Réforme de la géographie prioritaire : les scénarios sur la table
Remplacer les multiples zonages de la géographie prioritaire par des "pactes régionaux de relance et d’aides directes aux entreprises" : c'est l'option la plus radicale proposée par la mission inter-inspections dans son rapport remis au gouvernement l'été dernier. Alors que ce dernier doit engager une concertation, la commission de l'aménagement du territoire du Sénat a souhaité auditionner les auteurs du rapport ainsi que des représentants des associations d'élus.
Au moment où le gouvernement doit engager la concertation avec les associations d’élus sur l’avenir de la géographie prioritaire, le Sénat a entendu, mercredi 7 avril, les auteurs du rapport inter-inspections (IGA, CGEDD, Igas et IGF) remis au gouvernement l’été dernier. La mission a passé en revue l’ensemble des dispositifs existants (ZRR, QPV, ZFU-Territoires entrepreneurs, bassins urbains à dynamiser, bassins d'emploi à redynamiser…). Elle propose trois scénarios qui vont du maintien des zonage actuels avec quelques améliorations (comme l’ajout d’un critère d’accès aux services) jusqu’à leur suppression et remplacement par des "pactes régionaux de relance et d’aides directes aux entreprises", a indiqué Noémie Angel, inspectrice générale de l’administration, devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Le scénario intermédiaire consisterait plus simplement à "intégrer les dispositifs dans une stratégie de développement économique transversale adaptée à chaque territoire".
La mission a conclu à la "faible efficacité des zonages en matière de création d’emplois", a-t-elle aussi indiqué, le tout avec un empilement de dispositifs peu lisible pour les entrepreneurs. Résultats : alors que "plus de la moitié des communes françaises sont concernées par le zonage, seule 2,3% des entreprises bénéficient de ces exonérations". Dans les ZRR, "seulement 7% des entreprises éligibles aux exonérations d’impôt sur les sociétés y ont recours". De plus, les collectivités inscrivent rarement ces dispositifs dans une véritable stratégie de développement local. La mission n’a trouvé qu’une seule région qui faisait le lien entre sa politique et le zonage. D’où l’idée de ce pacte régional qui reposerait sur un fonds dédié, abondé par l’État à hauteur des exonérations supprimées. Les collectivités et l’Union européenne pourraient y contribuer. Ce pacte régional serait décliné au niveau des "EPCI selon les spécificités de chaque territoire dans des contrats territoriaux uniques qui regroupent l’ensemble des contrats préexistants", a précisé Noémie Angel, rappelant que le rapport avait été remis avant la création des "contrats de relance et de transitions écologique" qui auraient désormais vocation à remplir ce rôle.
"Il faut voir ces territoires en plein et non en creux"
Entendues dans la foulée par la commission sénatoriale, les différentes associations d’élus divergent sur la place de l’intercommunalité. Le premier vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Dominique Dhumeaux, a ainsi considéré que le périmètre intercommunal retenu pour les ZRR pouvait poser de "vraies difficultés" (intégrant de fait des communes qui n’avaient pas vocation à y être). "Au contraire", a rétorqué Karine Gloanec-Maurin, co-présidente de la commission communes et territoires ruraux de l’Association des maires de France. Il faut s’appuyer sur "l’intercommunalité, la commune nouvelle et tout ce qui peut aider à favoriser des coopérations entre les communes", vu la "complexité du développement territorial", a déclaré la présidente de la communauté de communes des Collines du Perche (Loir-et-Cher).
En revanche les deux associations se rejoignent pour dire que "la ruralité doit être regardée d'une autre manière, avec les notions d’aménités". "Il faut voir ces territoires en plein et non en creux", a insisté Karine Gloanec-Maurin. "Les outils ne doivent pas être seulement là pour combler les difficultés et nous soutenir financièrement, ils doivent être là pour nous permettre d’établir des projets de territoires", a-t-elle développé. À cet égard, la nouvelle définition des zones rurales par l’Insee actée lors du deuxième comité interministériel du 14 novembre est accueillie comme un pas décisif. D’un trait de plume, elle fait passer la ruralité de 5 à 24 millions d’habitants.
"La stabilité des dispositifs est un atout fondamental"
Quel que soit le scénario retenu par le gouvernement, "il faut faire attention à ce que les dispositifs existants ne s’arrêtent pas de manière trop tranchée", a fait valoir le président du conseil départemental de l’Aisne, Nicolas Fricoteaux. Les élus plaident également pour un toilettage des dotations (DSR et DETR) qui intègrent aujourd'hui de nombreuses communes urbaines. L'éducation est une de leurs priorités. Ils souhaiteraient par exemple que les communes rurales "vulnérables" bénéficient du dédoublement des effectifs de classes au même titre que les quartiers défavorisés. Nicolas Fricoteaux a également proposé une "prime de ruralité" pour les enseignants, assortie de valorisation de carrière.
À plusieurs occasions, le Sénat s’est opposé à la suppression des ZRR dans le passé. La loi de finances pour 2021 a acté leur prolongation jusqu’au 31 décembre 2022, comme le recommandait la mission Agenda rural. Le président de la commission sénatoriale Jean-François Longeot a appelé à la prudence car la "pire pathologie est l’instabilité". "La stabilité des dispositifs est un atout fondamental pour attirer les investisseurs sur nos territoires."
La tenue d'un troisième comité interministériel aux ruralités d'ici le mois de juin sera sans doute l'occasion d'y voir plus clair sur les intentions du gouvernement, près d'un an après la publication du rapport d'inspection.