Proposition de loi Sûreté dans les transports : place à la commission mixte paritaire
L’Assemblée nationale a adopté ce 11 février la proposition de loi sénatoriale visant au renforcement de la sûreté dans les transports. Si les députés sont notamment revenus sur certaines sanctions prévues par la Chambre haute – en supprimant notamment le délit d’incivilité d’habitude –, ils ont renforcé les prérogatives des agents des services internes de la sécurité de la SNCF et de la RATP ou des exploitants et opérateurs de transport. Ils ont également élargi, souvent à titre expérimental, les cas d’usage des caméras et autres capteurs de sons.
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© Capture vidéo Assemblée nationale/ Philippe Tabarot
Un an après le Sénat, quasiment jour pour jour (voir notre article du 15 février 2024), l’Assemblée nationale vient à son tour d’adopter la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports portée par Philippe Tabarot, alors sénateur et désormais ministre chargé des transports. Si le texte n’a pas fait l’unanimité, suscitant notamment la vive opposition des élus écologistes, LFI-NFP, GDR et socialistes, il a néanmoins été approuvé avec 139 voix pour et 59 contre. Place désormais à la commission mixte paritaire – la procédure accélérée ayant été engagée par le gouvernement le 13 février 2024.
Sanctions
Les députés ont supprimé l’article qui entendait créer un "délit d'incivilité d'habitude", l’une des mesures fortes du texte. Ou encore la peine de six mois d’emprisonnement qui aurait été encourue pour le délit de "transport surfing".
Ils ont en outre abaissé les sanctions prévues pour l’abandon de bagages. L’abandon involontaire de bagages, objets ou matériaux serait sanctionné par une contravention de la troisième classe. Il serait sanctionné d’une contravention de la quatrième classe lorsqu’une obligation d’étiquetage s’applique. Enfin, l’abandon de bagages, objets ou matériaux, lorsque le caractère volontaire d’un tel acte est manifeste, serait sanctionné par une contravention de cinquième classe (et ne constituerait donc finalement pas un délit). Dans tous les cas, l’exploitant pourrait appliquer un montant inférieur pour l’amende forfaitaire permettant d’éteindre l’action pénale. Par ailleurs, les députés ont estimé que seuls les objets dangereux pour les voyageurs – et plus ceux jugés gênants ou incommodants – pourraient être conservés par les agents de sécurité, avec le consentement du propriétaire et contre récépissé.
En revanche, alors qu’en commission avait été supprimé la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun, celle-ci a finalement été rétablie en séance publique pour les auteurs de crimes et de certains délits dès lors que ceux-ci auraient été commis dans ces espaces.
En outre, le fait, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence d’entraver la mise en marche ou la circulation des tramways serait désormais puni d’une contravention de deuxième classe.
Extension des missions et compétences de la Suge et du GPSR…
Les députés ont tenu à "clarifier" les missions des services internes de sécurité de de la SNCF (Suge) et de la RATP (GPSR). Le texte dispose ainsi en l’état que ces services "ont pour mission de prévenir les atteintes à l’ordre public dans les lieux relevant de leur compétence, dans le cadre d’un continuum de sécurité avec les services de l’État", et "contribuent à la lutte contre le terrorisme". Ces agents verraient en outre leurs compétences élargies.
Le représentant de l’État dans le département pourrait, à titre exceptionnel, les autoriser à exercer sur la voie publique, aux abords des emprises pour lesquelles ils sont compétents, des missions, mêmes itinérantes, de prévention des atteintes aux personnes et de surveillance contre les vols, dégradations, effractions et actes de terrorisme visant les biens dont ils ont la garde. Ces agents pourraient en outre intervenir spontanément et momentanément sur la voie publique, aux abords immédiats des emprises pour lesquelles ils sont compétents, si le caractère urgent de la situation le justifie.
Ils pourraient constater les ventes à la sauvette aux abords immédiats des emprises des gares, ainsi qu’à saisir les marchandises et les étals utilisés dans le cadre de ces ventes.
Ils pourraient percevoir le montant des transactions permettant d’éteindre l’action publique en cas d’infraction délictuelle de faible gravité (pénétration dans une zone interdite au public ou dans les espaces affectés à la conduite des trains, entrave à la circulation des trains, délit de vente à la sauvette dans les espaces de transport…). Cette transaction ne serait pas ouverte si le délit a été commis par un mineur ou si plusieurs délits ont été constatés simultanément.
Ils pourraient poursuivre l'enregistrement audiovisuel par caméra-piéton dans leur véhicule lorsque l'enregistrement a débuté au sein des emprises pour lesquelles ils sont compétents et qu'ils sont amenés à conduire un individu, par véhicule, à un officier de police judiciaire.
Ils pourraient faire usage de leurs armes en cas de légitime défense et dans le but d’intervenir et d’empêcher immédiatement la réitération de meurtres ou de tentatives de meurtres. En outre, les agents de la Suge pourraient être autorisés à porter un pistolet à impulsion électrique ; un décret en Conseil d’État encadrerait ce dispositif (modalités de contrôle des pistolets, de compte rendu de leur utilisation, de mise en place d’une procédure d’évaluation et de contrôle et des conditions de formation des agents, en suivant le "cahier des charges" fixé par le Conseil d’État dans ses décisions de 2009 et de 2011).
En revanche, les députés sont revenus sur l’élargissement des compétences de la Suge prévue pour les transports routiers interurbains. Ils ont également supprimé les dispositions qui permettaient la collecte et le traitement de données sensibles par les agents de la Suge et du GPSR dans le cadre du traitement d'infractions flagrantes.
… et d’autres agents
Les agents de sécurité privée agissant pour le compte d’un opérateur de transport ou d’une autorité organisatrice, sous réserve qu’ils soient autorisés à cette fin par l’autorité administrative, disposeraient d’un pouvoir d’injonction de descendre d’un véhicule de transport, de quitter une emprise telle qu’une gare routière ou l’accès à un véhicule de transport, à l’encontre des personnes ayant commis un acte de fraude dans les transports ou dont le comportement est susceptible de compromettre la sécurité des personnes, de nuire à la régularité des circulations, de troubler l’ordre public, ou à l’encontre des personnes refusant de se soumettre à l’inspection visuelle, à la fouille de ses bagages ou aux palpations de sécurité (amendement proposé par Île-de-France Mobilités).
Ils pourraient visionner les images des systèmes de vidéoprotection transmises en temps réel vers les salles d'information et de commandement. Les agents d’Île-de-France Mobilités présents au centre de coordination opérationnel de sécurité (CCOS) pourront en outre piloter et coordonner l’action des différents agents de sécurité déployés sur le réseau par les opérateurs.
Les officiers ou agents de police judiciaire de la gendarmerie ou de la police nationales et les agents de police judiciaire adjoints pourraient procéder à l’inspection visuelle des bagages et, avec le consentement de leur propriétaire, à leur fouille, dans les lignes et gares des réseaux ferroviaires et guidés.
Plus d’images, plus de sons
Plusieurs dispositions ont trait à la captation d’images et de sons.
Les opérateurs de transports guidés urbains, en particulier les tramways, seraient autorisés, à titre expérimental, pendant trois ans, à installer des caméras frontales embarquées sur les matériels roulants qu’ils exploitent (possibilité offerte par la loi sécurité globale aux seuls transports ferroviaires).
Dans le département de Mayotte, les opérateurs de transport scolaire routier pourraient, à titre expérimental, filmer la voie publique au moyen de caméras frontales et latérales embarquées à bord des autocars afin de prévenir la survenue de violence et de permettre l'identification des auteurs de tels faits.
La durée de l’expérimentation envisagée de l’usage de caméras-piétons par les conducteurs de bus et d’autocars serait portée à trois ans ; sa mise en œuvre serait désormais soumise à la consultation préalable des syndicats desdits conducteurs.
Serait prorogée également, du 31 mars 2025 au 31 décembre 2027, l’expérimentation relative à la mise en œuvre de traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs dans le cadre de manifestations sportives, récréatives ou culturelles ; un rapport d’évaluation devra être remis au plus tard le 30 septembre 2027 (voir notre article du 10 février).
À titre expérimental, les opérateurs de transport public de voyageurs pourraient bien mettre en œuvre un système de captation et de transmission du son dans les véhicules qu’ils utilisent dans le cadre de services réguliers de transport public de voyageurs par autobus et autocars, en le limitant à l’environnement immédiat du conducteur, dispositif qui avait été supprimé en commission.
L’usage des caméras individuelles serait élargi aux agents de contrôle non assermentés en France et opérant sur les parties des lignes transfrontalières situées sur le territoire national.
Autres prérogatives des exploitants et opérateurs
Les exploitants de services de transport public collectifs pourraient "mettre à disposition" des voyageurs un service d’étiquetage des bagages permettant aux seuls agents assermentés des opérateurs et aux forces de sécurité intérieure d’obtenir leurs coordonnées, dans les catégories de véhicules et emprises affectées au transport public de voyageurs désignées par arrêté du ministre chargé des transports. En pareil cas, le voyageur devra renseigner, en sus de ses nom et prénom, son numéro de téléphone. Ce service pourrait être rendu interopérable.
L’opérateur de transport qui verrait la mise en marche ou la circulation de ses tramways entravée pourrait intervenir lui-même auprès des véhicules enlisés, ou mandater des acteurs adéquats pour procéder à leur dégagement, aux frais et risques du titulaire du certificat d’immatriculation.
L’exploitant de réseau de transport public de voyageur pourrait déposer plainte pour le compte d’un de ses agents qui aurait été victime d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou psychique, de menaces ou d’actes d’intimidation ou d’outrage, après accord de la victime pour les employeurs non soumis à l’article 40 du code de procédure pénale.
En revanche, sont revues à la baisse les informations relatives aux conducteurs qui pourraient être transmises. En l’état du texte, le ministère public pourrait informer les opérateurs de transport des condamnations définitives prises à l’encontre d’une personne employée en tant que conducteur de véhicule, lorsque cette condamnation porte suspension, annulation ou interdiction de délivrance d’un permis de conduire.
À l’inverse, le texte prévoit d’interdire l’exercice des fonctions de conducteur de véhicule de transport public collectif routier à toute personne définitivement condamnée pour des infractions violentes ou sexuelles ainsi que pour une infraction à caractère terroriste. Une suspension pourrait également être mise en œuvre en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen mentionnée au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (ce dispositif a déjà été adopté le 5 novembre 2024 par le Sénat dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative aux individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes).
Dispositions concernant les voyageurs
Les députés rendent obligatoire la détention d’un document justifiant de l’identité et de l’adresse des personnes contrôlées – à bord des véhicules, dans les espaces affectés au transport public de voyageurs ou sur le domaine public ferroviaire, par les agents assermentés des opérateurs de transport, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et la RATP ainsi que les agents de police municipale autorisés à accéder au réseau – quel que soit le type d’infraction en cause (amendement proposé par Île-de-France Mobilités).
Les députés ont par ailleurs disposé que les palpations de sécurité devront être faites par une personne de même sexe que la personne qui en fait l’objet. Ils ont en revanche finalement supprimé les dispositions adoptées en commission qui prévoyaient que ces palpations devraient être faites "en tenant compte de l’identité de genre".
Enfin, notons que le texte prévoit en l’état que le gouvernement devra remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2026, un rapport évaluant les conséquences de l'ouverture à la concurrence des transports en commun en matière de sûreté dans les transports.