Prochains contrats de plan État-régions : comment faire mieux pour le climat
Le think tank I4CE a publié ce 7 mai un rapport mettant en valeur l'importance des contrats de plan État-régions (CPER) pour l'adaptation des territoires au changement climatique. De l'analyse climat des CPER 2015-2020, il tire plusieurs enseignements pour les prochains contrats 2021-2027 en cours de négociation et formule plusieurs "points de vigilance", notamment dans le domaine des transports.
Quarante milliards d'euros : c'est le montant des financements prévus pour la nouvelle génération 2021-2027 des contrats de plan État-régions (CPER) dont les négociations en cours devraient aboutir au second semestre 2021, une fois tournée la page des élections régionales. Des contrats de programmation pluriannuelle des financements qui pèsent lourd en termes d'investissement publics mais sont peu regardés à l'aune de la transition bas-carbone et de la protection du climat s'étonne le think tank I4CE dans l'introduction de son rapport "Les contrats de plan État-régions. Des milliards d'investissement structurants pour le climat" publié ce 7 mai.
Pour y voir plus clair sur l’importance de ces contrats pour les investissements climat, et sur les défis de la future génération de contrats, I4CE a donc analysé les CPER 2015-2020. Les engagements de ces derniers ont atteint près de 30 milliards d’euros pour les régions métropolitaines et d’outre-mer*. Selon le rapport du think tank, 90% de ces engagements portent sur des secteurs à forts enjeux et leviers climat : mobilité - notamment le transport ferroviaire -, efficacité énergétique des bâtiments, énergies renouvelables, renouvellement urbain et aménagement, bâtiments de l’enseignement supérieur. De plus, les engagements des régions dans les CPER 2015-2020 représentent une part importante de leurs budgets d’investissement sur cette même période : près de 60% de leurs dépenses d’investissement dans le ferroviaire, près de 80% de celles destinées à l’enseignement supérieur et près de 40% de celles affectées à l’aménagement du territoire. Les engagements des régions rassemblés dans le volet Transition écologique et énergétique des CPER (biodiversité, rénovation thermique des bâtiments, énergies renouvelables...) représentent pour leur part 70% des dépenses totales des régions sur cette même période.
CPER 2015-2020 : un tiers d'engagements "très favorables" à la réduction des émissions de GES
Sur l'ensemble des engagements contractualisés sur 2015-2020, le rapport estime que 10 milliards d'euros (34%) – 6 milliards d'euros côté régions et 4 milliards d'euros côté État - sont "très favorables" à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Près de 70% de ces financements "très favorables" sont dédiés au transport ferroviaire régional et francilien (train, RER, métro, tramway), les autres engagements qualifiés de "très favorables" ayant été axés sur l’efficacité énergétique des bâtiments et les énergies renouvelables. 2 milliards d'euros (soit 8%) ont par ailleurs été classés "plutôt favorables" pour la réduction des émissions de GES car s'ils contribuent bien à la baisse de ces dernières, ils ne sont en revanche pas compatibles avec la trajectoire de neutralité carbone. 9 milliards d'euros (soit 30% des engagements) sont considérés comme ayant des impacts "indéfinis" pour la réduction des émissions de GES dans la mesure où il manque des informations pour les évaluer correctement. "Ils ont a priori un impact significatif sur les émissions de GES, mais difficile à qualifier sans apport de précisions supplémentaires - même si pour 2 milliards ils présentent des co-bénéfices environnementaux (sur l’eau, la biodiversité...)". Ils permettent de financer des projets dans les domaines du développement économique, de l’aménagement des territoires, de l’environnement et du numérique mais ce manque de qualification des projets au regard du climat est jugé "problématique". "La contribution des CPER à la réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessite qu’ils intègrent de manière transversale et systématique les enjeux climat pour l’ensemble des projets financés", souligne le rapport. Enfin, si 4 milliards d'euros d'engagements (14%) sont considérés comme "neutres" pour l'atténuation - leur impact est jugé "non significatif" sur les objectifs de neutralité carbone de la France –, le même montant et la même proportion d'engagements sont classés "défavorables" pour la réduction des émissions de GES. Provenant pour 3 milliards d'euros de l’État et de 1 milliard d'euros des régions, ils sont dédiés à la construction de routes. "Pour atteindre l’objectif national de décarbonation complète du secteur des transports d’ici 2050, il sera nécessaire de réduire le développement du trafic routier, relève le rapport. Ces investissements sont donc à questionner en termes de priorités d’investissement, pour essayer de les réduire à l’avenir."
Besoin de plus grande cohérence avec les objectifs climat nationaux
Pour les experts d'IC4E, les prochains CPER doivent en effet intégrer les objectifs climat d’atténuation et d’adaptation dans l’ensemble des projets financés, "au risque sinon de constituer un frein à l’effort collectif de transformation vers un aménagement et un développement bas carbone et résilient aux impacts du réchauffement climatique". Les partenaires des CPER devront donc s’assurer de leur cohérence avec les objectifs climat nationaux (stratégie nationale bas carbone, plan national d'adaptation au changement climatique), et régionaux – schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Dans cette optique, le rapport recommande de réaliser une analyse de l’impact climat des "Accords régionaux de relance " des projets de CPER 2021-2027, ainsi que des contrats de convergence et de transformation (CCT) des départements et régions d’Outre-Mer (Drom). "Réaliser une analyse de l’impact climat des projets financés par les prochains CPER avant leur signature, en s’inspirant du 'rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État' réalisé dans le cadre du PLF 2021 (voir notre article), permettrait d’anticiper la contribution de ces nouveaux contrats aux objectifs climat nationaux, développe le rapport. Cette analyse pourrait être intégrée au rapport d’évaluation environnemental stratégique, soumis à consultation avant la signature des CPER. Cela permettrait également d’assurer une plus grande transparence sur cet outil contractuel qui va orienter 40 milliards d’euros d’engagements de financement d’investissement par l’État et les régions pour les sept prochaines années ; années qui seront clé pour l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone de la France."
Suivi de l'exécution et de l'impact climat des projets
Les experts d'I4CE jugent aussi nécessaire d'organiser un suivi de l’exécution et de l’impact climat des projets inscrits dans les CPER 2021-2027 et les contrats de convergence et de transformation (CCT) des territoires ultramarins. "Les modalités de pilotage et de suivi de l’exécution des CPER devraient être préparées dès maintenant et rendues publiques dès leur signature, estiment-ils. Des indicateurs spécifiques de suivi de l’impact climat des projets effectivement financés devraient en particulier être inclus dans ces modalités de pilotage. Un rapport présentant l’avancée de la mise en œuvre de ces contrats et l’impact climat des projets effectivement financés pourrait être publié régulièrement."
Meilleure prise en compte des enjeux d'adaptation au changement climatique
Autre enseignement à tirer des contrats 2015-2020 : "renforcer la prise en compte des enjeux d’adaptation aux changements climatiques dans les prochains CPER et les CCT". "État et régions ont tout intérêt à piloter l’adaptation des investissements structurants, détaille le rapport. En tant que financeurs, ils peuvent exiger que les porteurs de projet démontrent la prise en compte de cet enjeu. Par exemple, la prise en compte du confort d’été dans les constructions et rénovations de bâtiments, des phénomènes d’îlots de chaleur urbain dans les opérations d’urbanisme, de l’évolution à venir de l’amplitude des aléas climatiques pour la construction d’infrastructures de transport... Pour certains secteurs clés comme l’aménagement et le bâtiment, il est même d’ores et déjà possible d’introduire des critères dans les cahiers des charges." "Se poser de manière transverse la question de l’adaptation aux changements climatiques demandera des ressources, notamment humaines – ce qui doit être anticipé", préviennent en outre les experts.
Les transports, un secteur clé
Par ailleurs, l'analyse des CPER 2015-2020 conduit I4CE à formuler "quelques points de vigilance". En matière de transports, le think tank appelle ainsi à "prendre la mesure des besoins d’investissement conséquents requis pour le transport ferroviaire régional". "Le défi sera d’assurer un plan de financement réaliste et équilibré entre État, régions et SNCF Réseau, inclus dans les CPER eux-mêmes ou dans des plans d’action spécifiques contractualisés par ailleurs", souligne-t-il. Il préconise aussi de "renforcer l’exigence de décarbonation pour les investissements routiers, qu’il s’agisse des projets de construction de routes nouvelles, ou du verdissement des flottes d’autocars interurbains et scolaires des régions."
Autre point souligné dans le rapport : "amplifier les efforts communs de financement pour la rénovation des bâtiments universitaires - y compris les logements étudiants - afin de répondre aux besoins d’investissement d’un parc immobilier en partie vétuste et comportant toujours des passoires énergétiques."
En outre, alors que l’accord de partenariat introduit l’agriculture durable dans les priorités de la nouvelle génération de CPER, "il s’agira pour l’État et les régions d’être attentifs à ce que les projets financés contribuent à la réduction des émissions de GES du secteur et à son adaptation aux changements climatiques", relève I4CE.
Enfin, au-delà des CPER et des CCT, "les régions, comme l’État, doivent s’assurer de la cohérence de l’ensemble de leur budget avec leurs objectifs de transition bas-carbone", conclut le think tank : "les candidats aujourd’hui et ceux qui seront élus demain devront ainsi clarifier leur stratégie de transition pour leur région, et la traduire en plan de financement – pour l’investissement, les ressources humaines... bref, définir quel sera leur budget régional pour le climat."
*Les CPER des départements et régions d’Outre-Mer (Drom) ont été remplacés en 2019 par des "contrats de convergence et de transformation" (CCT) pour 2019-2022.