Quel avenir pour les politiques locales de l’économie sociale et solidaire ?
À l’occasion de son vingtième anniversaire, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) regarde dans le rétroviseur et sonde la suite du parcours. Si l’économie sociale et solidaire a conquis une certaine place dans l’action publique locale ces dernières années, les élus s’interrogent sur la manière d’aborder le changement d’échelle dans les années à venir. L’ESS doit-elle être un "écosystème économique" qu’il conviendrait de développer au maximum, une économie au service du territoire ou un "laboratoire de la transition" ? Une étude prospective est en cours de finalisation sur ce sujet.
Créé en 2001, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) fête cette année ses 20 ans – révolus – et se livre pour l’occasion à un exercice de bilan et prospective. Le bilan prend notamment la forme d’un ouvrage d’une centaine de pages qui revient sur 20 ans d’"intelligence collective" (la diffusion de bonnes pratiques, de repères et d’outils, les journées d’échanges…), d’"actions par et pour les territoires" (l’appui à l’émergence de projets tels que des sociétés coopératives d’intérêt collectif et des pôles territoriaux de coopération économique, le décryptage des enjeux de l’ESS en territoires ruraux et politique de la ville…) et de "plaidoyer pour faire avancer l’ESS" aux niveaux local, national, européen et international. La publication rend hommage aux élus qui se sont vus confier les premières délégations à l’économie sociale et solidaire (ESS) et ont décidé de se réunir dans un réseau, ainsi qu’à tous les autres élus qui se sont impliqués dans le RTES.
"Nous revenons de très loin" : de l’émergence à la reconnaissance
L’ESS a d’abord été portée au niveau national, dans les années 1980-90. Les premiers élus locaux portant "un autre regard sur l’économie territoriale" ont fait leur apparition au début des années 2000, a rappelé Marie-Catherine Henry, coordinatrice du programme de recherche "Démocratie et économies plurielles", lors d’un séminaire prospectif organisé par le RTES le 4 mai dernier à Strasbourg. À partir de 2008, dans le contexte de la crise économique et de la nécessité de trouver de nouvelles solutions, "une grande majorité de régions se sont dotées de politiques de l’ESS", ajoute-t-elle. Enfin, une période d’"institutionnalisation" s’est ouverte en 2014, "avec un référentiel qui est devenu plus économique, plus entrepreneurial", parallèlement à l’émergence des notions d’entrepreneuriat social, d’innovation sociale ou encore d’économie collaborative.
"Nous revenons de très loin : cette économie, il y a quelques décennies, n’avait pas de reconnaissance dans l’action publique", met en avant Jean-Louis Laville, socio-économiste spécialiste de l’ESS, qui estime que le travail réalisé par les acteurs de l’ESS "a quand même modifié le paysage".
Quel curseur entre technique et politique pour les politiques locales de l’ESS ?
Le séminaire de Strasbourg visait à alimenter une étude prospective sur les politiques locales de l’ESS et, en creux, sur le positionnement du RTES. Trois scénarios non-exclusifs les uns des autres ont été présentés le 4 mai. Le premier est celui d’un déploiement plutôt quantitatif de l’ESS, tant en ce qui concerne le nombre d’élus impliqués que les démarches d’accompagnement à la création et au développement des entreprises de l’ESS. Ici, "le changement d’échelle est perçu comme l’augmentation du volume et de la taille", indique Jean-Louis Laville. Ce dernier estime que ce "scénario consensuel" a l’avantage de s’inscrire pleinement dans l’approche européenne – l’ESS est désormais reconnue par la Commission européenne comme l’un des 14 "écosystèmes" de la stratégie industrielle européenne – et de "réunir des sensibilités politiques contrastées". Il ferait a contrario courir le risque d’une "technicisation des enjeux" et d’une confusion toujours plus grande entre l’ESS et d’autres démarches entrepreneuriales – dites responsables ou "à impact" – telles que les entreprises à mission.
Dans un deuxième scénario, la porte d’entrée est le territoire, ce qui permet, toujours selon Jean-Louis Laville, "la transversalité", "l’accès au droit commun", une meilleure inscription de l’ESS dans les politiques sectorielles, mais également davantage de coopérations, de synergies et de processus délibératifs associant les citoyens.
Enfin, un troisième scénario ajoute au scénario territorial "une capacité de questionnement critique et de proposition au cadre institutionnel national et européen". L’ESS devient alors "une sorte de laboratoire de la transition", avec des acteurs qui portent "un certain nombre de plaidoyers symboliques".
Définir les "plus-values associatives"
Ainsi, le scandale des Ehpad (re)mis sur le devant de la scène par l’affaire Orpea "ouvre une nouvelle fenêtre, une nouvelle opportunité pour que l’économie sociale et solidaire puisse dire pourquoi elle est différente", esquisse Jean-Louis Laville, appelant les acteurs de l’ESS à définir les "plus-values associatives". Autre exemple : certains élus sont aujourd’hui demandeurs de nouveaux outils pour gérer et préserver des "communs", qui pourraient prendre la forme de "sociétés d’économie mixte citoyennes pour des services en réseau – eau, énergie, transports".
Si ce dernier scénario est potentiellement plus conflictuel, il donne à l’ESS l’opportunité de mieux "se positionner dans les débats publics". Pour le socio-économiste, cette capacité de plaidoyer renforcée passe par une meilleure articulation entre coopératives et mutuelles d’une part et associations d’autre part. Il rappelle que l’ESS, "c’est 80% d’emplois dans les associations et 80% de ces emplois tenus par des femmes dans l’action sociale" et il appelle à "ne pas laisser dans l’ombre" ce socle majoritaire.
"On arrive à un moment où l’ESS a fait ses preuves", conclut Mahel Coppey, vice-présidente de la métropole de Nantes et présidente du RTES, invitant le réseau à "passer un cap" et considérant que les territoires sont capables de "bousculer les lignes" lorsqu’ils s’appuient sur des coopérations.
Parallèlement à cette étude qui devrait être prochainement publiée, le RTES propose différents contenus sur son site dans le cadre de ce vingtième anniversaire, dont des vidéos d’élus destinées à illustrer la façon dont les collectivités conduisent leurs politiques de l’ESS – la première portant sur le travail sur les filières de l’ESS mené par la ville de Paris.