Régions de France et France active ensemble pour le développement de la finance solidaire
Lors d’un webinaire organisé le 11 janvier 2023, Régions de France et France active ont illustré les diverses manières, pour les régions et différents acteurs institutionnels, bancaires et associatifs, de soutenir financièrement l’économie sociale et solidaire. Au cœur des échanges : la montée en compétence des régions sur ces sujets, le rôle d’outils tels que la garantie bancaire pour lever les freins à l’entrepreneuriat, l’importance du travail en réseau entre un grand nombre d’acteurs pour identifier les porteurs de projet et les accompagner, ou encore la nécessaire structuration de l’investissement pour permettre aux entreprises à finalité sociale et/ou environnementale – à lucrativité parfois limitée – de se développer.
Lauréate en 2021 du concours Talents des cités, Laetitia Ngama a fondé Eden ETTP (entreprise de travail à temps partagé) avec son frère, à Chenôve, près de Dijon. "On a grandi dans un QPV [quartier prioritaire de la politique de la ville], on n'a pas de relations", a expliqué la jeune femme lors du webinaire organisé par Régions de France et France active, le 11 janvier 2023. Mise en lien avec France active par le réseau BGE, Laetitia Ngama a bénéficié d'un prêt à taux zéro et d'une garantie auprès d'une banque partenaire. Outre cet appui financier, "France active nous a aidés à assumer cela : 'vous êtes dans l'économie solidaire, il faut que votre business model colle à vos valeurs'", ajoute l'entrepreneuse.
Comme Eden ETTP, "en 2022, plus de 6.000 entreprises ont bénéficié d'une garantie, pour un montant équivalent de 200 millions d'euros", selon Dominique Mahé, président de France active garantie – l'une des deux sociétés financières par lesquelles France active intervient, la deuxième étant France active investissement. La garantie couvre environ 60% du prêt bancaire, jusqu’à 80% dans le cas de porteurs de projet en situation de grande précarité ou résidant en QPV ou en zone de revitalisation rurale.
Intitulé “Finance solidaire : un levier d’accélération des transitions et des stratégies économiques régionales”, le webinaire de Régions de France et France active avait pour but d'"explorer le potentiel de la finance solidaire en faveur du développement économique des régions". Garanties bancaires, prêts, investissements : les régions s'emparent aujourd'hui de différents outils financiers, en direct – par exemple par une prise de participation au capital d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) - ou via des partenaires comme France active, dans le but de concilier développement économie et impact social et environnemental.
L’ESS "au cœur des nouveaux SRDEII"
Pour François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire et président de la commission "Éducation, orientation, formation et emploi" de Régions de France, la finance solidaire apparaît comme "une démarche de plus en plus en phase avec ce que nous devons faire comme développement économique et social des territoires". Ainsi "les régions ont choisi de mettre l'économie sociale et solidaire (ESS) au cœur des nouveaux schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII)", poursuit le président de région. Les représentants de région présents lors du webinaire l'assurent : la deuxième génération des stratégies régionales de l'ESS – annexées aux SRDEII - témoigne d'une maturité née de l'expérience des dernières années.
En Normandie, cette stratégie a été "construite collectivement" et repose sur la "coopération entre tous les acteurs" comme "fil rouge" pour "favoriser l'émergence de projets et leur réussite", illustre Lynda Lahalle, conseillère régionale en charge de l’ESS de la région Normandie. France active, via ses 35 associations territoriales, contribue comme d'autres acteurs à l'élaboration des stratégies régionales de l'ESS, parfois également aux programmes opérationnels régionaux des fonds structurels européens. L’expertise de France active s’avère notamment utile pour répondre "presque sur-mesure" à des associations ou des coopératives ne pouvant pas toujours bénéficier des dispositifs de droit commun de la région, soit pour une question de statut, soit parce que le besoin est inférieur au ticket d’entrée, selon l’élue régionale. En Occitanie, France active développe également des dispositifs spécifiques pour les jeunes, les femmes et notamment les habitantes de QPV avec le dispositif d’accompagnement "les Essenti’elles" mobilisant un grand nombre de partenaires locaux.
Ainsi des acteurs comme France active, Initiative France et le Réseau entreprendre sont également plébiscités par les banques parce qu’ils sont "implantés en région" et permettent la connexion avec des porteurs de projet, souligne Philippe Cornu, directeur du marché des professionnels au groupe Crédit Agricole. C’est bien là un besoin commun des banques régionales et des régions. Sur le développement économique, "la région est chef de file certes, mais les projets émergent des territoires et il faut aller les chercher", d’où l’importance des intermédiaires que constituent les autres collectivités et intercommunalités, appuie Lynda Lahalle. La crise du Covid aura au moins permis en Normandie d’accélérer la mise en réseau de l’ensemble des acteurs, pour que les dispositifs d’aide rencontrent leur public. En Nouvelle-Aquitaine, pour que la stratégie porte concrètement ses fruits sur les territoires, la région est en train de signer des feuilles de route de l’ESS avec les douze départements de la région.
"Des capitaux patients" pour faire grandir des projets à impact social et environnemental
Outre le soutien de la phase d’émergence des projets, France active et les régions interviennent en appui du développement d’entreprises de l’ESS, notamment par de l’investissement en fonds propres. Dédiées à l’économie circulaire de matériel électrique et électronique et d’aides techniques, les entreprises d’insertion du réseau Envie en ont par exemple bénéficié. "Notre modèle économique a un impact social et environnemental fort, mais il n’est pas extrêmement rentable et donc ces capitaux nous ont permis de franchir des paliers à chaque fois", d’investir par exemple dans un nouvel atelier, précise Guido Locatelli, directeur général d’Envie Rhône-Alpes.
Pour accompagner le changement d’échelle de tels projets, il importe de leur "apporter pas seulement du prêt mais aussi des capitaux patients", confirme Denis Dementhon, directeur général de France active. France active investissement a ainsi investi 300 millions d’euros, dont 40 millions d’euros dans 460 entreprises l’an passé, et vise les 500 millions d’euros à court terme. "On n’est pas les seuls, il y a des moyens aujourd’hui, il va falloir aller un peu plus loin, les régions y réfléchissent", mais aussi "travailler sur le plan culturel avec les investisseurs classiques", poursuit Denis Dementhon.
En Île-de-France, la région s’appuie sur le fonds InvESS, géré par Esfin Gestion, doté de 6,7 millions d’euros dont la moitié apportée par la région. "Ce fonds permet à la région de se positionner directement en termes d'investissement solidaire", met en avant Sylvie Mariaud, vice-présidente de la région Île-de-France en charge de l’ESS et des achats responsables. Destiné aujourd’hui à soutenir les "futurs champions de l'ESS", ce fonds est complémentaire d’autres dispositifs de la région Île-de-France, tels qu’un accélérateur et des dispositifs de droit commun – dont une aide à l’innovation, "Innov’Up", qui est en train d’évoluer pour financer plus facilement l’innovation sociale et environnementale.
En Nouvelle-Aquitaine, suite à une étude ayant révélé en 2021 un "trou dans la raquette" sur les "gros tickets" (plus de 150.000 euros), la région et la Banque des Territoires sont en train de finaliser ensemble un fonds d’investissement de 5 millions d’euros dédié à l’ESS, rapporte Maud Caruhel, vice-présidente à la région Nouvelle-Aquitaine, en charge de l’ESS, de l’économie circulaire et de la gestion et prévention des déchets. Sur du don et de plus petits montants, la région a également abondé la plateforme de financement participatif "local et solidaire" Jadopteunprojet.com à hauteur de 400.000 euros.
"Fixer des caps" pour relever les défis sociaux et environnementaux
La finance solidaire, qui ne cesserait de se développer (voir notre encadré ci-dessous), est-elle aujourd’hui à la hauteur des besoins des entreprises sociales et des défis sociaux et environnementaux actuels ? Les avis sont partagés. Pour la vice-présidente de l’Île-de-France, il y a un problème de rencontre entre l’offre et la demande : "aujourd’hui, il y a beaucoup de fonds disponibles qui sont sous-sollicités alors que de nombreuses structures de l'ESS ont du mal à répondre à leurs besoins de financement". La région s’emploie à répondre à ce problème en organisant des webinaires, des rencontres, comme elle le fait également en matière de marchés publics (voir sur ce sujet notre article du 8 décembre 2022).
Le directeur général d’Envie Rhône-Alpes considère quant à lui que le problème est plus vaste : "le marché ne rémunère pas assez les activités à finalité sociale et environnementale". "L’aide de l’État que l’on reçoit pour notre activité d’insertion n’est pas suffisante pour compenser le turnover important qu’on a", estime-t-il. Il ajoute que, "en plus de ces accompagnements financiers, comme les fonds propres, il faut aussi un cadre institutionnel et juridique pour fixer des caps en lien avec les enjeux climatiques, les enjeux de ressources et les enjeux sociaux".
"L’économie sociale et solidaire, ce n'est plus une niche dans l'économie générale, mais le poste avancé de ce que va devenir l'économie", veut croire Pierre-René Lemas, président de France active. Et, selon lui, "la finance, même si ça ne voit pas encore de manière éclatante, est aussi en train de changer".
En 2021, la finance solidaire atteignait un encours "historique" de 24,5 milliards d'euros, soit une hausse de 27% en un an et une augmentation de 50% des nouvelles souscriptions, selon le dernier baromètre publié en juin 2022 par l'association Fair, qui gère le label Finansol, et le journal La Croix. Via trois circuits d'épargne différents – épargne salariale (sur des fonds communs de placement d'entreprise "solidaires labellisés Finansol"), produits souscrits dans des banques ou mutuelles d'assurance (produits de partage ou produits d'investissements solidaires) ou souscription au capital d'une entreprise solidaire (telle que l'Adie, France active investissement, Emmaüs Épargne solidaire ou encore Lita.co), cette manne aurait permis de verser, en 2021, 4 millions de dons à des associations et de l'ordre de 700 millions d'euros de "financement solidaire" en soutien à des projets à vocation sociale et/ou environnementale. |