Réindustrialisation : le Sénat préconise de s'appuyer sur les "écosystèmes territoriaux"
Si le soutien à l’innovation a fait de nets progrès depuis le lancement des PIA successifs à partir de 2010, il ne profite pas suffisamment à l’industrie, s’insurge la sénatrice Vanina Paoli-Gagin dans un rapport adopté le 8 juin. Ce soutien massif profite avant tout à la "French Tech". Ainsi, sur les 26 licornes françaises, une seule est industrielle. L'élue suggère de mettre en place une stratégie d'innovation reposant sur les "écosystèmes territoriaux" et de renverser la logique des soutiens publics pour privilégier les PME au lieu des grands groupes, notamment par la commande publique et par une réforme du crédit impôt recherche.
"Le pays de Pasteur ne fait plus partie des grandes nations innovantes dans le domaine de la santé et ce constat est malheureusement pertinent dans la plupart des autres grands domaines technologiques, à l’exception de l’aéronautique et de l’énergie nucléaire." Cette impuissance révélée au grand jour avec la crise sanitaire, la sénatrice de l'Aube Vanina Paoli-Gagin (oubliant peut-être un peu vite le vaccin de Valneva) ne l'accepte pas. Dans son rapport adopté à l’unanimité par la mission d’information sur l’innovation et la recherche, le 8 juin, elle analyse par le menu les raisons de ce déclin. Le titre repose sur un paradoxe français : "Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française".
Déjà en 2010, dans leur rapport préfigurant le lancement du premier programme d’investissement d’avenir (le "Grand Emprunt" de Nicolas Sarkozy), Alain Juppé et Michel Rocard voyaient le monde divisé en deux catégories de pays : "ceux qui inventent et ceux qui copient". Et malheureusement, en matière industrielle, la France n’a pas inventé grand-chose depuis lors. Malgré les 57 milliards d’euros injectés via les trois premiers PIA successifs, auxquels viennent s’ajouter les 54 milliards d’euros du nouveau plan France 2030, la situation de l’industrie ne s’est pas améliorée, le déficit de la balance commerciale continue de se creuser. Car ce soutien massif à l’innovation profite avant tout à la "French Tech", les entreprises du numérique, des technologies de l’information et de la communication. En moins de dix ans, le nombre de start-up a été multiplié par 20, passant de 1.000 en 2013 à 20.000 aujourd’hui. Mais sur les 26 licornes hexagonales (start-up cotées en bourse et valorisées à plus d’un milliard d’euros), une seule est une société industrielle. Autre constat : depuis plus de vingt ans, les dépenses de la France en recherche et développement stagnent à 2,2% du PIB, nettement moins que les 3% fixés par le conseil européen de Lisbonne… en 2000 ! Une critique qui vise aussi bien le secteur public que le privé.
"Funeste Big is Beautiful"
"L’aveuglement français visant à 'créer des entreprises sans usines' a eu des conséquences désastreuses, comme en témoigne la chute d’Alcatel, leader mondial de la fibre optique au début des années 2000, qui comptait 120 sites industriels et 150.000 salariés dans le monde", s’offusque la sénatrice.
Écornant le mythe de la "Start-up Nation", la sénatrice fustige tout autant le "funeste précepte 'Big is Beautiful'". Ainsi, nombre de ses préconisations visent avant tout à inverser la tendance actuelle, pour privilégier au contraire les PME et ETI. Elle propose ainsi de réformer le crédit d’impôt recherche (CIR) pour le limiter à un plafond maximum de 100 millions d’euros de dépenses de R&D. Elle propose aussi de doubler le plafond du crédit impôt innovation (CII) pour le porter à 800.000 euros afin de "mieux accompagner le passage à l’échelle des PME industrielles innovantes" et d’instituer un "coupon recherche innovation" de 30.000 euros pour les PME.
Autre levier important : la commande publique, qui représente 111 milliards d’euros par an. Or "cet outil stratégique de politique économique, indispensable à l’émergence d’acteurs innovants, est très peu utilisé en France". Et il profite encore une fois essentiellement aux grands groupes. La mission d’information préconise ainsi le triplement du plafond du régime de l’achat innovant, afin de le porter à 300.000 euros. Elle propose aussi d’instaurer, à l’échelle de la France, voire de l’Union européenne, "une forme de Small Business Act calqué sur le modèle américain" pour réserver une partie de la commande publique aux PME. "Une telle législation permettrait de soutenir le tissu économique local, notamment innovant", ce que font déjà certaines régions. À titre d’exemple, le Grand Est, en partenariat avec la CCI et la Banque des Territoires, a conçu un cycle de formations à destination des acheteurs, afin d’accompagner ces derniers dans leurs démarches. À l’échelle européenne, le chemin est "encore long", déplore la sénatrice, citant l’exemple de l’Allemagne qui, en matière de lanceurs spatiaux, a mis en concurrence Arianespace avec les autres fabricants mondiaux pour retenir finalement SpaceX, propriété d’Elon Musk.
S'appuyer sur les régions
Pour une mise en mouvement, le rapport recommande par ailleurs une "véritable stratégie de l’innovation", tournant le dos à la bureaucratie excessive avec son lot d’appels à projets qui privilégient les grosses structures, et à la superposition des dispositifs dans lesquels se perdent les PME. Il faut selon elle "favoriser les écosystèmes territoriaux" en s’appuyant sur les régions. Ce que les PIA n’ont pas cherché à faire. Pire, ils ont "contribué à renforcer les avantages comparatifs des régions déjà les mieux dotées en capital scientifique et technologique", comme l'Ile-de-France. "Chaque région est amenée à prendre en main son destin industriel et innovant", plaide-t-elle, saluant au passage l'initiative des Territoires d'industrie. L’échelon régional lui semble le plus pertinent pour mener des politiques d’innovations : suffisamment grand pour avoir une force de frappe, tout en demeurant proche des territoires. La sénatrice défend une approche "holistique", c’est-à-dire "être capable de formaliser des feuilles de route partagées avec tous les acteurs publics et privés des filières concernées". Ce que le secrétaire général pour l’investissement Bruno Bonnell s’efforce actuellement de faire avec France 2030.
La sénatrice se félicite de l’initiative des "sites clés en main" dont elle souhaite l’augmentation (127 sites sont labellisés à ce jour), "en privilégiant les opérations de recyclage des sites industriels" et avec une plus grande planification. Bruno Bonnell plancherait sur l’idée d’étendre le dispositif des zones franches urbaines-territoire d’entrepreneurs (ZFU-TE) pour en faire "de véritables zones franches industrielles", indique-t-elle.
Le rapport souligne enfin l’importance d’associer le privé à cette stratégie globale d’innovation. "Il paraît indispensable de créer de nouvelles opportunités de 'frottement' entre la recherche académique et le monde de l’entreprise." En particulier au profit des PME et PMI.