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Social - Réforme de la protection de l'enfance : "resserrer les mailles du filet"

Le projet de loi sur la protection de l'enfance, attendu en Conseil des ministres à la mi-avril, inclura trois axes : renforcer la prévention, organiser le signalement, diversifier les modes de prise en charge. Suffira-t-il face à la complexité des situations dont témoignent élus et professionnels ? La réforme de la protection

La réforme de la protection de l'enfance, évoquée avec insistance depuis de longs mois, est sur le point d'aboutir avec la présentation d'un projet de loi en Conseil des ministres à la mi-avril, pour une adoption d'ici fin 2006. Si le texte de ce projet n'est pas encore public, Philippe Bas en a confirmé les grandes lignes le 16 mars en clôture d'un colloque organisé à Paris par son ministère. Confirmé... dans la mesure où ces grandes lignes ne s'écartent guère des objectifs et outils que le ministre délégué avait d'emblée mis en avant en novembre dernier lorsqu'il avait lancé une série de travaux et de rencontres sur le sujet. Depuis, les rapports se sont succédé (rapport Bloche-Pecresse, rapport Nogrix, rapport Hermange...), des journées thématiques ont été organisées, ainsi que des débats décentralisés chapeautés par les présidents de conseils généraux. "Vous avez balisé le chemin de cette réforme de la protection de l'enfance. Grâce à neuf mois de travaux, cette réforme s'appuie sur le vécu des acteurs de terrain", a assuré Philippe Bas aux élus, professionnels et représentants associatifs réunis en nombre pour ce colloque. La plupart des intervenants se sont en tout cas accordés sur la nécessité d'une nouvelle loi, sans que celle-ci ne vienne toutefois "tout révolutionner". "Chacun est convaincu que le système fonctionne plutôt bien, mais qu'il faut lui apporter des améliorations", a résumé Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny.

 

Le conseil général conforté comme chef de file

"La protection de l'enfance décentralisée a été un triple succès : on n'a jamais fait autant de prévention, on n'a jamais autant privilégié le partenariat, on n'a jamais autant multiplié les formules innovantes", a de même tenu à souligner Claude Roméo, directeur enfance et famille du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Bien que cette décentralisation soit régulièrement critiquée (on se souvient notamment des griefs exprimés par Claire Brisset, la défenseure des enfants, dans son rapport 2004...), sa remise en cause n'est aucunement à l'ordre du jour. Au contraire, Philippe Bas entend, par sa future loi, "donner au conseil général le rôle de chef de file de la protection de l'enfance dans le département". Autre grand principe : "affirmer clairement que la prévention fait partie des missions de la protection de l'enfance, alors qu'aujourd'hui, la loi est muette sur ce point".
"La prévention est le maillon faible de la protection de l'enfance", a estimé Valérie Pecresse, tandis que tous insistaient, par leurs témoignages, sur l'importance de cette dimension préventive. Il s'agira bien du premier volet de la réforme. La plupart des actions envisagées dans ce cadre par le ministre délégué répondent bien aux préconisations des acteurs. Tel est le cas pour l'entretien systématique au quatrième mois de grossesse devant permettre "d'identifier les problèmes pouvant créer des difficultés future dans le lien mère-enfant et d'aider à les surmonter".

 

"Aménagement" du secret professionnel

Sur cette même idée de l'intervention précoce, Philippe Bas souhaite une meilleure coordination entre les maternités et les services de protection maternelle et infantile (PMI). Une visite de la PMI au domicile de la jeune mère lui sera systématiquement proposée à son retour de maternité. Cette visite serait même automatique lorsque la maternité aura identifié des difficultés particulières.
L'importance des relations entre les services du département et la sphère de l'Education nationale est unanimement soulignée. Certains, à l'instar de Anne d'Ornano, présidente du conseil général du Calvados, auraient même souhaité que le travail de la PMI puisse se poursuivre jusqu'à la fin de l'école primaire? et regrettent d'ailleurs que "la médecine scolaire n'ait pas été transférée au conseil général". La réforme n'ira pas aussi loin, mais prévoit toutefois l'assurance d'un bilan pour tous les enfants de 3-4 ans, puis d'un second rendez-vous à l'entrée en primaire. S'agissant de l'adolescence, les mesures présentées restent classiques, basées sur le développement de l'accompagnement ainsi que des lieux d'écoute ou de médiation pour "prévenir les comportements à risque".
Le deuxième grand volet de la réforme est sans doute le plus délicat. Il porte sur l'organisation du signalement. A la suite des multiples débats et questionnements relatifs à la notion de "secret partagé", le ministre délégué a opté pour la formule du "partage d'informations entre professionnels du travail social et de la protection de l'enfance habilités au secret professionnels". "Le secret professionnel ne sortira pas de ce cercle et en dehors de cet aménagement, la règle du secret professionnel est réaffirmée", précise Philippe Bas. Il entend ainsi "mettre à l'aise" le professionnel qui redoute aujourd'hui à la fois de signaler des faits dont il n'est pas certain et de mettre un enfant en danger en se taisant.

 

"Le placement doit rester l'ultime recours"

Dans ce cadre, la loi initiera dans chaque département une "cellule de signalement", conçue comme "un lieu clairement identifié" vers lequel pourront se tourner tous les acteurs en relation avec l'enfance (y compris du côté de l'école). Ces cellules seront animées par une équipe pluridisciplinaire (psychologues, éducateurs, travailleurs sociaux?) et pourront déclencher un recours à l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou à la justice.
La loi viendra justement clarifier la délicate ligne de partage entre ASE et justice. "L'ASE intervient à titre principal. La justice est saisie en cas de danger manifeste, ou lorsque les parents ne peuvent ou ne veulent pas accepter l'accompagnement proposé par l'ASE", écrit le ministre. A entendre les nombreuses interrogations et positions des acteurs de terrain, il n'est toutefois pas certain que cette définition suffise à apaiser toutes les tensions sur le sujet.
Le troisième et dernier pilier de la réforme concerne la diversification des modes de prise en charge : comment multiplier les formules entre le maintien dans la famille et le placement en établissement ou en famille d'accueil ? "Le placement doit rester l'ultime recours", martèle Philippe Bas. Sur ce terrain, les solutions proposées ne créent guère la surprise. Il s'agit en effet de renforcer l'assistance éducative à domicile, de développer l'accueil de jour, de permettre l'alternance entre domicile et lieu de placement, d'expérimenter l'accueil d'enfants souffrant de troubles graves du comportement par des familles d'accueil agréées et spécialisées, de mettre en place un accompagnement social et budgétaire des familles fragiles?
Philippe Bas prévoit la création de 4.000 emplois sur trois ans pour accompagner son dispositif (médecins, sages-femmes, psychologues, puéricultrices, assistants sociaux, techniciens d'intervention sociale et familiale?). Quant au coût de la réforme, il est estimé à 150 millions d'euros par an à l'issue d'une période de montée en charge de trois ans, sans que la source de financement n'ait, pour l'heure, été précisée.

 

Claire Mallet

 

 

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