Rapport Thiriez : la fonction publique territoriale aussi !
Après avoir reçu officiellement, ce 18 février, le rapport de la mission Thiriez sur la haute fonction publique, le Premier ministre a annoncé une réforme qui entrera en vigueur en 2022. Outre des formations communes aux trois versants, l'avocat au Conseil d'État prévoit un plan pour une plus grande ouverture aux milieux défavorisés et une meilleure attractivité des carrières des cadres publics. Plusieurs de ses propositions concernent la fonction publique territoriale.
Centrées sur la fonction publique d'État, les 42 propositions de la mission conduite par l'avocat Frédéric Thiriez, qui ont été remises ce 18 février au Premier ministre, dessinent également de nouvelles perspectives pour les cadres supérieurs territoriaux. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l'Institut national des études territoriales (Inet) placé sous sa responsabilité seraient les instruments de la modernisation de leur formation et de leurs carrières.
Initialement évoquée, la fusion de certaines écoles de service public – notamment l'ENA et l'Inet – a été finalement écartée "pour des raisons à la fois d’ordre pratique et théorique". La mission a préféré une mutualisation d'une partie de leurs épreuves de concours d'entrée et de leur formation. Objectif : "décloisonner la haute fonction publique par l’acquisition d’une culture commune du service public." Une "banque d’épreuves communes" serait ainsi créée à l'entrée de plusieurs écoles : l'ENA et l'Inet, mais aussi, notamment, l'École des hautes études en santé publique (EHESP), l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École nationale supérieure de la police (ENSP). "Cette réforme contribuerait à la fois à réaliser des économies d’échelle et à accroître le vivier des candidats à chaque concours", estime la mission. En outre, pour les lauréats des concours externes (y compris ceux du concours de l'ENM), serait créé un tronc commun de formation initiale. Placé en début de formation et d'une durée de six mois, il intégrerait trois semaines de préparation militaire et trois semaines consacrées à l’encadrement des jeunes du service national universel. Il n'aurait pas pour effet d'allonger la durée totale de la scolarité.
Classes préparatoires "égalité des chances"
Au-delà, la mission préconise une réorganisation des écoles de service public. La plus significative et la plus emblématique serait la transformation de l'ENA en une école d’administration publique (EAP), toujours située à Strasbourg. L'établissement accueillerait les ex-élèves de l'ENA, recrutés suivant de nouvelles règles, et les ingénieurs des corps techniques. Le classement de sortie de l'ENA, qualifié d'"archaïsme", serait supprimé. De son côté, l'Inet serait confortée. Dotée d'un statut d’établissement public administratif, elle verrait ses missions élargies à la formation des administrateurs de la ville de Paris.
Pour accroître la diversité des recrutements dans la fonction publique – autre point qui figurait sur sa feuille de route – la mission propose de créer 20 nouvelles classes préparatoires ouvertes aux jeunes les plus méritants issus des milieux populaires. Réparties sur tout le territoire national, elles accueilleraient 400 élèves – contre 130 élèves scolarisés aujourd'hui dans les huit classes préparatoires intégrées. Ces classes "égalité des chances" (CPE) prépareraient à "l’ensemble des concours administratifs". Leurs élèves passeraient un concours externe "spécial", distinct des actuels concours externes. Organisé "pour l’ensemble des écoles", il représenterait 10 à 15% des postes ouverts. Autre piste en matière de diversité : à la place des multiples voies d'accès professionnelles aux concours des écoles de service public – dont l'Inet –, un "concours professionnel unique" serait créé.
Le dernier volet du plan de la mission Thiriez concerne l'attractivité des carrières des hauts fonctionnaires. Dans la fonction publique territoriale, cette ambition passerait par davantage de mobilité. Dans ce but, le CNFPT se verrait confier la mission de suivre la carrière des cadres supérieurs territoriaux, en particulier les agents occupant un emploi fonctionnel. Le centre "mutualiserait les risques financiers liés aux décharges de fonctions, ou aux retours de mobilité, dans une logique assurancielle". La mission propose aussi la création d'une catégorie "A+", dans le but de "répondre au besoin de fluidification des carrières et de reconnaissance des cadres".
Formation continue commune aux trois versants publics
Enfin, les cadres à haut potentiel des trois fonctions publiques suivraient une formation commune dans un nouvel Institut des hautes études du service public (IHESP). 150 agents suivraient cette formation d'une trentaine de jours (au cours d'une année). "L’objectif est de revivifier la culture commune, initiée en formation initiale par le tronc commun", précisent Frédéric Thiriez et son équipe.
La mission juge par ailleurs utile de poursuivre le mouvement de fusion des corps. Ce qui l'amène à suggérer le regroupement des cadres d’emploi d’administrateur territorial et d’ingénieur en chef territorial.
Suite à la publication du rapport, Matignon a annoncé, ce mardi, avoir retenu plusieurs axes du rapport. L'exécutif souhaite, d'abord, développer un "plan de diversification sociale et géographique des recrutements" des hauts fonctionnaires, qui sera détaillé "d'ici fin avril" par les ministres Jean-Michel Blanquer, Frédérique Vidal et Olivier Dussopt. Ce plan comprendra la création de "classes égalité des chances sur l'ensemble du territoire" ou "l'intégration systématique d'un quota de boursiers dans l'ensemble des masters et classes préparatoires aux grandes écoles de la fonction publique". Le gouvernement a également mis en exergue les propositions de "refonte des concours" et de remplacement de l'ENA par une "école du management public".
Selon Matignon, "2022 sera la première année de mise en oeuvre" des pistes retenues. Les mesures nécessitant une modification législative seront intégrées à une ordonnance prévue par la loi du 6 août 2019 dite de "transformation de la fonction publique", qui sera présentée avant la fin du deuxième trimestre.
Administrateurs territoriaux : une réaction globalement positive
Fabien Tastet, président de l'Association des administrateurs territoriaux de France a exprimé une réaction globalement positive après la parution des pistes de la mission, dont certaines sont "audacieuses", a-t-il jugé. Interrogé par Localtis, le fonctionnaire s'est félicité que l'association ait été entendue sur plusieurs points : davantage de classes préparatoires intégrées pour diversifier socialement et géographiquement la haute fonction publique ; mobilités professionnelles facilitées ; culture commune renforcée entre les hauts fonctionnaires d'Etat, territoriaux et de l'hôpital ; création d'une catégorie "A+". La mise sur pied d'une structure pour le suivi RH des cadres territoriaux, organisée sur le modèle de la fonction publique hospitalière, est une proposition de longue date de l'AATF, souligne-t-il aussi. "Plus de la moitié des mesures du rapport correspondent à des propositions de l'association", considère Fabien Tastet. Une ombre au tableau : la fusion des cadres d'emplois des administrateurs territoriaux et des ingénieurs en chefs territoriaux, à laquelle il est hostile. La distinction entre les deux familles de métiers "fait sens", selon lui.