métropolitaine et territoires ultramarins. A moins que l'idée ne soit d'y inclure des enjeux plus larges liés à diverses formes de discrimination ?
Enfin, la surprise de ce jeudi 11 février s'est jouée rue de Valois, avec le départ inattendu de Fleur Pellerin remplacée par Audrey Azoulay, une proche du chef de l'Etat, spécialiste du monde du cinéma mais sans expérience politique et inconnue du public. Cette énarque a passé près de huit ans au Centre national du cinéma (CNC). Un profil qui jouera en sa faveur auprès du monde de la culture que Fleur Pellerin n'avait pas réussi à séduire.
Audrey Azoulay est nommée en août 2014, en pleine crise des intermittents du spectacle, conseillère de François Hollande chargée de la culture et de la communication. La nouvelle occupante de la rue de Valois va être tout de suite plongée dans le grand bain politique puisqu'elle va devoir suivre la loi Création et Patrimoine en cours d'examen en ce moment même au Sénat.