Régulation des conflits d'usage : un rapport appelle à ouvrir la vanne financière aux agences de l'eau
Alors que des mesures de restriction de l'usage de l'eau ont déjà été prises en raison des risques de sécheresse dès ce mois de mai dans plusieurs départements, un rapport d’information présenté ce 4 juin devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale formule une vingtaine de recommandations pour une régulation des conflits d’usage plus efficace.
Barrage de Sivens, lac de Caussade, retenues de "substitution" en Sèvres niortaise, bataille pour la ressource à Vittel, etc., les conflits d’usages en situation de pénurie d’eau se sont "multipliés et durcis depuis quelques années", a relevé Loïc Prud’homme (LFI-Gironde), président de la mission d'information dédiée au sujet, devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, ce 4 juin. La rapporteure, Frédérique Tuffnell (EDS-Charente-Maritime), a présenté à ses côtés le résultat de leurs travaux, fruit d’une cinquantaine d’auditions menées depuis novembre dernier avant d’être interrompues en mars par la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
Moins d’un an après l’exceptionnelle sécheresse de 2019 (85 départements ont pris des mesures de restriction), les déficits hydriques de ces derniers mois ne font qu’accentuer l’actualité criante de la question du partage de la ressource aggravée du fait des changements climatiques. Pourtant malgré l’évidence du constat sous-jacent à ces divers conflits, le rapport déplore encore "un manque d’adaptation et d’anticipation de l’évolution de la ressource en eau disponible et une difficulté à réunir tous les acteurs autour de la table afin d’aboutir à un projet de territoire commun, clé d’une réponse concertée".
Des interrogations cruciales se font jour : "Comment organiser de manière juste la répartition de l’eau quand, hors les besoins prioritaires [santé, sécurité incendie, alimentation en eau potable, survie des milieux naturels], il n’y a pas d’usages plus légitimes que d’autres ? Comment prioriser les efforts demandés aux différents usagers ? Et comment objectiver les régimes dérogatoires accordés à certains acteurs ?"
Bien compter pour bien partager
Des auditions et déplacements de la mission, il est ressorti que la connaissance de l’état de la ressource et des prélèvements réalisés constitue "un prérequis à une bonne gestion de l’eau au niveau local et à la régulation des conflits d’usage". C’est pourquoi le rapport plaide tant pour un renforcement des indicateurs publics de mesure et de prospective (réseau piézométrique piloté par le BRGM, projet Explore 2070, etc.) que par un élargissement de l’accès aux données détenues par les acteurs privés (en préconisant notamment, des relevés mensuels, voire hebdomadaires en période de pénurie, et une transmission obligatoire à la demande de la commission locale de l’eau). Cela suppose également d’abroger l’arrêté du 4 mai 2017 "qui déclasse le réseau 'chevelu' des cours d’eau en amont des bassins versants et l’expose ainsi aux molécules chimiques, industrielles ou agricoles", relève Loïc Prud’homme.
Le rapport propose de faire évoluer l’indicateur utilisé pour les seuils d’alerte qui déclenche les mesures de restrictions "en faisant varier mensuellement l’indicateur QMNA pour tenir compte des évolutions de la ressource selon les saisons", mais aussi "en systématisant le recours aux observations du réseau ONDE dans les départements où il est déployé". Autre recommandation : les captages d’alimentation domestique, notamment les plus anciens, pourraient faire l’objet "d’une déclaration obligatoire".
Durcir les sanctions
Le dispositif de gestion de crise, qui repose essentiellement sur les arrêtés Sécheresse pris par les préfets "fonctionne", reconnaît la rapporteure, "mais il doit être amélioré, la concertation doit y jouer un rôle central, les sanctions parfois trop peu dissuasives doivent être renforcées et les contrôles souvent trop rares doivent être accrus". Là encore la liste des propositions est longue, s’agissant de renforcer la coordination entre départements d’un même sous?bassin versant, en particulier sur l’interprétation des seuils et l’identification des réponses à apporter (notamment par la définition explicite de situations types au niveau des arrêtés-cadres). Pour réguler les conflits, le rapport envisage aussi de généraliser l’instauration des comités sécheresse départementaux. Outre une augmentation des moyens humains affectés aux services de la police de l’eau, la mission recommande de délictualiser la récidive en cas non-respect des mesures de restriction en période de sécheresse, qui serait alors sanctionnée d’une amende d’un montant de 15.000 euros (contre 1.500 euros actuellement).
Fonds d’1 milliard d’euros
Face à la nouvelle donne climatique, "il n’est plus possible de se contenter de mesures d’urgence, prises quand la situation est déjà dégradée", estime le député LFI de Grironde, qui plaide pour une sortie rapide du modèle agro-industriel actuel : "Choix des cultures, de leur saisonnalité ou de leur répartition géographique, réduction et sélection des cheptels. Tout doit être revu." C’est la raison pour laquelle le rapport table sur un financement massif de paiements pour services environnementaux (PSE) qui viendrait rémunérer les services écosystémiques (planter des haies, préserver une mare ou encore abandonner la monoculture) rendus par les agriculteurs vertueux. Pour cela, il propose la création d’un fonds de paiement pour services environnementaux (FPSE), doté d’un budget total d’un milliard d’euros sur la période 2021/2025. Ce fonds, à la main des agences de l’eau, serait financé par l’intégralité du fameux "plafond mordant", aujourd'hui reversé au budget général de l’État, et par une augmentation des redevances à hauteur de 200 millions d’euros par an.
Autre piste avancée, rendre obligatoire une tarification incitative à la réduction de la consommation d’eau, "s’agissant tant des redevances sur les prélèvements sur la ressource en eau collectées les agences de l’eau que de la facturation de la consommation d’eau potable des usagers".
Le rapport étrille par ailleurs le système de mise en concurrence des barrages hydroélectriques (qui stockent aujourd'hui 75% de l’eau douce). Une "ressource stratégique" (7,5 milliards de mètres cubes répartis sur les 622 barrages) qui pourrait être vendue "à la découpe à des opérateurs qui n’auront aucun souci des tensions sur notre alimentation en eau", alerte Loïc Prud’homme, proposant une alternative basée sur "un système proche de la régie".
Des stratégies de territoire sans tarder
Communes et intercos ont aussi leurs cartes à jouer, notamment "en rendant nos villes perméables", "afin de se rapprocher du cycle naturel de l’eau et ainsi favoriser la recharge des nappes souterraines et l’alimentation des cours d’eau".
Sur la gouvernance de l’eau, enfin, la rapporteure est convaincue "qu’il existe un facteur d’échelle à prendre en compte, (…) l’exemple type étant celui du sous-bassin, la bonne échelle pour servir de base pour les Sage [schémas d’aménagement et de gestion des eaux] mais qui ne coïncide jamais avec l’échelon départemental". Dans cette optique, le rapport préconise que les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) (ou plan de gestion quantitative de la ressource en eau-PGRE), basés sur une approche globale et la coconstruction multi-acteurs, "soient mis en place partout où des tensions sur la ressource en eau émergent, en les intégrant au Sage quand il existe, afin de leur donner une portée réglementaire". Aujourd'hui seule la moitié du territoire est couvert, la mission propose donc de rendre obligatoire la déclinaison en Sage des Sadge 2027-2032. "À partir du moment où l'on va penser le jour d’après, la résilience des territoires , les relocalisations ne peuvent se faire sans eau, souligne la rapporteure. Il faut qu’on arrive à coordonner ce puzzle qui doit s’organiser sur le territoire pour pouvoir accompagner les différents usagers."