Qualité de l’eau : la FNCCR joue du "en même temps", voulant tout à la fois alerter et rassurer

Alors que les interrogations des Français sur la qualité de l’eau du robinet vont croissant, la FNCCR entend les rassurer sur l’innocuité de cette dernière tout en mettant en lumière les défis grandissants auxquels sont confrontées les collectivités pour qu’il en soit toujours ainsi. L’occasion sans doute aussi d'expliquer aux consommateurs pourquoi leur facture d’eau est condamnée à fortement augmenter.

 

Peut-on dans le même temps se faire lanceur d’alerte et rassurer ? Confrontée à ce dilemme au regard de la qualité de l’eau du robinet en France, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) a choisi de répondre positivement, en pariant sur l’intelligence du consommateur. "Communiquer, c’est prendre le risque d’inquiéter des gens qui ne l’étaient pas. Mais ne pas le faire accréditerait l’idée que l’on dissimule des choses. Nous pensons qu’il ne faut pas cacher la poussière sous le tapis", explique Régis Taisne, chef du département Eau de la fédération.

Un flot d’alertes

Car de la "poussière", il y en a. Mais plutôt dans l’eau que sous le tapis, et sous la forme de pesticides et de leurs métabolites, de microplastiques ou autres PFAS. À dire vrai, difficile de passer à côté, tant les alertes se multiplient, qu’elles émanent du ministère de la Santé (avec son étude publiée en décembre sur la qualité de l’eau en 2023), des services d’inspection de l’administration (v. notre article du 4 décembre), des associations de consommateurs (v. notre article du 23 janvier) et/ou environnementales (v. notre article du 15 octobre), de la Commission européenne (v. notre article du 5 février), de l’Agence européenne de l’environnement (v. notre article du 21 octobre) ou encore d’associations de collectivités comme Amaris (v. notre article du 4 octobre) ou Amorce (v. notre article du 20 juillet 2023). Liste tout sauf exhaustive. Pas étonnant, dans ce contexte, que près de 70% des 100 collectivités adhérentes de la FNCCR ayant déjà répondu à une enquête que conduit actuellement cette dernière indiquent avoir constaté une augmentation des sollicitations des habitants concernant la qualité de l’eau potable et la présence de polluants… Une tendance déjà observée par l’édition 2024 du baromètre "Les Français et l’eau" (v. notre article du 9 décembre).

Une eau toujours potable, mais à quel prix ?

Alors oui, rassure la FNCCR, on peut toujours boire l’eau du robinet sans crainte. Mais au prix de traitements toujours plus nombreux et coûteux, alerte l’association. "La dépollution, c’est de l’énergie supplémentaire, ce sont des réactifs supplémentaires, ce sont des concentrateurs, des charbons actifs, quasiment tous importés…", liste Régis Taisne. Or, "la collectivité n’ayant pas de planche à billets, elle répercute les coûts du service sur les usagers", prévient-il. Et de prédire à nouveau (v. notre article du 26 novembre) "une augmentation des coûts, hors inflation, d’environ 50% dans les 10 ans qui viennent". Son adjoint, Franco Novelli, se charge de détailler en partie l’addition : s’il estime le coût moyen de l’eau potable à "environ 1,85€ HT le m3, avec un traitement des pesticides représentant moins de 6% du total", il souligne que le coût marginal des traitements intensifs pourrait faire exploser la facture, en pouvant atteindre jusqu’à 1,80€ le m3 pour les petits captages. "Ce sont les petites installations en milieu rural qui sont les plus touchées", insiste Régis Taisne. Celles qui disposent de peu de moyens, et pour lesquelles "les économies d’échelle ne jouent pas du tout". Et ce coût des traitements "est un argument supplémentaire en faveur de l’exercice regroupé des compétences ; cela plaide pour avoir une certaine taille critique" – sujet d’actualité (v. notre article du 5 mars) –, il concède qu’une telle mutualisation "ne peut pas tout résoudre", notamment lorsqu’une collectivité a "beaucoup de petits captages". 

Prévention plutôt que dépollution

L’association insiste en conséquence sur la "deuxième solution : la prévention, en reconquérant la qualité des masses d’eau". Ce qui suppose de "réduire les pollutions à la source". "C’est la logique de la nouvelle directive eau potable [v. notre article du 16 décembre 2020]. Préserver ou reconquérir la qualité de l’eau en amont afin de ne plus avoir à la traiter, ou en tout cas moins, en aval", souligne Cyrielle Vandewalle, chargée de mission à la fédération. Il y a urgence, alors qu'"on a plutôt une tendance à la hausse du nombre de captages dégradés", alerte-t-elle. Un sentiment d’urgence dont elle déplore qu’il ne soit pas partagé par tous : "On attend toujours l’arrêté définissant les critères de classement des captages en ‘point de prélèvement sensible’" – dispositif issu de la directive qui prévoit de renforcer les contraintes en cas de dépassement d’une limite de qualité dans les eaux brutes –, déplore-t-elle, en estimant que la France pourrait en compter "entre 2.800 et 6.000". "La directive aurait dû être transposée au plus tard le 12 janvier 2023. On est en mars 2025 et l’arrêté n’est toujours pas publié", renchérit Régis Taisne. 

Mettre la PAC davantage à contribution

Cyrielle Vandewalle regrette aussi la faiblesse des moyens mis en œuvre pour faire évoluer les pratiques agricoles. "D’après une enquête auprès d’une trentaine de nos adhérents, 70% dépenseraient 58 euros par an et par hectare de surface agricole utile ou moins dans des démarches de protection de captage. En comparaison, le premier pilier de la politique agricole commune [les aides aux revenus des agriculteurs] finance les cultures végétales à hauteur de 43 à 148 euros par an et par hectare – c’est même plus de 1.000 euros pour le maraichage et la culture du houblon. Sans compter l’éco-régime [2e pilier de la PAC], qui octroie un financement supplémentaire de 60 à 82 euros par hectare si l’agriculteur respecte un cahier des charges environnemental, lequel est pourtant jugé insuffisant par les collectivités pour préserver la qualité de l’eau", observe-t-elle. Elle relève encore que "les mesures agro-environnementales et climatiques [Maec, 2e pilier également] soient très peu utilisées dans les aires d’alimentation. Très peu d’agriculteurs veulent bien les contractualiser, parce qu’elles sont jugées comme de véritables usines à gaz". Et de s’avouer "pas très optimiste sur une évolution de la PAC à mi-parcours en faveur de la protection des ressources en eau". Régis Taisne opine, en relavant que si la Commission européenne avait initialement fait pression pour que la France rende une copie "plus verte" (v. notre article du 2 mai 2022), "on n’a pas l’impression que la Commission aura des exigences aussi fortes". La crise agricole est, depuis, passée par là, contraignant Bruxelles à revoir sa copie (v. notre article du 19 mars 2024).

Renforcer le principe pollueur-payeur

Aussi Régis Taisne plaide-t-il pour renforcer l’application du principe pollueur-payeur. D’une part, "en élargissant les dispositifs qui existent en matière de taxes et redevances sur les produits polluants" et en affectant leur produit "à la prévention et à la dépollution". D’autre part, en engageant "la responsabilité financière des fabricants ou metteurs sur le marché de produits polluants" – une démarche déjà initiée par certaines collectivités (v. notre article du 13 février). "Y compris rétroactivement pour les substances dont le niveau de toxicité a été réévalué après leur mise sur le marché, voire leur interdiction", ajoute-t-il – une piste qui semble juridiquement plus hasardeuse. Et d’arguer que "même si par un coup de baguette magique on arrêtait toute pollution la semaine prochaine, on a quand même un stock de polluants dans les eaux, dans les sols, dans les sédiments qu’on va de toute façon être obligé de traiter". 

Invitation à la prudence

S’il salue des progrès, comme "la loi PFAS" (v. notre article du 28 février) – "c’est extrêmement important en termes de symbole" –, il se fait globalement fort réservé. Et de mettre en avant une redevance biodiversité "qui reste en standby", le report de l’augmentation de la redevance pour pollution diffuse prévue par le plan Eau, le fait que la loi PFAS a renvoyé à un décret le soin d’arrêter la liste des substances concernées – "Or le diable se niche dans les détails". Il souligne également le risque qu’"une taxe, une redevance, s’il elle n’est pas assortie de restriction d’usage, puisse être interprétée comme une forme de droit à polluer". Ou observe encore que, lors de l’adoption de la révision de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, qui dispose notamment que les industries pharmaceutique et cosmétique devront prendre en charge 80% des coûts induits par le traitement des micropolluants (v. notre article du 6 novembre), "l’État français a quand même essentiellement concentré son avis sur tous les risques qu’il voyait, avec la mise en place de cette redevance, sur la souveraineté en matière de médicaments". 

Les industries pharmaceutique et cosmétique à l’offensive

Visiblement non sans raison. Ce 10 mars, la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques d’une part, et Cosmetics Europe, l’association représentant l’industrie cosmétique européenne, d’autre part, ont en effet indiqué avoir intenté une action en justice contre la directive, contestant "la décision d’inclure seulement deux secteurs pour assumer la responsabilité du traitement quaternaire des eaux usées urbaines". "Pour certaines PME de notre secteur, cette nouvelle législation pourrait, à elle seule, les contraindre à fermer, ce qui aurait un impact sur les emplois et les économies locales dans toute l'Europe", menace John Chave, directeur général de Cosmetics Europe. Si les deux associations affirment être "prêtes à payer leur juste part", elles contestent notamment les hypothèses de la Commission. "Sur la base d’une étude du Centre commun de recherche [le laboratoire de l’Union européenne], Cosmetics Europe estime la contribution du secteur des cosmétiques à la pollution des eaux usées urbaines à environ 1%. Cependant, ces données ont été inexplicablement ignorées dans l’étude d’impact [de la directive], qui suggère que le secteur des cosmétiques serait responsable non pas de 1%, mais d’environ 26% du problème", observe le directeur général. Plus encore, il souligne que "dans le même temps, chaque semaine qui passe, il apparait évident que le coût total des mises à niveau du traitement de l'eau a été terriblement sous-estimé. La Commission européenne a estimé le coût à 1,2 milliard d'euros par an pour l'ensemble de l'UE, mais à mesure que les différents pays commencent à estimer leurs coûts nationaux, certains constatent que le coût réel est au moins quatre fois plus élevé – avec des estimations encore plus élevées susceptibles d'émerger". Non sans accréditer ainsi la thèse d’une probable prochaine explosion du prix des services de l’eau…

 

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