Quels sont les risques de requalification d'un appel à projet en contrat de la commande publique ?
Constat : Depuis quelques années, les appels à projets se développent dans la pratique administrative française. Le concept d’appel à projets ne répond cependant à aucune définition juridique précise ni en droit interne, ni au plan international et recouvre des pratiques diverses pouvant aller par exemple de la réalisation d’un bien ou d’un service, à l’occupation et l’exploitation du domaine public.
Réponse : La circulaire du 18 janvier 2010, désormais abrogée, avait tenté d’en dessiner les contours, définissant un appel à projet lancé par une collectivité comme « lui permettant de mettre en avant un certain nombre d’objectifs lui paraissant présenter un intérêt particulier. Il s’agit de définir un cadre général, une thématique. Les associations sont invitées à présenter des projets s’inscrivant dans ce cadre. Mais ce sont bien elles qui prennent l’initiative de ces projets et en définissent le contenu. Dans le cadre des appels à projets, la collectivité publique a identifié une problématique mais n’a pas défini la solution attendue. L’appel à projets ne préjuge en rien de l’ampleur des propositions qui seront formulées ou encore de leur contexte. Cela le différencie d’un marché dont le besoin est clairement identifié ». S’il en ressort qu’ils permettent de stimuler l’initiative privée et de jouir d’une grande souplesse procédurale, leur utilisation n’est pas sans danger, notamment au regard du droit de la commande publique. Ainsi par le biais de son Avis relatif aux conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine du 22 janvier 2019, le Conseil d’Etat a mis les collectivités en garde contre le risque élevé de requalification des appels à projets en contrats de la commande publique.
Pour mémoire, « sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques » (1). Le juge retient la qualification de convention d’occupation domaniale dès lors que le contrat n’a pas pour objet de répondre aux besoins de la personne publique (2). Par ailleurs une prestation ne relève de la commande publique que si elle comporte un « intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur », tel n’étant pas le cas lorsqu’elle « vise à satisfaire un objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect » (3). Enfin la CJUE a rappelé récemment que « des contrats [qui] portent non pas sur une prestation de services déterminée par l’entité adjudicatrice, mais sur l’autorisation d’exercer une activité économique dans une zone domaniale … ne relèvent pas de la catégorie des concessions de services » (4).
Pour déterminer si un appel à projets doit être requalifié en concession ou en marché public, le juge apprécie alors deux critères cumulatifs : l’appel à projets répond-il à un besoin de la personne publique et présente-t-il un caractère onéreux ?
Le critère de la satisfaction du besoin de la personne publique repose non seulement sur le fait que le projet réponde à un intérêt public mais aussi sur la présence de prescriptions techniques imposées par la personne publique. A l’occasion de l’avis précité, le Conseil d’Etat a également établi « une forme de présomption de réponse à un besoin de la personne publique » lorsque l’objet du besoin figure sur la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique publiée au Journal officiel du 27 mars 2016.
Le caractère onéreux est quant à lui, entendu au sens large puisque la seule mention d’un modèle économique et d’éléments financiers (tels qu’une proposition financière et un montage financier en l’espèce) suffit à démontrer que l’opération a un caractère onéreux car elle aura une contrepartie financière et ce, quand bien même l’équilibre financier du contrat final n’est pas encore connu ou déterminable.
Ainsi, lorsque ces deux critères sont cumulativement remplis, le juge estime que la procédure d’appel à projets et le contrat en découlant sont entachés d’irrégularités puisqu’ils ne satisfont pas à la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue par le Code de la commande publique. Par ricochet, cette requalification en contrat de la commande publique pourrait également et éventuellement déboucher sur l’annulation du contrat, la qualification du délit de favoritisme et l’indemnisation du co-contractant, voire des candidats évincés.
Références :
(1) Article L 2 du code de la commande publique.
(2) CE 10 mars 2006 Sté Unibail n° 284802; CE 3 décembre 2014 Etablissement public Tisséo n° 384170.
(3) CJUE 25 mars 2010 Helmut Müller n°C-451/08; CE 15 mai 2013 ville de Paris n° 364593.
(4) CJUE 14 juillet 2016 PROMOIMPRESA Srl n°C-458/14, pargraphe n°47.
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