Réindustrialisation : l’économie sociale et solidaire a un rôle à jouer

Les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) contribuent encore faiblement à l’industrie mais ont vocation à se développer dans ce secteur, pour la Banque des Territoires et Intercommunalités de France qui viennent de publier une étude sur ce sujet. En jeu notamment : l’insertion de personnes handicapées ou éloignées de l’emploi, la reprise d’entreprises par leurs salariés, la relocalisation et la création de filières courtes ancrées dans les territoires. 

Pour créer 600.000 à 800.000 emplois nets jugés nécessaires à la réindustrialisation de la France et atteindre 12% du PIB à horizon 2035, selon un récent rapport de Bpifrance réalisé en partenariat avec la Banque des Territoires, mais aussi pour décarboner le secteur et renforcer le lien au territoire, la contribution de l’économie sociale et solidaire (ESS) est souhaitable. C’est ce que mettent en avant la Banque des Territoires et Intercommunalités de France, en publiant une étude intitulée "Réindustrialisation : l’ESS comme levier de croissance" – étude qui a été présentée, en partenariat avec ESS France et Régions de France, le 9 juillet 2024 au Hub des territoires de la Banque des Territoires. 

"L’ESS représente aujourd’hui 14% des emplois du secteur privé et 10% du PIB, et est à même de jouer un rôle important à l’heure de la réindustrialisation, en favorisant l’insertion, la relocalisation des activités et les filières courtes, pour plus de cohésion sociale et territoriale", affirme Christophe Genter, directeur du département cohésion sociale et territoriale à la Banque des Territoires, en préambule de la publication. 

Deux tiers de coopératives, beaucoup d’entreprises conventionnées 

Réalisé par les cabinets Vertone, Mensia Conseil, Les Petites Rivières et Finetic, ce rapport dresse d’abord un état des lieux de la contribution actuelle des entreprises de l’ESS à l’industrie. 1.367 entreprises de l’ESS, employant 43.000 salariés, ont une activité industrielle, soit 0,8% du total des entreprises industrielles et 1,3% de l’ensemble des salariés du secteur. Quatre types d’activité sont portées par l’ESS : de la fabrication de produits finis et semi-finis, de la sous-traitance industrielle, de l’économie circulaire ("écologie industrielle territoriale", réemploi…) et des services RH dans l’industrie. 

Ces entreprises industrielles de l’ESS sont, pour les deux tiers, des coopératives. Une part importante d’entre elles sont également des entreprises conventionnées, en particulier des établissements et services d’accompagnement par le travail (Esat). "Près de quatre Esat sur cinq ont une activité industrielle", selon Sébastien Lévrier, de l’agence Les Petites Rivières, qui explique que ces structures proposent historiquement des activités de câblage, de reconditionnement et de logistique, mais développent également des compétences plus pointues notamment dans l’électrotechnique (par exemple, le montage de panneaux photovoltaïques). Une entreprise adaptée sur deux et 20% des entreprises d’insertion et entreprises de travail temporaire d’insertion ont également une activité industrielle. Enfin, il existe 17 groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq) spécialisés sur l’industrie (soit 8% du total). 

Des complémentarités entre ESS et entreprises conventionnelles 

La contribution de l’ESS à l’industrie est donc encore faible. Sur la base de 80 entretiens, les auteurs de l’étude identifient cinq freins au "passage à l’échelle" : la méconnaissance réciproque entre les entreprises de l’ESS et les entreprises industrielles conventionnelles, la concurrence subie par les entreprises de l’ESS notamment du fait d’une "capacité d'investissement moindre", la difficulté d’accéder aux outils de financement, la difficulté d’accès au foncier et à l’immobilier et enfin le défi d’attirer, de former et de fidéliser une main d’œuvre qualifiée.     

En écho à ces freins, des "leviers de passage à l’échelle" sont mis en avant. Le plus important semble être de favoriser les coopérations territoriales entre les entreprises de l’ESS et les entreprises industrielles conventionnelles. Le 9 juillet, le groupe Valo’ (300 ETP dont 192 en parcours d’insertion) et Suez ont témoigné des complémentarités trouvées, en région Grand Est, en matière d’économie circulaire. Alors que Suez investit sur de nouveaux outils (déconditionnement, hygiénisation, méthanisation), le groupe Valo’ se positionne sur la collecte de "petits flux de centre-ville" avec des véhicules légers électriques. À Nancy, le même type de complémentarité a été trouvé avec Veolia. Si les activités des entreprises d’insertion sont souvent "à forte intensité de main-d’œuvre et moins mécanisées", il s’agit bien pour l’entreprise ESS d’affirmer un positionnement stratégique au sein d’un écosystème, de "ne pas être un simple sous-traitant", pour Philippe Lerouvillois, PDG de Valo’. 

Des leviers d’action pour les collectivités 

Les collectivités ont plusieurs manières d’encourager ces coopérations, de la mise à la relation au soutien direct, dans le cadre par exemple d’une reprise d’entreprise par ses salariés. La métropole d’Orléans et la région Centre-Val de Loire se sont ainsi engagées aux côtés des salariés de Duralex, qui souhaitent sauvegarder l’ensemble des emplois actuels par la création d’une société coopérative et participative – trois offres de reprise seront examinées le 17 juillet prochain par le tribunal de commerce d’Orléans. 

Dans un domaine spécifique, celui de l’outil industriel au service des circuits courts agricoles et alimentaires, la collectivité a un rôle décisif à jouer, en premier lieu par la commande publique. La ville de Montpellier et le département de l’Hérault ont ainsi soutenu la légumerie-conserverie Agriviva, entreprise d’insertion constituant un maillon essentiel de la chaîne locale d’approvisionnement des cantines scolaires en produits locaux. "On a inclus Agriviva dans notre comité de suivi de la restauration scolaire", a illustré le 9 juillet Marie Massart, adjointe au maire de Montpellier, ajoutant que des réflexions étaient menées de concert, notamment, sur le développement des légumineuses dans la restauration scolaire. 

Cofondateur de "Cuisinons nos paysages", Augustin Le Goaster a expliqué le projet poursuivi : reprendre plusieurs légumeries-conserveries, dont Agriviva, pour consolider leur modèle économique et leur place dans un écosystème territorial, grâce à la mutualisation de fonctions supports au sein d’un réseau national (performance industrielle des outils, finances, communication et marketing, etc.) 

Autres leviers au service d’une ESS industrielle : s’appuyer sur des ressources foncières telles que les friches industrielles et sur des outils tels que les foncières solidaires, développer des partenariats RH et des organismes de formations à impact ou encore "ESS-iser les filières industrielles" par des achats responsables et des critères d’éco-socio conditionnalité des aides versées. 

Enfin, les auteurs de l’étude préconisent d’intégrer plus largement l’ESS dans les comités de filières nationaux et de développer les passerelles entre les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et les territoires d’industrie.  

 

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