Quand la situation budgétaire fait suffoquer le 130e congrès des sapeurs-pompiers

Réservant sa toute première sortie officielle aux sapeurs-pompiers, le Premier ministre n’aura pas payé de mots ces derniers, se gardant de toute annonce concrète dans un contexte budgétaire "extrêmement grave", qui aura constitué peu ou prou le fil rouge de son intervention. Il a néanmoins promis de réactiver rapidement le Beauvau de la sécurité civile et annoncé un projet de loi pour un "modèle renouvelé" de la sécurité civile d’ici le premier semestre 2025. 

La (petite) histoire retiendra donc que c’est aux sapeurs-pompiers que Michel Barnier aura consacré sa "toute première sortie officielle", en venant clôturer ce 28 septembre le 130e congrès national des sapeurs-pompiers de France, tenu à Mâcon la semaine passée. "Je me sens l'âme, la volonté et l'énergie d'un sapeur-pompier", y affirme le Premier ministre, non sans souligner d’emblée – et tout au long de son intervention – que sa première tâche est de circonscrire l’incendie budgétaire : "Jamais un Premier ministre, jamais depuis 60 ans, n'a été contraint à présenter un budget en 15 jours. Et ce que je trouve, je le dis sans polémique, est extrêmement grave. Je pèse mes mots." Et de préciser qu’il a "demandé au ministre des Comptes publics de dire au Parlement cette semaine que le déficit de 2024 atteignait plus de 6%" du PIB. 

Espoirs éteints par l’état des finances de l’État…

S’il a vanté "sa règle et sa méthode", qui consistent à "remettre du lien, du respect, de l’écoute", et indiqué qu’il avait bien conscience "des attentes fortes" des sapeurs-pompiers, il s’est gardé de toute promesse, éteignant même tout espoir de lendemains qui chantent pour la profession. "Je ne vais pas vous raconter d’histoire. Je ne vais pas faire des embrouilles. Je ne vais pas faire de mensonges. J’ai besoin d’un peu plus de temps et de faire des arbitrages qui ne sont pas tous faciles." Lesdits arbitrages semblent néanmoins déjà faits : "Comme la dette écologique, je veux prendre cette responsabilité de diminuer la dette financière qui pèse sur la tête et le dos de nos enfants, de nos petits-enfants", indique-t-il. Des arbitrages il est vrai contraints, non "par Bruxelles", mais par "la réalité des marchés" : pour rembourser "ces 3.100 [plus de 3.200 désormais] milliards de dettes […], on n’emprunte plus à 1 voire 0% comme c’était le cas il y a cinq ou dix ans. On emprunte maintenant à des taux qui sont proches de ceux du Portugal, de l’Espagne, et bientôt de la Grèce", explique Michel Barnier, en faisant observer que "les intérêts de la dette, c’est 51 milliards d’euros aujourd’hui, bien plus que le budget de l’éducation".

… et des départements

Pour les sapeurs-pompiers, les lendemains semblent d’autant plus moroses qu’outre la situation "très difficile" des finances de l’État et de la sécurité sociale, Michel Barnier avoue qu’il "n’ignore pas non plus les difficultés auxquelles les conseils départementaux doivent faire face", alors qu’ils sont "en première ligne pour assurer et financer l’activité des Sdis". Ce que n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler la veille François Sauvadet, président de Départements de France : "L’État consacre moins de 700 millions d'euros à la sécurité civile quand les collectivités y consacrent 5,6 milliards, dont la moitié à la charge des départements. Et dans le contexte actuel, je le dis, nous ne pourrons plus continuer au rythme des dernières années. […] De manière certaine, il nous faudra prioriser dans chacun de nos Sdis, nos investissements […]. Ce qui veut dire que l’État, en partenariat, devra fixer le cap, et notamment celui des investissements qu’on ne pourra pas engager sans la solidarité nationale."

Beauvau de la sécurité civile à court terme et projet de loi en 2025

Ce cap, le Beauvau de la sécurité civile (voir notre article du 23 avril) – dont le Premier ministre a annoncé qu’il sera rapidement réactivé sous l’autorité du ministre de l’Intérieur – devrait contribuer à le fixer. Avec pour "objectif d’aboutir à un texte d’ici la fin du premier semestre 2025 qui pose les bases d’un modèle renouvelé" de la sécurité civile, ajoute-t-il – si son gouvernement survit jusque-là : "Je suis là depuis 20 jours, mais je ne sais pas pour combien de temps je suis là", avait-il rappelé d’entrée. D’ores et déjà, Michel Barnier indique que le gouvernement "continuer[a] de travailler dans le cadre des pactes capacitaires". Par ailleurs, il "confirme que le gouvernement soutiendra le projet de relever l’âge limite [d’engagement des sapeurs-pompiers volontaires] de 65 à 67 ans. Le projet de décret est actuellement à l’examen du Conseil d’État". 

Trimestres complémentaire de retraite et revalorisation dans les limbes…

Il se fait en revanche moins affirmatif sur "le sujet spécifique des trimestres complémentaires de retraite" des sapeurs-pompiers volontaires – "en fonction de leur activité, et non de leur situation professionnelle", plaide François Sauvadet. "Les ministres concernés vont reprendre ce dossier à ma demande […] pour qu’au-delà de ce qui a déjà été décidé, une solution sérieuse et possible, soutenable et acceptable, soit identifiée. Je ne souhaite pas que la perspective qui a été ouverte précédemment reste lettre morte […] mais nous devons – vous devez – en tant que citoyens contribuables, accepter la situation budgétaire du pays qui est très grave, comme la situation des régimes de retraite", enjoint le Premier ministre. S’agissant "des revalorisations attendues en matière indemnitaire, qui relèvent du comité des financeurs", Michel Barnier juge "essentiel qu’elles puissent aboutir prochainement" et assure que "l’État sera facilitateur et vigilant pour que les échéances soient tenues". À en croire François Sauvadet, rien n’est moins sûr : si ce dernier estime que cette revalorisation est "une juste reconnaissance pour les efforts et sacrifices consentis", il indique clairement "qu’on ne peut raisonnablement demander aux départements de faire plus avec moins. L’État doit nous donner des recettes supplémentaires, car nous sommes littéralement pris à la gorge", insiste-t-il. 

… comme les réformes structurelles

En la matière, les "recettes" de Départements de France, rappelées par François Sauvadet, sont connues : révision de la répartition avec les métropoles et les grandes agglomérations, augmentation de la ressource issue de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), mise à contribution de la taxe de séjour… "Maintenant, il faut décider !", exhorte l’élu, déplorant "qu’on n’a[it] pas beaucoup avancé sur les réformes structurelles". Et d’alerter : "Si l’on ne refond pas complètement notre modèle de financement, on ira droit dans le mur !" Même urgence selon lui s’agissant du périmètre des missions : "On ne peut pas demander à nos sapeurs-pompiers de se substituer aux défaillances dues à la déroute du système de soins !", plaide-t-il inlassablement. S’il convient que "la loi Matras et la réforme du transport d’urgence ont fait du bien", il souligne que "cela n’a pas vraiment changé le quotidien". Et ce, alors que "les effectifs dont nous disposons ne permettent plus de couvrir totalement [l]es nouveaux risques lorsque leur ampleur devient trop importante, même si nous avons travaillé ensemble sur la coopération interdépartementale", note-t-il encore.

Force européenne de protection civile ?

Pour faire face à ces "nouveaux risques", c’est à une autre forme de coopération que songe le Premier ministre. Il suggère ainsi un "centre opérationnel faisant face à sept types de crises – grands incendies, grandes inondations, catastrophes industrielles ou nucléaires, marées noires, grandes pandémie, terrorisme – qui vont se multiplier, de façon certaine", consistant à "préparer des unités spécialisées qui restent là où elles sont pour les besoins locaux et nationaux, mais qui sont volontairement mutualisables en tant que de besoin en cas de catastrophes". Un dispositif proche d’une force européenne de protection civile dont le Premier ministre a rappelé qu’il avait proposé la création en 2006 (voir notre article du 19 mars 2020), après avoir souligné qu’il était également à l’origine du "fonds Barnier" ou de "beaucoup de mécanismes comme les plans de prévention des risques dans les communes". 

Une coopération qui, explique le Premier ministre, suppose de parler davantage avec les autres fédérations européennes, comme l’exige également la défense d’un modèle français de la sécurité civile toujours menacé. 

Défendre le modèle français

"Je sais les craintes que les récentes décisions de justice ont pu susciter légitimement" sur la pérennité de ce modèle, concède Michel Barnier. "Je veux qu’on le défende", affirme-t-il toutefois, estimant "qu’il ne doit pas être fragilisé pour de mauvaises raisons ou parce que certains à Bruxelles ou ailleurs ne le comprennent pas". Le Premier ministre promet que Bruno Retailleau va en "traiter les points de fragilité", et notamment "clarifier le cadre d’emploi des sapeurs-pompiers volontaires lorsque c’est nécessaire, notamment dans les situations d’emploi les plus contraintes". Une clarification qui, en outre, prendra "en compte les spécificités des organisations et des territoires", en tirant notamment profit des pouvoirs d’expérimentation accordés aux préfets de département, "à condition de pouvoir les protéger quand ils expérimentent ou qu’ils dérogent", détaille-t-il encore.

Parler aux bureaucrates bruxellois

Pour défendre ce modèle, et singulièrement pour défendre leur proposition d’une directive sur l’engagement citoyen (voir notre article du 23 février), également promu par le Sénat (voir notre article du 4 juillet), "que nous devons obtenir", l’ancien commissaire européen invite par ailleurs le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France à "aller parler aux hauts bureaucrates, technocrates" bruxellois "qui sont compétents mais parfois un peu éloignés du terrain", mais aussi "aux commissaires", non sans tacler ses anciens collègues, en estimant qu’ils "ne devraient pas être des hauts-fonctionnaires. À Bruxelles comme à Paris, quand des technocrates prennent le pouvoir, c’est que les politiques leur ont laissé", explique-t-il. Et d’ajouter : "Voilà peut-être comment la directive de 2023 [2003] est arrivée"…

 

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