Réforme des ZRR : "On ne fait pas de l'aménagement, on fait de la politique"

La dualité communes-intercommunalités est venu percuter la mise en œuvre de la réforme des ZRR ("France ruralités revitalisation"). Alors qu'elle démarre le 1er juillet, cette réforme laisse déjà un parfum d'inachevé.

Le pataquès qui entoure depuis des mois la réforme des zones de revitalisation (ZRR) rurales rebaptisées France ruralités revitalisation (FRR) ne s'est pas entièrement résorbé après les annonces du Premier ministre, Gabriel Attal, mardi (voir notre article du 5 juin). Si le repêchage de 2.200 communes sortantes, à moins d'un mois de l'entrée en vigueur de la réforme, le 1er juillet, a été unanimement salué, il s'accompagne de nombreuses réserves. Le Sénat, qui a bataillé pour préserver ce dispositif de soutien aux communes rurales instauré en 1995, tout en demandant la "refonte globale" des ZRR jugées "à bout de souffle", n'y retrouve pas ses petits. Ce sauvetage est "une rustine qui masque une réforme confuse", commente la commission de l'aménagement du territoire et du développement rural, dans un communiqué. Elle déplore "l’indifférence de l’exécutif face à ses mises en garde", rappelant avoir "très tôt dénoncé les effets pervers d’une réforme conçue à la maille intercommunale et reposant sur un nombre trop réduit de critères". Dans un rapport adopté en avril par cette commission, le sénateur Rémy Pointereau (LR, Cher) préconisait au contraire un retour à la maille communale, avec une refonte des critères d'éligibilité (voir notre article du 11 avril 2023). Ce qu'il avait ensuite traduit dans une proposition de loi déposée un mois plus tard, alors que la réforme gouvernementale tardait à voir le jour (voir notre article du 31 mai 2023). Avec ses critètes, le sénateur estimait qu'au moins 19.000 communes auraient pu être classées (contre 17.700 avant la réforme), soit ce qui devrait être obtenu avec le sauvetage des communes sortantes. Quelque 20.000 communes seront en effet zonées en FRR. Le retour à la maille communale était aussi défendu par les sénateurs Bernard Delcros (Cantal) et Frédérique Espagnac (Pyrénées-Atlantiques) dans leur propre proposition de loi déposée au même moment (dans la continuité de leur rapport de 2022 coécrit avec les députés Anne Blanc et Jean-Noël Barrot - voir notre article du 22 avril 2022). L'Association des maires de France y était aussi favorable (voir notre article du 22 octobre 2022). Bref, la mesure semblait acquise.

Des "bassins de vie" loin des réalités

"Tout le monde s'est entendu que ce soit au Sénat ou chez Dominique Faure [ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité] avec le rapport Philizot [toujours non rendu public], pour dire qu'il fallait revenir à l'échelle communale", observe le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Michel Fournier, qui ne digère pas le changement de pied du gouvernement. Il n'est cependant pas tout à fait sur la même ligne que son collègue président des maires ruraux de Saône-et-Loire, Jean-François Farenc, qui a bataillé pour faire réintégrer les 89 communes sortantes de son territoire. "Sur ces 89 communes, 60 méritaient de rester, mais les autres ?" interroge-t-il. Selon lui, il était normal de toiletter cette carte devenue obsolète, notamment avec la création des intercommunalités "XXL". Mais le maire des Voisvres (Vosges) peste contre les modalités du repêchage qui reposait sur la notion de "bassins de vie" introduite par l'Insee, créant des situations incongrues. "Franchement, je ne sais pas si l'Insee se situe au Brésil ou en Afrique du Sud, mais il y a des incohérences, on n'a jamais consulté les préfets ou les élus locaux" pour définir ces bassins de vie. Et de prendre l'exemple de son département les Vosges avec les villes de Vittel et Contrexéville, distantes d'à peine un kilomètre. Ces deux stations thermales similaires appartiennent à la communauté de communes Terre d'eau non retenue dans le zonage. Or toutes n'ont pas le même bassin de vie selon la définition de l'Insee. "Le bassin de Contrexéville a été inclus [au moment du rattrapage] mais pas celui de Vittel", fulmine-t-il. "On est arrivé à ses situations incroyables (…) avec ce cadre-là, il y aura encore plus de disparités, il faut revenir à des choses raisonnables", met-il en garde. Pire, selon lui, les préfets avaient reçu une instruction les privant de toute marge de manœuvre. Ce qui irait à l'encontre de l'esprit de l'article 73 de la loi de finances pour 2024 qui contient la réforme.

Un mauvais signal

Un an après le lancement du plan France ruralités (voir notre article du 15 juin 2023), dont la réforme des ZRR était l'un des volets, Michel Fournier ne cache pas son amertume. Il estime que ce plan n'est pas à la hauteur des enjeux qui étaient de répondre au "sentiment d'abandon" des territoires ruraux : "On ne fait pas de l'aménagement, on fait de la politique." 

Le président centriste de la commission sénatoriale, Jean-François Longeot, ne dit pas autre chose. "En zonant artificiellement des communes, en dehors de tout critère de classement objectif, le gouvernement envoie un mauvais signal aux territoires, en promouvant une réforme à géométrie variable, peu lisible et difficilement compatible avec une véritable politique de revitalisation des territoires ruraux."

Ce charivari a eu un autre effet : le décret précisant les modalités du zonage renforcé (dit "FRR+") n'a toujours pas été publié, pas plus que les arrêtés classant les communes en "FRR" ou "FRR+". Et ce, à trois semaines de l'entrée en vigueur de la réforme. L'enjeu serait de classer environ 4.000 communes sur les 20.000 pour leur octroyer un soutien renforcé. 

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis