Réforme territoriale - Régions : cette fois, le Sénat garde les cartes en mains
Le Sénat a adopté en deuxième lecture dans la nuit du 30 au 31 octobre le projet de loi relatif "à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral". Ceci par 175 voix pour (principalement UMP, centristes, et RDS) et 33 voix contre (notamment les communistes), les écologistes et l'ensemble du PS s'étant abstenus. En sachant que la plupart de ces voix étaient moins à interpréter comme un positionnement par rapport au fond même de la réforme que par rapport aux modifications apportées à la carte des régions transmise par l'Assemblée nationale.
On se souvient qu'en juillet dernier, en refusant de voter le texte (ou, plus précisément, en votant un texte après l'avoir pratiquement vidé de son contenu), les sénateurs s'étaient privés d'apporter leur contribution à la future carte des régions, laissant ainsi de facto "carte blanche" aux députés (voir notre article du 7 juillet). Il paraissait difficile d'en faire de même cette fois-ci. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le sénateur UMP Eric Doligé a voté pour, après avoir pourtant, comme plusieurs autres orateurs, exprimé son opposition globale à cette réforme régionale, parlant de cartes "totalement inapplicables" car manquant de "vision". "On ne sait pas pourquoi on nous marie. Quel gâchis !", a jugé l'élu du Loiret, prévenant aussi : "Quel beau piège que ce texte. Et nous sommes en train de tomber dedans !"
Beaucoup d'imagination
Sur l'article 1, celui qui organise les regroupements de régions voulus par l'exécutif, les sénateurs ont en fait confirmé en séance publique les choix qui avaient été faits en commission spéciale le 21 octobre, dessinant donc une carte à 15 régions au lieu de 13 dans la version votée par les députés.
Ils ont ainsi, contre l'avis du gouvernement, redonné son "autonomie" à l'Alsace et maintenu la séparation entre Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
Pour l'Alsace, ils ont ainsi rejeté les deux amendements (dont un du gouvernement) prévoyant de revenir à l'idée d'un regroupement avec Champagne-Ardenne et la Lorraine. La taille d'une région "ne fait rien à l'affaire", a par exemple redit le sénateur UMP Bruno Retailleau pour défendre le célibat de l'Alsace. "L'identité n'est pas contradictoire avec l'altérité", lui a répondu le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, pour défendre la fusion.
On notera que dans la liste des amendements déposés, à peu près toutes les variantes de fusions avaient été imaginées du côté de l'Est de la France : Alsace et Lorraine seulement ; Alsace, Lorraine, Franche-Comté et Bourgogne ; Lorraine, Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Bourgogne ; Lorraine, Champagne-Ardenne, Picardie…
Dans le Nord, Michel Delebarre comme Valérie Létard souhaitaient que le Nord-Pas-de-Calais n'ait pas à unir son destin à celui de la Picardie. A une voix près, cette proposition a été rejetée, venant ainsi appuyer le scénario à la fois du gouvernement (même si Michel Delebarre a relevé que dans la toute première carte dévoilée le 18 juin par l'Elysée, sa région restait seule), de l'Assemblée et de la commission spéciale du Sénat. Déçus par ce résultat alors que leur groupe s'était engagé à soutenir leur amendement, les sénateurs PS du Nord-Pas-de-Calais ont d'ailleurs quitté la séance en signe de mécontentement.
"Nous devons procéder par étapes"
Au Sud, le gouvernement a donc défendu en vain la fusion Languedoc-Roussillon / Midi-Pyrénées, tout comme a été rejeté un amendement proposant pour sa part une fusion Aquitaine / Midi-Pyrénées. La fusion entre les régions Rhône-Alpes et Auvergne a aussi beaucoup fait parler, deux amendements (l'un signé Michel Bouvard, l'autre Jacques Mézard) plaidant en faveur du maintien de Rhône-Alpes "en l'état", certes pour des raisons différentes (pour le premier, sénateur de Savoie, il s'agissait surtout de préserver le dynamisme d'une région déjà grande tandis que pour le second, élu du Cantal, la crainte était plutôt celle d'une absorption faisant de l'Auvergne une zone de relégation au sein de la future grande région). Au nom du gouvernement, le secrétaire d'Etat André Vallini a entre autres fait valoir que "l'union ne peut que bénéficier à l'Auvergne", tout en se disant "conscient qu'il y a une problématique particulière pour le Sud de cette région" comme pour certains autres territoires situés en bordure de grandes régions et donc notamment très excentrés par rapport à la future capitale régionale.
Autre problématique particulière… la région Centre, qui conservera bien son périmètre actuel, tout en se voyant au passage rebaptisée Centre-Val de Loire comme l'avait proposé la commission spéciale. Certains comme Jean Germain ont regretté de voir cette région rester à l'écart de ce mouvement des "grandes régions" et ont dit "compter sur le droit d'option pour faire évoluer les choses". Là encore, André Vallini a admis que la configuration n'était pas idéale : "La région Centre a raison de s'interroger. Mais je pense que les choses ne sont pas figées pour toujours, qu'elles pourront évoluer. Nous devons procéder par étapes". Via le jeu du droit d'option, les six départements de cette région pourraient donc bien à l'avenir connaître des destins différents en rejoignant telle ou telle grande région voisine.
Région d'accueil, région d'origine...
S'agissant de ce droit d'option des départements, à savoir "la possibilité pour eux de changer de région d'appartenance", les sénateurs ont confirmé qu'ils voulaient en assouplir les modalités. "Les conditions dans lesquelles nous travaillons, notamment en termes de rapidité, exigeront la mise en place, au moins pendant la première année d'existence des nouvelles régions, d'un droit d'option réellement opérationnel pour pouvoir procéder à des ajustements", a par exemple expliqué Philippe Bas (UMP). "Si les possibilités de détachements sont intelligentes, ni trop souples, pour éviter les fuites, ni trop complexes, ce qui empêcherait les départs cohérents, alors la carte répondra peut-être aux réalités de notre territoire", a de même jugé René-Paul Savary. Pour sa part, Jérôme Bignon a résumé les choses en ces termes : "Les départements qui ne se sentent pas à l'aise dans ce découpage pourront exercer leur droit d'option". C'est dire l'importance accordée à cette disposition.
Les assemblées délibérantes du département concerné et de la "région d'accueil" devront voter la "modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire de la région" à la majorité des trois cinquièmes. Mais alors que l'Assemblée nationale avait prévu que la "région d'origine" devrait elle aussi voter à la majorité des trois cinquièmes, le Sénat a inversé la proportion (désormais, "la région d'origine du département peut s'opposer à cette procédure par une délibération adoptée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés").
Enfin, toujours en suivant ce qu'avait prévu leur commission spéciale, les sénateurs ont tenu à garantir à chaque département une représentation minimale de cinq élus dans les conseils régionaux et ont approuvé les dates des élections départementales proposées par le gouvernement, à savoir les 22 et 29 mars 2015.
La commission des lois de l'Assemblée nationale doit se ressaisir du texte en deuxième lecture le 12 novembre, pour un examen en séance publique par les députés prévu le 18 novembre.